Un patient de 68 ans consulte en urgence, début octobre, pour un «vertige» d’installation subite le matin même. Le patient, bien que médecin, a des difficultés à décrire précisément le trouble : «Oui, ça tourne, oui, ça tourne effectivement… mais pas vraiment, c’est plutôt comme si ça vacillait, j’ai un malaise constant ; non, il n’y a pas de vomissement, mais plutôt une sorte de malaise ; je me sens faible sur mes jambes, ivre ; j’ai le sentiment que l’environnement est incliné et même dédoublé, comme si je louchais ; en plus, il y a un truc très bizarre que j’ose à peine raconter : par moment, c’est comme si je me suivais moi-même, là, derrière, sur la droite !!! Je m’excuse d’être aussi flou mais c’est si difficile de décrire ce que je ressens. La seule chose à dire : c’est atroce, je ne le souhaite à personne. J’ai l’impression d’avoir perdu tous mes moyens physiques et aussi psychiques».
Sur le plan général, il est en bonne santé. Aux épreuves de Romberg et Unterberger, on observe un gros déséquilibre sans qu’il soit possible de dire si le patient dévie plutôt à droite ou à gauche. Il y a un nystagmus spontané horizonto-rotatoire de degré III battant à gauche, qui n’est que partiellement inhibé par la fixation visuelle. L’examen neurologique clinique ne montre aucune autre anomalie.
Le flou de cette histoire est caractéristique de ce qu’on entend dans la «vraie vie», bien plus que les histoires «carrées», nettes, sans bavure rapportées dans les livres traitant des affections neuro-otologiques.
Pourquoi l’abord d’un patient qui consulte pour une affection vestibulaire, périphérique ou centrale, est-il souvent difficile ? Quels éléments de cette anamnèse correspondent à ce qu’on a appris, à cette notion erronée de «vrai» versus «faux» vertige, et celle selon laquelle un vertige d’origine vestibulaire périphérique est «harmonieux» ? Quels éléments permettent de différencier rapidement une origine centrale d’une origine périphérique ?
Une vision différente du système vestibulaire de celle qu’on a longtemps enseignée devrait aider le médecin dans sa compréhension des affections neuro-otologiques.
L’équilibre n’est pas passif : le bipède ne fait que lutter contre un déséquilibre sur la base d’informations sensorielles multiples, somesthésiques, visuelles centrales et périphériques ainsi que vestibulaires, canalaires et otolithiques. L’intégration de ces informations n’est pas rigide mais fonction des circonstances et des individus. En cas de discordance des informations, comme dans un vertige des hauteurs, où les informations somesthésiques et vestibulaires indiquent à l’individu qu’il est immobile, au sol, alors que les informations visuelles le situent non pas, comme il se devrait, à 1 m 80 mais à plus de 100, certains individus se sentent mal alors que d’autres ne sont pas gênés. Le «poids» des informations est aussi fonction des individus. Certains se fient beaucoup à la vision et la seule perte de repères verticaux dans le champ visuel périphérique, comme le passage sur un pont d’autoroute, est source d’un malaise. Mais ces «visuels» peuvent devenir soudainement des «vestibulaires» ou des «somesthésiques»… Enfin, des modifications de l’une ou l’autre des informations sensorielles entraînent des phénomènes adaptatifs impliquant toutes les autres entrées sensorielles. Ceci permet, par exemple, la régression des principaux symptômes consécutifs à une perte unilatérale subite de la fonction vestibulaire.
Cette particularité, un système en constante adaptation, explique en partie pourquoi l’anamnèse peut être très différente d’un patient à l’autre pour une même affection. De plus, les patients ne sont pas conscients de la fonction du système vestibulaire. Il leur est donc très difficile de trouver les termes utiles à en décrire les perturbations.
Sur le plan de l’anamnèse, l’aspect temporel des troubles est un élément-clé (figure 1) :
des événements de quelques secondes, plusieurs fois dans la journée, évoquent un vertige paroxystique de position bénin. Parfois, le malade dit avoir des «vertiges tout le temps». On peut lui demander si la séquence ne correspond pas plutôt à ce schéma ;
des événements de quelques minutes ne sont pas très caractéristiques d’une atteinte vestibulaire périphérique et orientent plutôt vers une origine neurologique, cardio-circulatoire ou métabolique ;
des événements de plus de 20 minutes à quelques heures, irréguliers avec des intervalles libres de quelques jours, semaines, mois ou même années sont assez caractéristiques d’un Menière, d’autant plus si un déficit auditif est associé aux troubles ;
un événement qui s’installe en quelques minutes ou heures, en tous les cas en moins de trois jours, et qui durera plusieurs jours suggère un déficit vestibulaire brusque (aussi dénommé inadéquatement «neuronite vestibulaire») ou un accident vasculaire cérébral.
Une étape importante consiste à différencier l’origine périphérique ou centrale du vertige, ce qui peut être difficile, toute modification de la fonction périphérique générant des processus centraux d’adaptation ou de compensation. Le tableau 1 propose quelques clés.
Une déviation aux épreuves de Romberg et Unterberger est peu contributive : bien des patients avec un déficit vestibulaire brusque, et qui «devraient» dévier du côté déficient, ne le font pas ou dévient du côté opposé, corrigeant involontairement à l’excès leur déséquilibre. Une diplopie et une perception inclinée de la verticale sont aussi peu contributives puisqu’elles peuvent exister dans une atteinte périphérique ou centrale.
Le test d’impulsion de la tête consiste à demander au patient de garder son regard sur une cible lors-qu’on lui imprime une rapide rotation de la tête.1 En cas de déficit vestibulaire périphérique, ses yeux partent avec la tête et il doit effectuer une saccade oculaire de rattrapage. Lorsque pratiqué avec un système de vidéo calculant le rapport de vitesse du mouvement de tête et de celle des yeux, de direction opposée, la fiabilité du test est de 94-97% et la spécificité de 90 à 100%.2 Sa fiabilité est particulièrement élevée en cas d’accident vasculaire de l’artère cérébelleuse postéro-inférieure (figure 2).3
‣ Il n’y a pas de «vrais» et «faux» vertiges : tous sont vrais !
‣ Les patients rapportent parfois des expériences «étranges» : elles sont l’expression de la complexité du système vestibulaire, des modalités variables d’intégration et de modulation de multiples informations sensorielles et de ses capacités d’adaptation rapide
‣ Le système vestibulaire concourt au maintien de la posture et du regard mais aussi à l’orientation spatiale, la perception de l’espace et la perception de «soi» en «soi»4
‣ Le test d’impulsion de la tête est le plus fiable pour différencier un déficit vestibulaire périphérique d’un accident vasculaire du tronc cérébral