11 janvier 1965, un petit groupe de parents d’enfants atteints créait, en France, l’association «Vaincre la mucoviscidose» (www.vaincrelamuco.org/). Etait-ce un pressentiment ou une simple espérance ? La durée de vie des petits malades ne dépassait pas, alors, sept ans. Cinquante ans plus tard, elle est de cinquante ans. Spectaculaire, l’affaire était abordée il y a quelques jours dans les colonnes du Monde (par Florence Rosier). Ces seuls chiffres donnent la mesure des progrès accomplis dans la prise en charge d’une affection qui condamnait celles et ceux qui en étaient victimes. Mais ce cinquantenaire ne marque pas seulement le chemin thérapeutique, exceptionnel, accompli. Il met aussi en lumière des questions médicales, économiques et éthiques – des questions rarement évoquées.
Avant le début du XXe siècle, l’histoire de la mucoviscidose (de la cystic fibrosis) semble se résumer à une série d’observations centrées sur l’impression salée, donnée par le baiser sur le front des nouveau-nés atteints par une forme de fatalité. Des adages laissent penser que le lien avait clairement été fait entre cette observation et la très faible espérance de vie des enfants concernés. Ici ou là des notes sont prises qui font état, à l’autopsie, de lésions pancréatiques chez des petits, tenus pour être comme ensorcelés.
Il y a un siècle, on voit apparaître les premières observations cliniques familiales associant maladie pulmonaire, diarrhées et anomalie pancréatique, le tout avec une dimension familiale. Il y a quatre-vingts ans (en 1936), le pédiatre suisse Guido Fanconi (1892-1979) décrit pour la première fois chez des enfants tenus pour être atteints de maladie cœliaque, une «fibrose kystique du pancréas et bronchectasie». La mucoviscidose ne fut toutefois considérée comme une entité pathologique spécifique qu’en 1938, grâce à la pédiatre new-yorkaise Dorothy Hansine Andersen et à ses observations faites lors d’autopsies.
Puis, il y a une trentaine d’années, des liens physiopathologiques sont établis entre d’une part, l’anomalie de la sécrétion de mucus et d’autre part, les anomalies de la sueur avec sécrétions salées. On jette ainsi, via les anomalies électrolytiques, un pont entre les poumons, le pancréas et les glandes sudoripares. La piste de la localisation génétique était ouverte. Une tâche difficile. Il faudra attendre 1989 et l’identification d’une mutation d’un gène (localisé en 7q31 et contenant 27 exons) dénommé cystic fibrosis (CF) – un gène codant pour la protéine cystic fibrosis transmenbrane conductance regulator (CFTR) composée de 1480 acides aminés.
Parallèlement, des avancées pratiques majeures étaient accomplies dans le domaine de la prise en charge des malades. En France, aujourd’hui, un malade sur deux est désormais adulte contre 20% seulement en 1992 – date de la création du Registre français de la mucoviscidose. Ce n’est désormais plus une maladie «pédiatrique», se réjouit la Pr Isabelle Sermet-Gaudelus, responsable de la prise en charge des enfants atteints de mucoviscidose au sein de l’hôpital parisien Necker-Enfants malades. «Ce qui a fait décoller les choses, dans les années 1980, c’est le traitement des problèmes digestifs par les enzymes pancréatiques» explique-t-elle au Monde. A la même époque, les cures d’antibiotiques se font plus nombreuses et les années 1990 voient l’apparition des traitements «mucolytiques» pour fluidifier les sécrétions bronchiques : la Dnase (désoxyribonucléase), le sérum salé-hypertonique. On développe les aérosols. On invente la ventilation nasale non invasive. On développe et améliore la kinésithérapie respiratoire.
Puis, en France, on organise la prise en charge à l’échelon national. «D’abord avec la création, en 2001, des centres de ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM). Au nombre de 45, ces centres maillent le territoire en proposant une prise en charge multidisciplinaire, rappelle Le Monde. Un an plus tard, le dépistage systématique de la mucoviscidose est instauré chez tous les nouveau-nés de France. Son intérêt a été dénié par certains, et ce au motif que l’espérance de vie des patients n’est pas meilleure dans les pays qui le pratiquent.»
Plusieurs études récentes démontrent toutefois l’intérêt d’une prise en charge ultraprécoce dès lors que le jeune patient est rapidement suivi dans un centre spécialisé pluridisciplinaire.1 Faute de pouvoir disposer de procédures de thérapie génique, on peut aussi commencer à compter avec l’émergence de nouvelles thérapeutiques spécifiques de certaines mutations. C’est le cas notamment de l’ivacaftor (laboratoire Vertex) pour les mutations G1244E, G1349D, G178R, G551S, S1251N, S1255P, S549N ou S549R (soit entre 2 à 4% des patients). Un médicament «orphelin» qui améliore notablement les paramètres physiologiques et la qualité de vie mais qui est commercialisé aujourd’hui en France à près de 20 000 euros la boîte de 56 comprimés de 150 mg. Soit environ 250 000 euros pour une année de traitement…
«Paradoxalement, l’arrivée de l’ivacaftor a conduit certains jeunes à oublier leur maladie. Or, ce traitement ne guérit pas : il ne dispense pas de poursuivre les autres soins pour potentialiser l’amélioration obtenue. Un cas de rechute mortelle, qui pourrait être liée à une moins bonne observance des traitements classiques après les progrès obtenus grâce à cette nouvelle molécule, souligne cet impératif de vigilance permanente, souligne Le Monde.
Dans le quotidien des patients, un immense progrès est à saluer : leur scolarisation et leur socialisation, devenues des réalités. Mais si le petit enfant se socialise normalement, les choses se compliquent à l’adolescence. Le jeune subit plus difficilement les contraintes imposées par la maladie, témoigne Maya Kirszenbaum, psychologue à l’hôpital parisien Necker-Enfants malades. La plupart des patients ne suivent pas la totalité de leurs soins. Des soins qui réclament une heure trente à deux heures par jour en temps normal ; jusqu’à six heures en période de surinfection !»
C’est dans ce contexte que se développe le diagnostic préimplantatoire (DPI) appliqué à la mucoviscidose, et ce avec une technique de plus en plus performante. L’un des quatre centres autorisés en France (celui de Montpellier) fait désormais état d’un test applicable à 98% des couples concernés. On sait que le DPI est réalisé sur des embryons conçus par fécondation in vitro et a pour objectif d’implanter dans l’utérus de la future mère, un ou des embryons indemnes d’une maladie génétique donnée. En dépit des avancées thérapeutiques enregistrées, la mucoviscidose représente aujourd’hui une fraction importante des demandes de DPI – elle atteint 15% à Montpellier où elle est le motif le plus fréquent de recours à ce type de diagnostic.
«Nous affinons notre technique depuis dix ans et nous disposons aujourd’hui d’un test applicable à 98% des couples éligibles, avec environ 94% de résultats à l’issue des analyses génétiques» expliquaient, il y a quelques mois, Mireille Claustres, directeur du laboratoire, et Anne Girardet, responsable du DPI moléculaire de ce centre. Sur 142 couples candidats à un DPI de la mucoviscidose au CHU de Montpellier, les cycles de procréation médicalement assistée (PMA) ont permis la conception de 493 embryons. Le DPI a permis d’en identifier 112 qui présentaient des mutations sur les deux allèles et 262 porteurs d’une mutation sur un seul allèle ou dénués de toute mutation. Près d’une trentaine de naissances d’enfants indemnes ont été recensées.
«Le DPI rend un service immense aux couples qui souhaitent s’engager dans cette démarche. Il faut voir la lueur dans leurs yeux quand l’équipe de procréation médicalement assistée leur annonce qu’un ou deux embryons indemnes peuvent être transférés, confient les deux généticiennes. Et cette joie pourrait être partagée par de plus en plus de parents dans les années à venir. L’information délivrée à ces couples à haut risque s’améliore, entraînant une augmentation des demandes.»
Et maintenant, quel avenir thérapeutique ? Des personnes atteintes toujours de mieux en mieux soignées pour des coûts de plus en plus élevés ? Ou, via le DPI, un nombre décroissant de personnes atteintes ?