Il y a quelques jours, les autorités sanitaires françaises décidaient de prolonger la campagne de vaccination contre la grippe, et ce jusqu’au 28 février. Soit un mois de plus que prévu. Raison invoquée : la progression actuelle de l’épidémie en France métropolitaine. «La grippe étant actuellement en phase ascendante en France, il est encore temps de se vacciner» viennent de faire savoir les autorités sanitaires. Elles précisaient aussi que les bons de prise en charge (par la collectivité) du vaccin antigrippal seraient valides jusqu’au 28 février. L’ensemble de l’Hexagone est concerné et toutes les régions connaissent une forte augmentation des consultations pour «syndromes grippaux». Parmi les cas graves identifiés par l’Institut national français de veille sanitaire (InVS), la moitié des patients sont âgés de 65 ans et plus, tandis que 89% présentaient un facteur de risque de complications. La majorité d’entre eux (mais pas la totalité) n’étaient pas vaccinés.
«Les virus circulant actuellement sont en majorité de type A(H3N2), souche responsable de formes compliquées chez les personnes à risque» précise, à Paris, la Direction générale de la santé. Mais elle ajoute aussi que le vaccin est «probablement moins efficace cette année contre cette souche». Pourquoi ? Les CDC américains ont publié à la mi-janvier une étude montrant que l’efficacité du vaccin saisonnier de l’hiver 2014-2015 était nettement plus basse que les années précédentes.1 De l’ordre de 23%. «Dans l’hémisphère Nord, c’est l’OMS qui décide durant le mois de février précédant la saison grippale quelles seront les trois souches de virus incluses dans le vaccin, rappelle le Dr Elisabeth Nicand, membre du comité technique des vaccinations au Haut conseil français de la santé publique. La composition dépend notamment de ce qu’on a observé lors de l’épidémie hivernale dans l’hémisphère Sud, entre juillet et septembre. Cette année, le vaccin vise deux souches de type A, H1N1 et H3N2, et une de type B.»
Il faut aussi rappeler que ces cinq dernières années, le sous-type dominant des épidémies saisonnières était le A(H1N1), issu de la célèbre pandémie de 2009. Or, cette année, les moteurs de l’épidémie grippale sont surtout de type A(H3N2), trouvés dans 62% des cas en France. Ces souches sont relativement nouvelles. Un autre facteur aggravant (établi par les CDC américains et par l’Institut Pasteur de Paris) est que la souche A(H3N2) qui circule actuellement a évolué entre le moment où la composition vaccinale a été décidée et le début de l’épidémie.
… Faut-il raisonnablement continuer à faire la promotion d’une armure vaccinale dont on sait qu’elle est percée ? …
Dans un tel contexte, une question doit immanquablement être soulevée : faut-il raisonnablement continuer à faire la promotion d’une armure vaccinale dont on sait qu’elle est percée ? C’est une question sanitaire, mais aussi mathématique, économique et, pour tout dire, philosophique. Pour les autorités sanitaires françaises, «le vaccin reste le meilleur outil de prévention même si son efficacité contre A(H3N2) n’est probablement pas optimale». On prévoit, d’ores et déjà, que pour l’hiver prochain le vaccin ne ciblera plus trois souches, mais quatre, avec l’ajout d’une souche de type B supplémentaire.
Reste, en France, une question sans réponse. «La mortalité toutes causes observées en semaine 03 (du 12 au 18 janvier) reste supérieure aux valeurs attendues et proche des valeurs des semaines passées, soulignent les épidémiologistes de l’InVS. La hausse de mortalité concerne essentiellement les personnes âgées de 85 ans et plus. La part attribuable à la grippe n’est pas connue.» Quand la connaîtra-t-on ? Aurait-elle pu être prévenue ?
L’autre grande question est celle de la prescription, ou pas, des traitements antiviraux. Prescription dès les premiers symptômes et sans attendre une très hypothétique confirmation virologique du diagnostic. Il est généralement tenu pour acquis, en France, que cette prescription permettrait de réduire la durée de l’hospitalisation, de la maladie et les formes sévères. C’est du moins ce que dit la Direction générale de la santé.
On en sait un peu plus sur ce sujet depuis quelques jours avec la publication, dans The Lancet,2 d’une méta-analyse présentée comme sans précédent et concernant l’oseltamivir (Tamiflu). Elle a été menée sous la direction du Pr Arnold Monto de l’Université de santé publique du Michigan, à partir de neuf essais randomisés contrôlés (publiés ou pas), réalisés entre 1997 et 2001 – essais menés avec le soutien financier des laboratoires Roche et totalisant 4328 patients. Administré deux fois par jour à la dose de 75 mg, dès les 36 heures suivant l’apparition des premiers symptômes et pour une durée de cinq jours, l’oseltamivir réduirait d’une journée la durée totale de l’infection et de 44% les surinfections respiratoires.
Une autre nouveauté en attente est celle du test de détection moléculaire. Un test de détection des virus influenza A et B, utilisable au cabinet – Alere i Influenza A & B (Alere Scarborough, Inc.) – vient d’être autorisé aux Etats-Unis par la FDA.3 «Cette décision concerne le premier test moléculaire à pouvoir être mis en œuvre dans des contextes cliniques où il ne pouvait pas être utilisé jusqu’à présent, précise Alberto Guttirerez (directeur de l’Office of In Vitro Diagnostic and Radiological Health de la FDA). Nous attendons le développement de nombreux tests moléculaires simples et sûrs dans un proche avenir.»
En pratique, ce test permet de détecter l’ARN des virus influenza A et B dans un échantillon prélevé par écouvillonnage nasal, écouvillonnage effectué chez un patient symptomatique. Le résultat est obtenu en quinze minutes, et il «peut être effectué en présence du patient». L’autorisation de la FDA a été donnée sur la base de données fournies par le fabricant montrant la facilité d’utilisation du test par un opérateur non entraîné, et le faible risque d’erreur de résultat. La FDA souligne qu’un résultat négatif n’exclut pas une infection à virus influenza.
En France, on parle, à l’endroit de ce type de dispositifs, de «test rapide d’orientation diagnostique» ou TROD. Un rapport sur le marché des TROD de la grippe avait été publié en avril 2013 par l’Agence française nationale de sécurité du médicament (Ansm).4 On comptait alors une vingtaine de tests immunologiques bénéficiant d’un marquage CE, et donc susceptibles d’être commercialisés dans l’Union européenne.
Ce rapport concluait de manière très mitigée : «Si la conception, les types de prélèvements, les temps de lecture et les conditions de stockage sont comparables pour tous les produits du marché, l’affichage des réactivités aux différentes souches connues, des limites de détection et la mise à disposition ou non de contrôles de qualité diffèrent selon les notices».
«Les choses vont vite et dans le bon sens. Quinze minutes seulement pour un diagnostic moléculaire… On ne peut dire que bravo» commente le Pr Alain Goudeau, chef du Service de bactériologie-virologie du CHU Bretonneau-Trousseau de Tours. Selon lui, les tests immunologiques rapides pour la grippe sont très médiocres et en fait inutilisables sérieusement pour orienter un éventuel traitement spécifique. L’analyse la plus rapide aujourd’hui, c’est la PCR+ FilmArray sensible et rapide (1 h) mais très coûteuse (plus de 100 €/test), multiplex (21 pathogènes) et inutilisable en cabinet de médecine de ville.
«Nous avons besoin d’un test rapide de grippe pour éviter les errances de 2009-2010 en période épidémique, ajoute le Pr Goudeau. Celui-là est peut-être le bon mais quand la FDA met son parapluie avec la phrase "le test est destiné à être utilisé comme aide au diagnostic, conjointement à l’évaluation d’autres facteurs de risque", elle se moque du monde. Le problème des TROD, c’est qu’on entend à peine le "O" et encore moins le "D". Qui prendrait la responsabilité des résultats erronés dans un pays saisi de fièvre médico-légale ?»