Les troubles du comportement alimentaire (TCA) désignent un ensemble de pathologies caractérisées par une relation à la nourriture ou un comportement alimentaire perturbés, avec un impact sur la santé physique, psychique et le fonctionnement de l’individu. Ils sont constitués principalement par l’anorexie mentale et la boulimie nerveuse, auxquelles s’ajoutent l’hyperphagie, les vomissements associés à d’autres perturbations psychologiques, et les autres troubles de l’alimentation. La prévalence des TCA semble relativement augmenter. Il est difficile de savoir si ce changement est en lien avec une réelle augmentation des troubles dans la population générale ou un diagnostic plus précoce,1–3 les critères diagnostiques dans la cinquième version du DSM ayant été par ailleurs revus.
L’approche traditionnelle dans la prise en charge psychiatrique des TCA, et de l’anorexie en particulier, a lieu en unité hospitalière. Cependant, plusieurs études sur l’efficacité des traitements hospitaliers évoquent des taux de réussite variables,4 avec un risque de rechute après l’hospitalisation autour de 30 à 50%.5
L’hôpital de jour (HDJ) constitue une alternative plus économique à l’hospitalisation. Il offre la possibilité de retarder une hospitalisation, forme une transition à la sortie de l’hôpital, et permet ainsi de réduire la durée du séjour hospitalier et les coûts qui en résultent. La réduction des coûts peut atteindre jusqu’à 70% environ selon les études.4 Les HDJ permettent également aux patients de maintenir leurs contacts sociaux souvent mis à mal par le trouble alimentaire lui-même, et ainsi de limiter la désinsertion sociale. Et lorsque les conditions le permettent, une activité scolaire ou professionnelle à temps partiel peut être envisagée parallèlement aux soins, limitant ainsi les coûts accessoires liés à la maladie de manière générale.
Les TCA sont caractérisés par un déni et une banalisation du trouble et de la souffrance, rendant difficile l’accès aux soins, surtout en hospitalier où une séparation d’avec l’environnement s’impose. L’accessibilité aux soins peut ainsi être favorisée par la prise en charge en HDJ qui, en dépit d’une forte intensité de soins, offre la possibilité du maintien à domicile. Malheureusement, la plupart des structures de type HDJ en Europe sont situées dans des zones urbaines, ce qui en limite l’accessibilité aux populations non urbaines.4,5,7–9
Si les HDJ comme modalité de soins en psychiatrie sont largement connus et décrits dans la littérature, leur application pour les TCA est relativement récente.6 La littérature sur les prises en charge des TCA en HDJ concerne surtout les patients présentant des diagnostics de boulimie nerveuse et d’anorexie mentale.5,7–9
Pour ce qui est de l’offre de soins, les HDJ ont en commun une approche psychothérapeutique groupale, notamment avec des médiations (corporelle, artistique), des aspects de psychoéducation et d’éducation nutritionnelle, des repas thérapeutiques, et une prise en compte des familles et des proches se déclinant sous différentes formes. Certaines structures s’inscrivant dans une approche cognitive-comportementale organisent les séances de groupe autour d’un thème, ou structurent le programme de soins en étapes.4 Par ailleurs, au sein d’un même courant psychothérapeutique, les pratiques en termes de groupes proposés et les indications diffèrent.
Le but du traitement en HDJ est généralement la normalisation du poids et des symptômes alimentaires, avec plus ou moins d’autres objectifs associés, ou d’autres interventions plus ciblées selon les centres. Les contre-indications communément admises sont un risque médical somatique aigu, avec une nécessité d’un plateau technique conséquent et, sur le plan psychiatrique, un tableau clinique avec une décompensation psychotique aiguë ou un risque suicidaire avéré. Certains HDJ ont d’autres contre-indications, comme les comorbidités psychiatriques, un échec d’un suivi hospitalier antérieur, un indice de masse corporelle (IMC) bas (inférieur à 16),5 des antécédents de passage à l’acte suicidaire et une fréquence de crises boulimiques très élevée.4
Les durées de prise en charge sont très variables, allant de quatre semaines à plus de neuf mois,8 certaines structures fixant au préalable une durée des soins tandis que pour d’autres, elle est définie en fonction de l’évolution clinique.
Les études publiées sur les prises en charge en HDJ s’accordent sur une efficacité des traitements, avec des taux de rémission qui varient de 27 à 70% à la fin du suivi.4,5,7,9 Cette efficacité est souvent mesurée à travers la normalisation pondérale et l’absence des symptômes spécifiques à la maladie.
Le traitement en HDJ fait ainsi partie des guidelines de l’APA (American Psychiatric Association) pour les prises en charge des TCA.10 Ces succès thérapeutiques semblent indépendants des spécificités de chaque structure.
Comme facteur d’efficacité, au-delà de la modalité de prise en soins groupale et de l’utilisation de médiations –points communs des différents centres décrits dans la littérature –, les patients suivis en HDJ transfèrent probablement plus facilement les compétences acquises pendant les soins dans leur environnement habituel, comparés aux patients suivis par une prise en charge hospitalière classique.
Quant aux bénéfices thérapeutiques au-delà des fins de traitements, peu d’études sont disponibles à ce jour. Toutefois, les évolutions et suivis pour les jeunes patients avec une anorexie mentale montrent également une efficacité comparable entre un HDJ et une hospitalisation pour ce qui est des résultats immédiats et à douze mois.7 Les études similaires pour la boulimie nerveuse retrouvent également une évolution favorable à 18 et 24 mois après une prise en charge en HDJ, évolution favorable toujours en termes de normalisation des symptômes.4,5 Par ailleurs, certains patients voient leur diagnostic changer au cours du suivi,7 donnée qui mériterait certainement d’être approfondie dans les futures études. Ces résultats concernent de petits échantillons, la question du drop-out étant récurrente. Des études multicentriques permettraient de recruter une population plus large, offrant plus facilement une généralisation des données.
Certaines études ont montré un impact du traitement sur la diminution des comorbidités des TCA, telles que les symptômes dépressifs.4 Cependant, de manière générale, peu d’études tiennent compte d’autres facteurs que les symptômes strictement alimentaires, excluant, dans le recrutement, des patients avec des comorbidités psychiatriques telles que l’abus de substances, le trouble bipolaire, la dépression sévère et les troubles de la personnalité graves. De plus, elles excluent des patients avec une évolution de la maladie de longue date. Ainsi, l’efficacité des traitements reste encore à confirmer pour ces patients, souvent plus chroniques et avec des comorbidités.
Une autre difficulté du recrutement des patients est inhérente à la pathologie elle-même, à savoir au déni du trouble et au sentiment de honte et de culpabilité associé. Les TCA diminuent la qualité de vie des patients, et les professionnels de la santé sont très souvent plus concernés que les patients par les symptômes physiques pouvant facilement mettre en jeu le pronostic vital.
Il reste néanmoins à déterminer si cette altération de la qualité de vie est en lien avec la sévérité des symptômes, et quelle est son évolution avec l’amendement ou pas des symptômes, surtout dans le cas où la maladie se chronicise.11
Afin d’affronter les limites décrites dans la littérature, l’HDJ des Espaces de soins pour les troubles du comportement alimentaire (ESCAL) du Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise des Hôpitaux universitaires de Genève a choisi d’accueillir des adultes présentant un TCA sans limitation liée au diagnostic TCA, ni aux comorbidités psychiatriques. Les seules contre-indications rejoignent celles classiquement décrites : urgences somatiques engageant le pronostic vital et nécessitant un plateau technique important peu compatible avec un suivi ambulatoire et, sur le plan psychiatrique, une décompensation psychotique grave ou un risque suicidaire élevé.
La prise en charge y est groupale et individuelle. Le suivi psychothérapeutique individuel avec une orientation psychodynamique permet de définir des objectifs spécifiques propres à chaque patient, et de favoriser une alliance thérapeutique privilégiée avec un médecin psychiatre et un infirmier référents. Ce suivi individuel permet également un travail de liaison avec la famille et le réseau du patient. Les psychothérapies de groupe incluent des médiations verbales, artistiques, corporelles et dans le milieu. Elles favorisent ainsi la connaissance non seulement de la maladie mais également des ressources des patients, notamment leurs compétences relationnelles et sociales. Le groupe multi-familial réunit mensuellement les proches, les patients et les soignants en leur offrant un espace de parole et de partage affectif.
L’alternance d’approches individuelles et groupales, ainsi que les échanges entre pairs et avec l’équipe soignante, permettent l’intégration des différentes facettes de la personnalité et de l’histoire du patient. Le modèle de soin est celui de la communauté thérapeutique, qui utilise le dispositif soignant pour faciliter des changements psychologiques à travers un processus qui inclut la combinaison de moments formels, structurés, et de moments informels et libres.12
Une batterie d’évaluations standardisées a été mise en place depuis son ouverture, qui inclut notamment, en plus de la symptomatologie alimentaire, une mesure de la qualité de vie, des comorbidités psychiatriques et des caractéristiques individuelles des patients.
Les études actuelles sur la prise en charge des patients présentant un TCA ont le mérite d’aborder une problématique épineuse et un challenge thérapeutique important. Elles soulignent l’efficacité des traitements en HDJ comparée à la prise en charge traditionnelle hospitalière. Une brève revue de la littérature, bien que non exhaustive, révèle que les études sont peu nombreuses, avec des échantillons petits, des critères de sélection restreints et une description peu détaillée des structures, ce qui constitue un frein à la généralisation des résultats.
Des études regroupant plusieurs centres de traitement favoriseraient des échantillons plus grands. A travers ses soins ambulatoires intensifs dans le milieu du patient, l’HDJ pourrait également plus facilement se prêter à l’étude de l’impact des TCA sur leur qualité de vie. En effet, cet aspect reste jusque-là peu étudié, comparé au critère d’évaluation classique qui se limite à mesurer la diminution des symptômes alimentaires. Les avantages économiques des HDJ étant établis, les recherches futures devront aborder à présent davantage les déterminants et les mécanismes sous-jacents au bénéfice psychothérapeutique des HDJ pour les patients TCA.
> Le traitement des troubles du comportement alimentaire (TCA) en hôpital de jour (HDJ) constitue une alternative efficace en comparaison à la prise en charge traditionnelle en hôpital, aussi bien pour l’anorexie mentale que pour la boulimie nerveuse
> Les patients présentant un TCA ont souvent d’autres comorbidités psychiatriques dont les professionnels de la santé doivent tenir compte
> L’acceptation des soins pour les patients avec un TCA peut être favorisée par une prise en charge en HDJ