L’ablation de la fibrillation auriculaire est une intervention potentiellement curative proposée à des patients symptomatiques. Les résultats à long terme de l’ablation sont satisfaisants lorsque l’arythmie est encore dans sa phase dite paroxystique, en l’absence de cardiopathies structurelles. Toutefois, cette intervention présente un faible taux de complications, mais pour certaines majeures telles que des événements thromboemboliques et/ou des accidents hémorragiques. Une prise en charge optimale de l’anticoagulation durant la phase péri-interventionnelle est ainsi primordiale afin de limiter le risque d’événements thromboemboliques et hémorragiques.
La fibrillation auriculaire (FA) est l’arythmie cardiaque la plus fréquente en Occident. Elle est grevée d’une morbi-mortalité importante. Depuis la découverte du rôle primordial des veines pulmonaires dans l’initiation de la FA, l’isolation de ces veines est devenue un traitement de choix pour un nombre croissant de patients. Cette option thérapeutique est le plus souvent envisagée lorsque la FA, qu’elle soit paroxystique ou persistante de courte durée (idéalement < 1 an), est symptomatique. Jusqu’il y a peu, la FA devait être résistante à au moins un traitement antiarythmique bien conduit (tableau 1). La tendance actuelle est de proposer cette approche d’emblée lorsque la FA est paroxystique au vu des excellents résultats obtenus en comparaison des traitements antiarythmiques.1
L’ablation de FA est une procédure de plus en plus fréquente (environ 50 000/an aux Etats-Unis et environ 60 000/an en Europe)2 avec des résultats satisfaisants à long terme (70-80% de succès après 1,5 procédure). Durant la période péri-interventionnelle, il existe deux risques majeurs en lien avec la procédure : les événements thromboemboliques (AIT (accident ischémique transitoire)/AVC (accident vasculaire cérébral)/embolisation systémique) et les événements hémorragiques (tamponnade/complications au site d’accès vasculaire). Une récente enquête multicentrique incluant > 20 000 patients estime que ces complications s’élèvent à environ 1,2 et 0,9% respectivement.3,4 Celles-ci sont en lien direct avec la complexité de l’ablation de la FA, les caractéristiques cliniques des patients opérés et également la nécessité à maintenir une anticoagulation efficace durant et après l’intervention.
Afin de diminuer l’incidence de complications majeures, l’utilisation optimale d’une anticoagulation efficace durant la phase péri-interventionnelle reste primordiale. Cet article aborde le sujet de l’anticoagulation durant la période pré, per et postablation de la FA et tente de donner une approche clinique pratique chez ces patients devant bénéficier prochainement de cette intervention.
En dehors des paramètres cliniques bien connus liés à un risque thromboembolique augmenté (score de CHA2DS2-VASc),4 l’ablation de FA crée des conditions favorables à la formation de thrombus :
Toutes ces manœuvres, parallèlement à l’amélioration des technologies d’ablation, ont permis de diminuer significativement l’incidence d’événements thromboemboliques qui s’élevait à 5-6%5 dans les années 2000 pour arriver à un taux de 1,2%3 (basé sur une enquête mondiale incluant environ 20 000 procédures d’ablation).
En pratique :
Concernant la période péri-interventionnelle, la méthode d’anticoagulation optimale reste pour le moment indéterminée et il existe différentes stratégies d’anticoagulation que nous allons aborder de manière plus détaillée.
Depuis le début de l’ablation de la FA, l’approche la plus commune en termes d’anticoagulation est de stopper les AVK trois à cinq jours avant l’intervention avec relais par une héparine de bas poids moléculaire (HBPM), approche nommée bridging therapy. Le but est de débuter l’intervention sans qu’aucun effet anticoagulant systémique ne soit présent, en prescrivant la dernière dose d’HBPM le soir avant la procédure. L’anticoagulation par HNF (but : ACT 300-400 secondes) est débutée après l’obtention des accès vasculaires, une fois la ponction transseptale (pour accéder à l’OG) réalisée.
En postablation, une HNF ou une HBPM est prescrite et les AVK sont réinstaurés environ 48 h après l’intervention.
Au cours de ces dernières années, l’approche consistant à arrêter transitoirement les AVK avec relais par de l’héparine ou bridging therapy a été progressivement remplacée par une approche effectuée sous un INR thérapeutique ou ablation under uninterrupted warfarin. En effet, plusieurs études6–11 ont montré que cette approche était associée à une diminution de l’incidence des complications thromboemboliques (AIT/AVC/embolisations silencieuses),8 sans augmentation des complications hémorragiques. Lors de la bridging therapy, un taux de complications hémorragiques mineures, notamment vasculaires comme les hématomes au niveau du point de ponction fémoral, a été observé suite à la double anticoagulation administrée le temps d’atteindre un INR efficace.
L’ablation de FA sous un INR thérapeutique (idéalement : INR compris entre 2-2,5) figure même comme une alternative à la bridging therapy dans le consensus d’experts publié par les grandes sociétés américaines et européennes de rythmologie en 2012 ;4 selon une enquête européenne récente comprenant 78 centres dans vingt pays différents, cette approche est pratiquée chez 72% des patients.12
Kim et coll. ont montré que l’INR idéal est entre 2-2,5,13 en effet, quand l’INR était < 2 ou > 3, il y avait un risque plus élevé de complications thromboemboliques et hémorragiques. Les patients avec un INR < 2 avaient un risque deux fois plus élevé de souffrir d’un événement embolique mais également hémorragique (complications vasculaires) ; ces dernières étant encore une fois liées à l’utilisation plus fréquente d’HBPM (avant et après l’ablation) avec l’effet additif de deux anticoagulants.
En résumé, pour les patients sous AVK, l’approche préconisée est d’effectuer l’ablation de la FA sans interruption de l’anticoagulation orale (ablation under uninterrupted warfarin), c’est-à-dire sous un INR thérapeutique et si possible sans administrer d’HBPM supplémentaire. L’INR réalisé quatre et deux semaines avant l’intervention devrait être compris entre 2 et 3, idéalement entre 2 et 2,5.
Depuis la commercialisation des NACO et de l’effet bénéfique en termes de protection thromboembolique et hémorragique cérébrale dans la FA,14–16 un nombre significatif de patients référés pour une ablation sont au bénéfice d’un tel traitement.17 Il existe peu d’études publiées concernant l’utilisation des NACO durant la phase périablation de FA et l’expérience clinique avec ces nouveaux agents reste ainsi limitée. Malgré leurs avantages certains par rapport aux AVK (peu ou pas d’interactions alimentaires, pas de surveillance nécessaire, action anticoagulante rapide), les problèmes rencontrés avec les NACO sont d’une part, l’impossibilité de déterminer le degré exact d’anticoagulation (compliance ? surdosage ?) et d’autre part, l’absence d’antidote spécifique. Malgré le peu d’études effectuées pour le moment, certaines observations importantes peuvent être rapportées.18
Depuis l’approbation du dabigatran en prévention des AVC par la FDA en 2010, plusieurs études observationnelles ont été publiées sur l’utilisation de ce NACO durant la période périablation de FA.
La première étude observationnelle multicentrique19 a inclus 145 patients chez lesquels la dose de dabigatran n’a pas été prescrite le jour de l’ablation comparés à 145 patients ayant un INR thérapeutique compris entre 2 et 3. La dose de dabigatran de 2 x 150 mg/j a été reprise 3 h après l’ablation. Chez la plupart des patients, l’ablation de FA a été réalisée à un temps correspondant en moyenne à 1,5 x la demi-vie d’élimination du dabigatran. 14% du groupe dabigatran et 6% du groupe INR thérapeutique ont présenté un événement hémorragique (mineur et majeur, p = 0,031) et trois patients du groupe dabigatran ont eu un événement thromboembolique vs 0 événement dans le groupe INR thérapeutique. Les auteurs ont conclu que le risque hémorragique et thromboembolique était plus important sous dabigatran. Par la suite, une seconde étude monocentrique incluant 999 patients et d’autres études observationnelles de plus petite taille17,20–22 ont démontré la non-infériorité d’une approche consistant à stopper le dabigatran (2 x 150 mg/j) 12 à 24 h avant l’ablation puis à la reprendre 4 à 5 h après la procédure, par rapport à celle réalisée sous un INR thérapeutique.
Ces résultats discordants pourraient être expliqués par le fait que les complications hémorragiques lors de l’ablation de FA ne sont pas toujours en lien avec l’anticoagulation et dépendent également de l’expérience clinique et de la technique d’ablation utilisée. Il n’est pas exclu que dans la première étude, dont les résultats provenaient de huit centres différents, il y ait eu un taux de complications plus élevé dans un seul centre (non stipulé dans l’étude), expliquant la forte incidence de complications majeures retrouvées dans les deux groupes de l’étude. De plus, il a été montré par la suite que les patients anticoagulés par dabigatran ont besoin d’une dose d’héparine 1,5-2 x plus importante pour atteindre un ACT cible et que le temps pour l’atteindre était plus élevé comparés aux patients avec un INR thérapeutique.20,21,23 Il est aussi possible que les doses d’HNF aient pu être adaptées plus rapidement au fil de l’expérience dans les études monocentriques observationnelles – et que cette adaptation n’ait pu avoir lieu lorsque l’étude a été réalisée de manière multicentrique – expliquant le taux de complications plus faible dans ces dernières.
Chez les neuf patients19 du groupe dabigatran (stoppé 12-24 h avant l’ablation) ayant développé une tamponnade, le saignement a pu être contrôlé par un drainage péricardique seul ; aucun des patients n’a nécessité de sternotomie en vue d’une hémostase chirurgicale ni d’administration de facteurs de coagulation ou d’hémodialyse dans le but d’éliminer l’excédent de dabigatran.
Concernant la période postablation, en l’absence de complications vasculaires et à distance de la dernière dose d’HNF, le dabigatran pourrait être réinstauré 3 à 5 h après la procédure.
En résumé, le dabigatran semble une alternative possible aux autres anticoagulants oraux (ACO) dans la période périopératoire d’une ablation de FA, mais la période optimale d’interruption avant l’ablation reste pour le moment indéterminée ; il n’est pas exclu qu’un arrêt de 12 h avant la procédure soit associé à un risque augmenté d’événements hémorragiques. Jusqu’à la publication de plus grandes études randomisées et contrôlées, le dabigatran devrait être interrompu au moins 24 h avant l’ablation puis repris 3 à 5 heures après la procédure en l’absence de complications hémorragiques.
Le rivaroxaban a été le deuxième NACO accepté par la FDA pour la prévention des événements thromboemboliques de la FA. Il existe cependant moins de données que pour le dabigatran concernant son utilisation durant la période périablation de FA. Deux études observationnelles ont été publiées, comparant des sujets ablatés sans interruption du rivaroxaban à des sujets matchés ablatés sous un INR thérapeutique.24,25 Une première incluant 372 patients dont la dernière dose de rivaroxaban a été prescrite < 12 h avant l’ablation (57% des cas 2 à 6 h et 43% des cas 6 à 12 h avant l’ablation) et une deuxième étude multicentrique incluant 321 patients dont la dernière dose de rivaroxaban a été prescrite le soir avant la procédure. Ces deux études ont démontré la non-infériorité de l’approche sous rivaroxaban en termes d’événements thromboemboliques et hémorragiques.
Dans ces deux études il y a eu au total quatre cas de tamponnades, dont trois ont pu être traités conservativement (drainage péricardique ± facteurs de coagulation) dans le groupe rivaroxaban. Un patient a dû être opéré en urgence en raison d’une perforation de l’OG ; cette complication pourrait être secondaire à une erreur technique, mais souligne le fait qu’il faut davantage de données concernant la non-interruption du rivaroxaban dans l’ablation de la FA. De plus, tout comme le dabigatran, il n’existe pas encore d’antidotes spécifiques en cas de complications majeures comme celles décrites ci-dessus. Malgré des résultats préliminaires plutôt encourageants sur l’utilisation du rivaroxaban dans la phase périablation, il paraît raisonnable d’attendre les résultats de plus grandes études à venir. Une étude multicentrique (VENTURE-AF)26 comparant le rivaroxaban à la non-interruption des AVK avant et après ablation de FA est en cours et nous donnera plus d’informations sur l’utilisation de ce NACO durant la phase périablation.
En pratique, le rivaroxaban devrait être stoppé au moins 24 h avant l’ablation de FA puis repris 3 à 5 heures après cette dernière en l’absence de complications hémorragiques.
Concernant l’apixaban, le deuxième NACO inhibiteur du facteur Xa, il n’existe pas encore d’étude concernant l’utilisation de ce dernier durant la phase périablation de FA.
Lors de l’ablation de la FA de patients sous traitement de NACO interrompu, l’opérateur doit s’attendre à devoir administrer une dose plus importante d’héparine avec, en parallèle, des contrôles plus fréquents de l’ACT afin d’obtenir une anticoagulation efficace dans un laps de temps optimal.
Même si ce n’est pas le sujet de cet article, il est important de rappeler que l’ablation de FA, chez des patients au bénéfice également d’un antiagrégant plaquettaire (AAS/Plavix), est associée bien évidemment à un risque hémorragique augmenté. Le traitement antiagrégant devrait être interrompu au moins cinq jours avant l’ablation en l’absence de contre-indication.
Comme on l’a vu précédemment, la phase périablation de FA comprend les conditions favorables à la formation de thrombus ; ce risque est le plus important durant les deux premières semaines suivant une ablation de FA, d’où l’importance de maintenir une anticoagulation efficace.27 En plus du score thromboembolique (CHA2DS2-VASc), les patients présentant une dilatation atriale importante (fibrose étendue), par ailleurs fréquente lors de FA persistante, sont les plus à risque thromboembolique.
La figure 1 montre un algorithme de prise en charge de l’anticoagulation pour les patients bénéficiant d’une ablation de FA.
Avant l’ablation de FA : quatre semaines d’anticoagulation efficace (AVK sans interruption avec comme : INR cible une valeur comprise entre 2 et 3 ; NACO : arrêt du dabigatran (12)-24 h et rivaroxaban 24 h avant l’intervention) + échocardiographie transœsophagienne.
Durant l’ablation de FA : héparine (but : ACT entre 300-400 secondes).
Après l’ablation de FA : poursuite des AVK ou reprise des NACO 3 à 5 h en l’absence de complications vasculaires et d’épanchement péricardique à l’échocardiographie transthoracique.
Poursuite de l’anticoagulation pour au moins deux mois en sachant que le risque thromboembolique est le plus élevé dans les deux premières semaines postablation. L’arrêt de l’anticoagulation sera décidé en fonction du succès de l’ablation, des risques thromboemboliques et hémorragiques.
L’utilisation de l’anticoagulation durant la phase péri-interventionnelle d’une FA doit se faire de manière précise et rigoureuse dans le but de limiter les complications majeures inhérentes à ce type de procédure (thromboemboliques et/ou hémorragiques). Alors que plusieurs études récentes montrent que l’ablation de la FA peut être réalisée avec un risque contrôlé chez des patients avec un INR thérapeutique, des données supplémentaires sont encore nécessaires concernant l’utilisation optimale des NACO durant la phase péri-interventionnelle.
> Un patient doit être efficacement anticoagulé au moins quatre semaines avant une ablation de fibrillation auriculaire (FA)
> L’utilisation de l’anticoagulation durant la phase péri-interventionnelle d’une ablation de FA doit se faire de manière précise et rigoureuse dans le but de limiter les complications majeures inhérentes à ce type de procédure (événements thromboemboliques et/ou hémorragiques)
> Le risque d’événements thromboemboliques est le plus élevé durant les deux premières semaines suivant une ablation de FA
Catheter ablation of atrial fibrillation (AF) has been increasingly performed and has become a standard of care treatment option for drug-refractory symptomatic patients. However, this procedure has been associated with major complications, like thromboembolic or bleeding events.Optimal periprocedural anticoagulation strategy is essential for minimizing these complications. In this article, we review current anticoagulation strategies, including use of oral anticoagulation with Vit-K-Antagonists, as well as use of direct oral anticoagulants in the periprocedural settings of AF ablation.