C’est une tribune bien problématique publiée dans le dernier numéro de la Revue du Praticien. Elle est signée de deux spécialistes français : le Pr Alexandra Benachi (Service de gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction, Hôpital Antoine-Béclère, Université Paris-Sud, Clamart) et le Dr Jean-Marc Costa (Laboratoire Cerba, Saint-Ouen-l’Aumône). Ce texte expose, à sa façon, les arguments qui devraient conduire les autorités sanitaires françaises à autoriser au plus vite les nouvelles techniques diagnostiques qui permettraient de passer à une nouvelle étape du dépistage anténatal des trisomies 21. Ces arguments ne sont nullement négligeables et ils doivent être entendus. On ne saurait pour autant les entendre sans les replacer dans un contexte plus large, de nature éthique. C’est l’objet de ce «Point de vue».
La France occupe une position bien particulière dans le domaine du dépistage anténatal des anomalies chromosomiques – un dépistage systématiquement proposé aux femmes enceintes. Le dernier texte officiel sur ce thème est un arrêté daté du 23 juin 2009 ; arrêté ministériel «relatif à l’information, à la demande et au consentement de la femme enceinte à la réalisation d’une analyse portant sur les marqueurs sériques maternels et à la réalisation du prélèvement et des analyses en vue d’un diagnostic prénatal in utero». En clair, ce texte fixe les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage de la trisomie 21. Il prévoit notamment que «toute femme enceinte, quel que soit son âge, est informée de la possibilité de recourir à un dépistage combiné permettant d’évaluer le risque de trisomie 21 pour l’enfant à naître». «Après avoir demandé la réalisation de cette analyse, la femme enceinte exprime son consentement par écrit» prévoit encore ce texte. Un formulaire type figurant en annexe (document signé par la femme) atteste de l’information délivrée à la femme enceinte et de son consentement.
Une fois cette formalité accomplie, le dépistage associe le dosage des marqueurs sériques du premier trimestre (réalisé à partir d’un prélèvement sanguin de la femme) et les mesures échographiques de la clarté nucale et de la longueur cranio-caudale.1 En d’autres termes, il est admis, en France et depuis 2009, qu’il est obligatoire de proposer le dépistage. Chaque femme choisit si elle souhaite ou non avoir recours à ce test. Les chiffres montrent que la très grande majorité des femmes acceptent la pratique de ce test. Quelques (rares) études ont montré que toutes ne saisissent pas d’emblée la pleine signification de ce qui leur est proposé.
Les contrôles de qualité (tant des dosages des marqueurs sériques que de la mesure de la clarté nucale) permettent, en théorie, une homogénéité de la qualité de l’offre sur l’ensemble du territoire national. Lorsque le risque déterminé par ce dépistage est supérieur ou égal à 1/250, il est proposé à la patiente un geste invasif pour l’établissement du caryotype fœtal – biopsie de trophoblaste ou amniocentèse, en fonction du terme. On sait que le risque (moyen) de fausse couche est de 1%. Les travaux de l’Agence française de la biomédecine2 montrent que chaque année le dépistage actuel révèle environ 4% de femmes «à risque». Rapporté à environ 700 000 femmes enceintes qui, chaque année, acceptent la procédure, cela correspond à 28 000 patientes. Parmi elles, plus de 20 000 ont recours à un «geste invasif» et environ un millier d’anomalies chromosomiques sont diagnostiquées.
«La valeur prédictive positive de ce test est de 1/20, ce qui signifie qu’il faut prélever 20 patientes pour mettre en évidence un fœtus porteur de trisomie 21» précisent les auteurs de la tribune de la Revue du Praticien. Ils ajoutent que depuis 2008, le diagnostic de trisomie 21 chez le fœtus est devenu possible à partir d’une prise de sang faite chez la mère – et ce grâce à l’analyse de l’ADN fœtal plasmatique, d’origine essentiellement placentaire, présent dans le sang maternel circulant.3 «De nombreuses techniques ont été décrites dans la littérature, mais le principe de base est toujours le même, expliquent-ils. L’ADN maternel et celui du fœtus ne sont pas séparés, l’ADN circulant est quantifié pour mettre en évidence la fraction d’ADN en excès provenant du chromosome impliqué lorsque le fœtus est porteur d’une aneuploïdie. La méthode la plus utilisée actuellement fait appel à la quantification par séquençage massif en parallèle dit "à haut débit" ou "next generation sequencing" (NGS).»
Ils ajoutent que ces tests ont été imaginés et développés par des laboratoires de recherche des Universités de Stanford ou de Hong Kong, puis que des entreprises de biotechnologie ont rapidement pris le relais. Il existe actuellement, à travers le monde, une dizaine d’entreprises spécialisées dans le développement de ces tests. Les importants budgets investis ont permis à certaines de commercialiser ces tests à très grande échelle dès l’automne 2011. C’est là un nouveau marché en expansion, caractérisé par une compétition particulièrement vive. Sont-ils des tests de dépistage ou des tests diagnostiques ? La question est importante.
«Ces nouveaux tests sont fiables mais ne sont pas des tests diagnostiques : ce sont des tests de dépistage, soulignent le Pr Alexandra Benachi et le Dr Jean-Marc Costa. Il est important de comprendre que l’ADN analysé provient en réalité du placenta, donc les informations obtenues à partir de ces tests sont celles du placenta et non du fœtus lui-même. De nombreuses publications rapportent des résultats très encourageants avec une sensibilité et une spécificité supérieures à 99%. Avec l’utilisation de plus en plus fréquente de ces tests, des cas de faux négatifs et faux positifs sont apparus.»
… «Ces nouveaux tests sont fiables mais ne sont pas des tests diagnos-tiques : ce sont des tests de dépistage» …
Il s’agit ici d’anomalies cytogénétiques maternelles (somatiques ou tumorales), des jumeaux évanescents (arrêt du développement d’un des embryons en cas de grossesse multiple) porteurs d’anomalies chromosomiques ou encore des anomalies chromosomiques restreintes au seul pla-centa. Quoique peu fréquents, ces cas (décrits dans la littérature spécialisée) sont de nature à générer des résultats faussement positifs. Ces tests génétiques se limitent pour l’heure à la détection des trisomies 21, 13 et 18, aussi des pertes d’informations sont inévitables : des anomalies chromosomiques sans anomalie échographique ne sont pas diagnostiquées en l’absence de «prélèvements invasifs» et de réalisation d’un caryotype. «En 2011, ces cas représentaient environ 1% des anomalies diagnostiquées au caryotype, observent les auteurs de la tribune. Pour toutes ces raisons, un test génétique non invasif positif doit être vérifié par un geste invasif pour confirmer le diagnostic d’anomalie chromosomique avant toute décision sur l’issue de la grossesse.»
C’est dire s’il est, selon eux, important de bien faire la part de ce qui est du ressort du diagnostic et de l’ordre du dépistage. «Tant qu’il en sera ainsi, ces tests ne peuvent pas être utilisés comme des tests diagnostiques mais seulement comme des tests de dépistage» insistent-ils à l’attention des lecteurs habituels de la Revue du Praticien certes, mais aussi des autorités sanitaires françaises. Selon eux, le passage de la démonstration du concept à la pratique clinique a été si rapide qu’il serait désormais possible d’affirmer, en ce début de l’année 2015, que ce test doit désormais faire partie des outils utiles pour la prise en charge des femmes enceintes qui, en France, donnent leur accord de principe pour ce dépistage. A quel prix ?
(A suivre)