Juger ou soigner ? Il est des magistrates qui aiment faire des phrases. La présidente du tribunal correctionnel de Tours (Indre-et-Loire) jugeait, mardi 3 mars 2015, un malade. Amathey (le prénom n’a pas été changé) est un cas pathologique hors de l’ordinaire : victime d’une assuétude massive aux somnifères. L’homme vit aux lisières de la société française. Sa dépendance l’a conduit à commettre des larcins. Beaucoup. Cette fois, il s’agissait de téléphones portables. Comparution immédiate. Les magistrats ont de la mémoire : c’était la treizième fois qu’ils avaient à juger Amathey.
La présidente : «Vous vous complaisez dans la délinquance astucieuse depuis 2005».
Amathey : «J’ai tout gâché».
Présente sur les lieux, La Nouvelle République du Centre-Ouest a rapporté la raison unique des larcins récurrents d’Amathey : l’obsession de dormir. Quitte à voler, quitte à falsifier des ordonnances pour se procurer, coûte que coûte, des quantités considérables de somnifères. Des somnifères qui lui seront délivrés (sans trop de difficultés) par les pharmaciens des officines tourangelles. C’est une consommation au-delà du pathologique, une consommation stupéfiante, une haute maladie du sommeil pharmaceutique, une auto-sédation qui vaudrait publication. Les forces de police établiront qu’Amathey était arrivé à quatre boîtes par jour. Une consommation de 209 boîtes, acquises ces dernières semaines dans soixante-trois officines.
Il y a peu encore, Amathey avait d’autres rêves. Il se voyait Chamois Niortais (un club de football où l’on chante «Ensemble atteindre les sommets»). Arrivé du Togo vers l’an 2000, l’adolescent avait une ouverture au célèbre centre de formation du club des Deux-Sèvres. Ouverture aléatoire. Puis la découverte que le football professionnel français n’était pas fait pour lui. En 2003, il tombe malade. Plus de football. Puis la découverte, en 2005, d’une autre pathologie, incurable dira-t-on au tribunal correctionnel.
Cette fois, il a donc volé des téléphones portables dans une grande surface tourangelle. Et, dans la foulée, il s’est procuré frauduleusement des ordonnances vierges pour s’approvisionner en somnifères. Un trafic qui durait depuis mars 2014. Cette délinquance astucieuse dans laquelle Amathey se complaît n’est plus tenable. Amathey en convient volontiers.
A Tours, la substitut du procureur de la République fait observer à la présidente du tribunal que toute la panoplie des peines alternatives a été utilisée. Pas d’autre choix que de requérir le retour en détention (douze mois requis dont trois avec sursis et mise à l’épreuve) de cet homme. «Un homme à la personnalité atypique, intoxiqué aux médicaments, en pleine dérive» écrira La Nouvelle République du Centre-Ouest.
L’avocate du prévenu rappelle ensuite de quand date la descente aux enfers : de la découverte, en 2005, de sa maladie incurable. Pour parler de cette addiction aux somnifères, Me Croisé parlera de suicide lent. Elle dira aussi que son client mourra de solitude. Et l’avocate de conclure : «Sa place est dans un centre médicalisé.»
Médicaliser la délinquance récurrente ? La présidente ne l’entend pas de cette oreille. Après délibéré, le tribunal condamne Amathey Mensah à douze mois d’emprisonnement et décerne un mandat de dépôt. Comment dort-on en prison ?
Il y a quelques jours, on apprenait la condamnation de l’Etat français après un suicide à la maison d’arrêt de Tours. Le suicidé avait 17 ans. Suicide par pendaison en décembre 2010. Le jeune homme venait d’être placé en détention provisoire. Le procureur de la République : «Tout confirme l’hypothèse du suicide. L’autopsie réalisée confirme la mort par strangulation (…). Il s’est pendu à la grille de sa cellule avec les draps de son lit dont il a fait des bandelettes». L’incarcération venait d’être décidée par un juge : ce jeune homme s’était échappé du centre d’éducation fermé où il avait été initialement placé. A la suite d’une récente interpellation, le juge avait décidé de le renvoyer dans le centre d’éducation fermé. Mais, pendant le voyage, il avait «faussé compagnie aux éducateurs» et avait été rapidement retrouvé. Puis placé en maison d’arrêt.
Le jeune homme était de nationalité française. Ses obsèques furent célébrées en Algérie, où vivait son père. Il avait laissé un mot à l’intention de sa mère «pour expliquer son geste» avait ajouté le procureur de la République.
Quatre ans plus tard, l’affaire refait surface. Et grâce à La Nouvelle République du Centre-Ouest , encore elle, on en sait un peu plus. Il y avait eu, au départ, une affaire d’agression sexuelle contestée. Puis la plaignante était revenue sur son témoignage. Le jeune homme avait tout d’abord été incarcéré à la maison d’arrêt à Tours en mars 2010. En juin, il était placé sous contrôle judiciaire dans un centre éducatif fermé dans le sud de la France. Le 16 décembre, il était reconduit à Tours, sur décision de justice «compte tenu du mauvais déroulement de son contrôle judiciaire». C’est le lendemain qu’il sera retrouvé mort. Le risque suicidaire avait été mentionné sur la notice individuelle du prévenu mineur par le juge d’instruction. Cette notice avait suivi et était arrivée à la maison d’arrêt de Tours – où le jeune homme avait été examiné dès son arrivée.
«Aucun risque n’est alors mis en avant. Mais le comportement du jeune homme change au cours de la journée. Jusqu’au drame» a rapporté le quotidien régional. En décembre 2013, la famille saisit le tribunal administratif d’Orléans. Ce dernier vient de rendre son jugement. Il condamne l’Etat français à «verser des sommes d’argent au titre du préjudice moral aux membres de la famille et aux représentants légaux du jeune homme».
Combien «d’argent» ? On ne le dit pas. Pourquoi «de l’argent» ? Pour «des dysfonctionnements qui ont conduit à un défaut de surveillance adaptée, constitutif d’une faute de l’administration pénitentiaire de nature à engager la responsabilité de l’Etat».
«C’est une grande satisfaction», a déclaré à la presse Me Christophe Moysan, qui défendait les intérêts de l’adolescent. Le volet pénal du dossier (pour homicide involontaire), lui, est toujours en cours. «L’enquête est terminée. Le dossier est renvoyé devant le procureur qui doit prendre ses réquisitions. La famille attend avec impatience l’analyse du juge d’instruction», précise l’avocat. Comment peut-on se suicider dans une maison d’arrêt en général, dans celle de Tours en particulier ? L’administration pénitentiaire ne semble pas encore en mesure de répondre.
Créé par le Conseil de l’Europe, le Comité de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT – www.cpt.coe.int/fr/) célébrait il y a quelques jours son premier quart de siècle. Cette institution humaniste a pour mission de détecter et prévenir les mauvais traitements dont peuvent être victimes les prisonniers et les personnes privées de liberté – y compris dans les institutions de soins. On compte quinze médecins parmi ses quarante-sept membres, nommés pour quatre ans par chacun des pays membres du Conseil de l’Europe.
Pour ce Comité, le fait de priver les prisonniers d’un accès suffisant aux soins constitue un traitement dégradant et injustifié. Après avoir dénoncé de nombreuses situations intolérables au cours des dernières années (en France y compris), cette institution souhaite contribuer à renforcer la formation des médecins pénitenciers et améliorer certains aspects trop longtemps négligés de la santé en prison. «La France a un grave problème de toxicomanie dans ses prisons, mais n’y autorise toujours pas les échanges de seringues, pourtant permis à l’extérieur, explique le Pr Hans Wolff, médecin-chef des prisons de Genève, cité par Le Quotidien du Médecin . Cette situation se retrouve dans plusieurs autres pays et le CPT s’apprête à demander que les détenus bénéficient eux aussi de programmes d’échanges de seringues, dans l’intérêt de leur santé, selon le principe d’équivalence entre la prison et l’extérieur.»
Le Pr Wolff estime en outre que les prisonniers qui effectuent des tatouages doivent pouvoir le faire dans des conditions d’hygiène correcte sans risque de contracter une infection. Se tatouer dans les prisons françaises ?