L’objectif principal de ce projet d’extension des prestations, de type Antenne d’intervention dans le milieu pour enfants et adolescents (AIMEA) aux foyers socio-éducatifs pour l’ensemble du canton de Vaud, vise à décloisonner les champs socio-éducatifs et pédopsychiatriques. 64 patients ont fait l’objet d’une évaluation au cours de la phase pilote (après une année de fonctionnement). De plus, une enquête de satisfaction a été effectuée soit à la fin du suivi, soit à la fin de la phase pilote de ce projet (au 31.12.2012). Cette expérience très positive, relevée par une grande majorité des acteurs impliqués dans la prise en charge socio-éducative et pédopsychiatrique des mineurs, suscite un désir d’extension des prestations de type équipe mobile à d’autres structures ou à d’autres types de situations.
La prévalence des troubles psychiques chez l’adolescent est estimée à 20%,1 un chiffre très élevé qui conduit à un effet de saturation des files actives de pédopsychiatrie par les cas qui ne sont pas nécessairement les plus graves. Cette prévalence ne peut être que plus élevée dans les foyers d’accueil qui sélectionnent une population fragilisée et à risque.2 Le signalement d’un enfant ou d’un adolescent, dont le développement psychoaffectif est susceptible d’être compromis par le contexte environnemental dans lequel il évolue, témoigne le plus souvent d’une histoire de vie compliquée, marquée par des carences multiples, des discontinuités, des ruptures et de possibles traumatismes. Ces éléments environnementaux sont susceptibles d’engendrer différentes pathologies psychiatriques3 (par exemple, troubles de l’attachement précoce, troubles anxieux, troubles dépressifs et conduites suicidaires, troubles des conduites, troubles de la personnalité, abus de substance et psychose). Ces troubles psychiatriques lorsqu’ils surviennent tôt dans le développement de l’enfant peuvent venir perturber un équilibre familial fragile et hypothéquer les ressources thérapeutiques de la famille. L’intervention d’un tiers dans une perspective socio-éducative peut s’avérer indispensable pour permettre aux soins d’être mis en place et pour qu’ils soient opérants. Les pathologies psychiatriques sont comprises comme étant multifactorielles, résultant des interactions entre un patrimoine génétique (vulnérabilité) et l’environnement (famille, contexte social).4 Quelles que soient les origines des troubles, pathologie psychiatrique précoce aggravée par le contexte environnemental ou contexte de vie perturbé (carences socio-éducatives) menant à différentes pathologies psychiatriques, les besoins dans les domaines socio-éducatifs et pédopsychiatriques sont évidents. Ils ne sont pas exclusifs les uns des autres mais additifs et complémentaires.
Dans ce contexte, ce projet a pour but d’améliorer la collaboration entre partenaires des domaines socio-éducatif et pédopsychiatrique. Ainsi, une extension de l’Antenne d’intervention dans le milieu (Antenne d’intervention dans le milieu pour enfants et adolescents, AIMEA) pourrait répondre de manière appropriée à la plupart des besoins identifiés sur la base des insatisfactions respectives et des contraintes inhérentes à chaque domaine. Le modèle de prise en charge est souple et adaptable à chaque situation, il comporte une forte dimension communautaire en s’appuyant sur les réseaux existants. Il repose sur une cohérence et une continuité de l’intervention incarnées par un case manager référent au long cours.5,6
Plus spécifiquement, les équipes AIMEA ont la possibilité d’offrir différents types de suivi tels que : 1) case management de transition :7 ce programme intervient également comme mesure de soutien afin de faciliter les transitions après une hospitalisation ; 2) patient difficilement accessible, en refus de soins : les intervenants agissent comme case manager dont le rôle consiste à établir une alliance avec le jeune en rupture, définir avec lui un problème précis, évaluer les problèmes de soins et planifier les objectifs de l’intervention ; 3) consilium dans le milieu : dans ce contexte, un membre de l’équipe mobile peut se déplacer dans les diverses structures : consultations de pédopsychiatres privées, écoles, service de protection de la jeunesse, centre de détention pour adolescents, foyer, police, etc., afin de discuter de la situation problématique sous une forme d’intervision et 4) suivi intensif dans le milieu : il s’agit d’interventions soutenues dans différents lieux (maison, café, centres de loisir, école, foyers) en accord avec la famille.6
Certaines évaluations ne sont pas complètes par manque d’informations ou par inadéquation avec les situations des patients (par exemple, trop jeune, etc.). Aussi, les données sont présentées sous forme de pourcentage de données valides, c’est-à-dire en tenant compte de celles manquantes (plutôt qu’en chiffre absolu) afin de proposer une vue d’ensemble la plus réaliste ou la plus proche de la réalité clinique possible.
La figure 1 représente le diagramme de flux des patients. 64 patients (Centre : n = 21 ; Est : n = 18 ; Nord : n = 15 ; Ouest : n = 10) ont été évalués à l’entrée de la prise en charge et, pour 51 patients, nous avons tenté d’effectuer une enquête de satisfaction.
Le temps de rencontre, soit avec le patient, soit avec un membre du réseau pour entrer dans la situation, est en moyenne d’environ six jours (min : 0 et max : 54). Il faut rappeler qu’AIMEA n’est pas un service d’urgences d’une part, et que les membres des équipes soignantes travaillent souvent à pourcentage réduit, ce qui peut compliquer parfois la mise en place d’un rendez-vous pour une prise de contact.
Le nombre d’interventions (par exemple, consultations, rencontres de liaison sans le patient, consultations pour des patients hospitalisés, prestations en l’absence du patient ou téléphones avec le patient) a été évalué. Pour ce faire, les données des catalogues de facturation, issues de la base de données du CHUV et de celle de la Fondation de Nant, ont été extraites. Plus spécifiquement, pour tous les secteurs, toutes les interventions depuis l’ouverture du dossier des patients ont été répertoriées, qu’elles aient donné lieu à une facturation ou non. Par ailleurs, il est nécessaire de garder en tête le fait qu’un certain nombre de prises en charge de patients n’étaient pas terminées au moment de l’évaluation. Il est également important de noter que le nombre d’interventions réelles devrait être encore plus élevé étant donné que toutes les interventions ne sont pas systématiquement relevées par les soignants AIMEA (certains téléphones avec les parents, les échanges de mails, etc.). Sur l’ensemble des secteurs, un peu moins de 36 interventions par patient ont été effectuées lors des suivis de type AIMEA, soit 2288 pour l’ensemble du projet.
Le travail a plus spécifiquement porté sur les adolescents. Une exception est à noter, pour le secteur Ouest, dans lequel uniquement deux adolescents ont bénéficié du suivi AIMEA et huit enfants en bas âge. Une majorité de garçons (54,7%) ont été pris en charge par les équipes soignantes AIMEA. Concernant le statut matrimonial des parents des jeunes suivis par AIMEA, nous constatons qu’une majorité d’entre eux sont séparés (62,1%) et qu’une minorité est «veuf/ve» (6,9%), les autres vivant encore ensemble (31%).Une majorité de jeunes est scolarisée (60,8%). Il faut souligner que la déscolarisation ne concerne que les enfants ou adolescents en âge scolaire mais ne fréquentant aucun établissement scolaire.
Les soignants AIMEA ont traité des patients ayant différents types de pathologies telles qu’un trouble des conduites, un trouble de l’attachement, une personnalité émotionnellement labile, un trouble dissociatif, un trouble anxieux, un trouble psychotique, un état de stress post-traumatique, une angoisse de séparation, un épisode dépressif, un trouble obsessionnel compulsif, un trouble envahissant du développement. Afin de se faire une représentation des difficultés des jeunes suivis par AIMEA, nous avons catégorisé leurs pathologies entre les difficultés externalisées (par exemple, trouble du comportement, agitation motrice), internalisées (par exemple, dépression, anxiété) et mixtes (tableau 1).
Nous pouvons observer que près de la moitié des pathologies présentées dans les foyers socio-éducatifs renvoient à des troubles «externalisés». Toutefois, une part non négligeable des jeunes suivis par les équipes mobiles présente des pathologies «internalisées» (c’est-à-dire plutôt des difficultés dirigées vers soi, comme de l’anxiété ou une thymie dépressive).
Les événements de vie défavorables ou stressants ont été listés en début de prise en charge. Le tableau 2 rapporte le pourcentage de patients présentant un ou plusieurs événements de vie stressants par secteur.
Un grand nombre d’enfants ont vécu ou vivent la séparation de leurs parents, tous secteurs confondus. Par ailleurs, nous pouvons constater que près de la moitié des jeunes ont subi des violences physiques, des abus sexuels, des ruptures sentimentales ou le décès d’un proche.
Des enquêtes de satisfaction8 ont été effectuées auprès des patients (dès l’âge de douze ans, n = 24), des référents dans les foyers (n = 36) et des directeurs de foyers (n = 13). Les questions portaient sur les raisons de l’intervention de l’équipe mobile, les points positifs et les améliorations possibles. Chaque réponse a été analysée de manière qualitative.
Les directeurs et les référents des foyers font appel aux équipes mobiles lorsqu’une ressource pédopsychiatrique est nécessaire. Ainsi, les AIMEA améliorent l’accès aux soins lors de pathologies trop lourdes et permettent d’avoir un éclairage pédopsychiatrique dans certaines situations complexes. Cet éclairage permet également aux référents des foyers d’adapter la prise en charge. Lorsque les éducateurs ou les directeurs estimaient qu’il fallait créer un lien thérapeutique ou un lien entre les lieux de vie des adolescents et la psychiatrie, les équipes mobiles étaient contactées. Il semble alors qu’il y ait une bonne correspondance entre le rôle défini des équipes mobiles et l’utilisation qu’en font les intervenants des foyers.
Les figures ci-après illustrent les réponses des patients (figure 2), des référents (figure 3) et des directeurs de foyers (figure 4) lorsqu’il leur est demandé de décrire ce qu’ils ont le plus apprécié dans le travail des équipes mobiles.
En résumé, il semble que pour les patients, les référents et les directeurs de foyer, le fait de savoir qu’ils ont la possibilité d’utiliser une ressource comme AIMEA relativement rapidement est important. La disponibilité paraît donc nécessaire. Il apparaît aussi que, pour les adolescents et les référents, l’échange est une notion essentielle. Ainsi, la communication, les échanges neutres, l’écoute et l’attitude non jugeante semblent être des notions importantes. Les patients et les référents des foyers disent apprécier également la mobilité de l’AIMEA.
La majorité du temps (62,4%), les répondants (patients, référents et directeurs) affirment être très satisfaits du travail effectué par les équipes mobiles et n’ont pas rencontré de difficultés ou n’ont pas de propositions d’amélioration. Cependant, les équipes mobiles étant un dispositif relativement récent, il nécessite un ajustement de la part du monde éducatif comme de la part de l’AIMEA. Ainsi, il semble normal que quelques difficultés soient signalées. La difficulté à identifier réellement quels étaient les rôles de chacun dans une situation donnée a été mentionnée. Par ailleurs, d’autres difficultés, plus liées à des réalités organisationnelles, ont été rencontrées. Les horaires des intervenants AIMEA et ceux des éducateurs étant généralement différents, il est parfois difficile de joindre les équipes mobiles après 18 heures alors que cela aurait pu être utile en cas de crise selon certains référents.
Le rôle de liant des équipes mobiles a été bien rempli par les intervenants AIMEA. Cela a donc permis d’améliorer la compréhension mutuelle entre le monde socio-éducatif et pédopsychiatrique. De plus, à travers l’utilisation d’une terminologie commune, une meilleure collaboration entre ces deux aspects importants du développement de l’enfant a pu émerger. Le travail de l’AIMEA permet une meilleure cohérence ou articulation des projets socio-éducatifs et pédopsychiatriques. Aussi, la perméabilité et l’accessibilité entre les deux mondes ont augmenté. Cela a permis également un travail préparatoire après une hospitalisation afin de maximiser les chances d’intégration dans les foyers. D’où l’importance d’avoir un lien étroit entre les mondes pédopsychiatrique et socio-éducatif.
En conclusion, ce projet pilote a démontré l’intérêt de développer des prestations de type AIMEA au service des foyers socio-éducatifs d’une part, mais également au service de la pédopsychiatrie d’autre part, qui découvre les besoins en soins pédopsychiatriques d’une population encore peu amenée à les demander ou à y accéder. Les futurs développements s’inscrivent aussi bien dans une mission de santé publique que dans une politique efficace de protection des mineurs.
> Les équipes mobiles peuvent amener un point de vue pédopsychiatrique dans les situations à prédominance éducative
> Le rôle de liant et la disponibilité des équipes mobiles ont particulièrement été appréciés
> Le dispositif AIMEA (Antenne d’intervention dans le milieu pour enfants et adolescents) favorise le dialogue entre les mondes pédopsychiatrique et socio-éducatif
The main objective of this project about mobile team service extension to the socio-educational home of the whole Vaud canton targets to decompartmentalize the socio-educational and youth-psychiatry domains. 64 patient were assessed during this pilot phase (after one-year functioning). In addition, a satisfaction survey was done either at the end of the follow up or at the end of the pilot phase of the project (31.12.2012). This experience was very positive as highlighted by the vast majority of the person involved in the socio-educational and youth-psychiatric domains taking care of youth. A desire of extension of mobile team service to other institutional structure or other situations was expressed.