La «périarthrite de la hanche» est également connue sous le terme «syndrome douloureux du grand trochanter» ou SDGT. Le terme SDGT a été initialement utilisé dans une publication anglo-saxonne, en 1958, pour appuyer le fait de l’étiologie multifactorielle du syndrome (GTPS : Greater trochanteric pain syndrome).1 Les termes plus anciens de «bursite rétro-trochantérienne» ou de «bursite trochantérienne» sont moins appropriés car les bursites sont relativement rares. Depuis peu, cette région est parfois appelée la «coiffe des rotateurs de la hanche» car l’espace entre le grand trochanter (GT) et la bandelette ilio-tibiale (BIT) a comme analogie l’espace sous-acromial de l’épaule. La plainte principale du patient présentant un SDGT est une douleur localisée à la face latérale externe de la hanche en regard du GT (figure 1) et reproduite à la palpation de cette zone.
La prévalence du SDGT dans la population générale est estimée entre 10 et 25% selon la population de référence et la définition du syndrome.2–4 Le SDGT peut toucher tous les âges mais a un pic d’incidence entre 40 et 60 ans et une prédominance féminine (4:1) est fréquemment rapportée.5,6 Cependant, ce syndrome est relativement mal connu et souvent sous-diagnostiqué. Son évolution est fréquemment chronique et invalidante.3 Le SDGT est souvent confondu avec une lombalgie chronique. Un SDGT est retrouvé chez environ 20% des patients adressés à une consultation spécialisée du rachis pour une lombalgie.3,7 L’évolution est fréquemment chronique, avec 36% des patients toujours symptomatiques à un an et 29% à cinq ans.3
Longtemps attribué à une bursite (la région du GT contient de nombreuses bourses – tableau 1), le SDGT est le plus souvent dû à une tendinopathie soit du moyen fessier (gluteus medius), soit du petit fessier (gluteus minimus). En réalité, l’atteinte est fréquemment multiple. Comme pour l’espace sous-acromial de l’épaule, la tendinopathie peut évoluer vers une rupture et celle-ci n’est pas nécessairement symptomatique. Des irrégularités du GT pourraient favoriser cette conséquence.
Les limites de la définition d’un SDGT ne sont pas parfaitement établies, car le syndrome de la bandelette ilio-tibiale (tenseur du fascia lata) et les tendinopathies des petits muscles de la fesse (pyramidal, piriforme, jumeaux supérieur et inférieur, obturateur interne et carré fémoral) sont parfois inclus dans ce syndrome.
La plainte principale est une douleur localisée sur la face latérale externe de la hanche en regard du GT (figure 1) et reproduite à la palpation rétro-trochantérienne. Le patient décrira souvent une irradiation le long de la face latérale de la cuisse et des douleurs dans les mouvements extrêmes (de rotation ou d’abduction). Les autres descriptions anamnestiques comprennent des douleurs en décubitus ipsilatéral (impossibilité de dormir sur le côté pathologique), des douleurs en montant ou en descendant les escaliers, des douleurs en sortant de la voiture (abduction de la hanche en flexion) et des douleurs transitoires en se relevant de la position assise. Par contre, il n’y a que rarement une difficulté avec les chaussures ou les chaussettes, contrairement à ce qui est rapporté en cas d’une atteinte coxo-fémorale comme une coxarthrose.8
Bien que le SDGT puisse se manifester seul, ce syndrome est fréquemment rencontré en association avec d’autres pathologies douloureuses, comme les pathologies de la hanche ou de la région lombaire (tableau 2).
L’anamnèse et l’examen clinique sont les principaux outils à disposition du clinicien pour établir le bon diagnostic. Il existe plusieurs exemples de «critères diagnostiques» pour un SDGT dans la littérature,6,8 mais aucun n’est validé (tableau 3). La plupart exige la présence d’une douleur de la face latérale de la hanche et une douleur exquise (et reconnue par le patient) à la palpation du GT, associées à au moins une autre manifestation de douleur dans la région du GT. Les patients avec une coxarthrose sont en général exclus des études cliniques du SDGT, malgré l’association fréquente de ces deux pathologies.
Outre qu’il soit associé à de nombreuses conditions à l’expression clinique variable et parfois proche de celle du syndrome lui-même, le SDGT pose en tant que tel un problème de diagnostic différentiel. En effet, si la douleur doit par définition être localisée en regard du grand trochanter, elle est souvent décrite de manière moins précise par le patient, ce qui ouvre un diagnostic différentiel important (tableau 4).
A l’examen clinique, le signe-clé est la reproduction de la douleur à la palpation de la région postéro-supérieure du grand trochanter, de préférence avec le patient allongé en décubitus controlatéral. Il existe des nombreux tests cliniques pour établir le diagnostic d’un SDGT, avec des spécificités et des sensibilités très variables. Le test clinique qui semble être le plus fiable est le test de «FABER» (aussi appelé «Fabère», «test de Patrick», ou «signe de 4»). Le nom FABER vient de la position lors de la mobilisation passive de la hanche en Flexion, ABduction et External Rotation (rotation externe). Selon une publication récente, une douleur latérale de la hanche en association avec un test de FABER positif (avec une douleur latérale) a une spécificité de 90% et une sensibilité de 83% pour un SDGT.8
Les autres signes cliniques, qui sont souvent positifs dans le contexte d’un SDGT, sont des douleurs lors d’une abduction contrariée effectuée en décubitus latéral (le côté symptomatique vers le haut), en appui monopodal pendant 30 secondes (douleur ipsilatérale) et avec une dérotation externe (hanche en flexion à 90°, rotation externe, puis une rotation interne contre résistance par un appui au niveau de la cheville, pour revenir dans une position neutre).
Enfin, le test de Trendelenburg est aussi très utile. Il s’effectue avec le patient debout, le médecin se tenant derrière lui et plaçant ses mains sur les crêtes iliaques. Il est alors demandé au patient de se mettre sur une jambe (en pratiquant une petite flexion de la hanche et du genou). Le test est négatif si le bassin reste horizontal ou monte légèrement du côté sans appui. Il est positif lorsque la crête iliaque descend du côté sans appui, signant une faiblesse des muscles fessiers (grand et moyen fessiers) du côté opposé. Dans le contexte d’une suspicion d’un SDGT, un test de Trendelenburg positif a une sensibilité de 77% pour une rupture du moyen fessier.9
La radiographie standard, l’échographie et l’IRM ont chacune leur intérêt dans le contexte d’un SDGT, même si aucune imagerie n’est vraiment nécessaire. La radiographie du bassin et de la hanche est en général normale, mais est utile afin d’exclure une pathologie coxo-fémorale comme une coxarthrose. Des calcifications des insertions tendineuses sont présentes dans environ 40% des cas et des exostoses (ou enthésophytes) sont parfois présentes dans les cas chroniques (figure 2A).4
L’IRM permet également d’exclure d’autres pathologies non visibles à la radiographie standard (nécrose aseptique, fissure, ostéite, etc.) mais elle peut également révéler des images de tendinite, de bursite, ou de rupture tendineuse. Attention toutefois au surdiagnostic en raison de la fréquence très élevée de «faux positifs» (70% dans certaines séries, avec même 95% d’atteintes également controlatérales).10 En conséquence, il est difficile d’établir un lien direct entre l’image à l’IRM et les symptômes.
Enfin, l’échographie articulaire est de plus en plus utilisée dans cette pathologie, car les bursites et les lésions tendineuses sont bien visualisées. Les autres avantages de cette forme d’imagerie sont l’absence d’irradiation ou d’exposition à un produit de contraste, un examen peu coûteux comparé à l’IRM, la possibilité d’une exploration dynamique (test musculaire pendant l’examen) et l’option d’effectuer des gestes (ponction/infiltration) échoguidés. Par contre, la visualisation des différentes structures peut être limitée par une mauvaise qualité d’image (patients obèses ou avec une mauvaise échogénicité).
Une revue systématique de sept études a comparé l’échographie à l’IRM pour le diagnostic de rupture tendineuse dans la région de la périhanche, l’état anatomique lors de l’intervention chirurgicale subséquente servant de référence. La sensibilité et la valeur prédictive positive étaient supérieures pour l’échographie (79-100% et 95-100% respectivement).11
Quelle que soit l’imagerie utilisée, le nombre élevé de faux positifs doit faire raison garder et c’est toujours l’examen clinique qui doit être au premier plan.
Il existe une pénurie de bonnes études concernant le traitement conservateur d’un SDGT. Comme pour toute tendinite, le repos, les antalgiques et les anti-inflammatoires sont généralement utilisés en première intention mais n’ont jamais été validés dans cette indication. La physiothérapie est souvent proposée avec des massages ou du stretching, mais aucune étude n’est disponible (figure 3).
Dans une étude de cohorte en médecine de premier recours, il ressort que parmi tous les paramètres démographiques ou cliniques testés, l’injection locale de corticostéroïdes est le seul paramètre étudié, statistiquement lié à une évolution clinique favorable à cinq ans.3 Il n’existe cependant pas d’étude randomisée, contrôlée en double aveugle, évaluant ce traitement. Une étude prospective randomisée rapporte une amélioration à la suite d’une infiltration cortisonique chez 55% des patients à trois mois et 61% à douze mois (comparés à 34% dans le groupe usual care à trois mois et 60% à un an).12
Cependant, les infiltrations comparées de manière non randomisée et non masquée à un traitement d’exercices à domicile ou à un traitement par des ondes de choc extracorporelles (trois séances à une semaine d’intervalle -0,12 mJ/mm2 à 8 Hz) apportent un bénéfice supérieur observé dans le groupe injection (75% vs 7% et 13% respectivement) à un mois mais ce bénéfice est perdu à quatre mois.13 A quinze mois, le taux de réussite est de 80% dans le groupe physiothérapie, 74% dans le groupe ondes de choc et seulement 48% dans le groupe injection.
Lorsqu’une infiltration ne donne que peu ou pas de résultat, il est de pratique courante d’en effectuer une seconde. Le plus souvent, on conseille de réaliser la seconde injection à l’aide d’un guidage échographique, car l’efficacité pourrait être accrue14 et le risque d’une rupture tendineuse réduit. Par contre, l’injection intrabursale guidée par fluoroscopie n’est pas plus efficace qu’une injection réalisée à l’aveugle selon une étude.15
Pour les patients avec une contre-indication à l’utilisation de la cortisone, les injections d’acide hyaluronique (AH) pourraient être une autre possibilité. Un abstract présenté lors du congrès américain de rhumatologie, en 2014, rapportait les résultats d’une étude randomisée en double aveugle des injections au site de douleur maximale avec soit l’AH, soit 40 mg de triamcinolone acétonide, chez 52 patients.16 Les auteurs ont conclu que l’AH était «non inférieur» à la cortisone à six mois, sans signal d’alerte au niveau de la sécurité.
Une dernière option thérapeutique dans le contexte de réveils nocturnes fréquents secondaires au SDGT est le port de protecteurs de la hanche, comme utilisés pour diminuer le risque d’une fracture de la hanche à la suite d’une chute. Le rationnel est que la pression locale dans une position de décubitus ipsilatéral est distribuée autour de la région sensible sur le grand trochanter.
Il existe encore moins de bonnes études concernant le traitement chirurgical d’un SDGT. Une étude a évalué huit patients souffrant de SDGT, en échec de traitement conservateur depuis au moins six mois et tous avaient des signes de rupture du moyen fessier à l’IRM, parfois associée avec une bursopathie ou une rupture du petit fessier.17 L’intervention chirurgicale a consisté en une bursectomie et une réparation des tendons rompus avec ancrages métalliques et fils non résorbables sur le grand trochanter, suivies par une décharge complète pendant six semaines. Les auteurs rapportent une évolution favorable chez 7/8 patients à sept mois, mais tous ont présenté une exacerbation avant douze mois, malgré une image IRM plutôt favorable. A noter que dans le groupe «contrôle» de patients récusés (pour dégénérescence graisseuse musculaire trop importante) ou ayant refusé l’intervention, une amélioration a été observée dans les deux à quatre mois suivants, soit plus rapidement qu’après la chirurgie !
Il existe plusieurs petites séries non randomisées, non contrôlées sur l’intérêt du traitement chirurgical arthroscopique d’une bursite trochantérienne récalcitrante. Baker et coll. ont investigué l’intérêt d’un traitement chirurgical arthroscopique chez 30 patients, dont 25 ont été évalués à deux ans.18 Ils ont rapporté une amélioration postchirurgicale significative de la douleur (échelle visuelle analogique passée de 7,2 à 3,1) et de la fonction. Deux patients ont dû être réopérés, l’un pour drainage d’un sérome, l’autre par une bursectomie chirurgicale ouverte en raison de la persistance des douleurs. Craig et coll. ont rapporté que chez quinze patients avec un SDGT résistant au traitement conservateur (y inclus des injections de cortisone), un allongement de la bandelette ilio-tibiale a permis une résolution complète des symptômes dans 50% des cas et une évolution partiellement favorable chez 40%.19
La réparation simple d’une rupture tendineuse par des sutures semble avoir une efficacité au niveau de la douleur, mais avec relativement peu d’effets sur la fonction. Cette intervention est réservée aux patients plus jeunes, avec une rupture plus aiguë et une lésion <3 cm, et en conséquence est rarement possible.
Le SDGT est une cause fréquente mais sous-diagnostiquée de douleur dans la région latérale de la hanche. Le diagnostic est avant tout clinique, mais une échographie ou une IRM peut être pratiquée en cas de persistance de la symptomatologie ou devant une suspicion d’une rupture. Le traitement antalgique classique et la physiothérapie sont à considérer en première intention, mais en cas d’évolution défavorable, une infiltration rétro-trochantérienne de corticostéroïdes avec de la lidocaïne est indiquée. Une intervention chirurgicale est à proposer chez un nombre limité de patients souffrant de douleurs récalcitrantes, invalidantes et chez qui une rupture tendineuse a été identifiée sur une IRM.