La prescription d’une activité physique fait partie de toutes les recommandations de bonne pratique clinique pour la prise en charge de l’obésité.
Malheureusement, au quotidien, nos patients peinent à suivre ces propositions. Trois facteurs sont, dans la plupart des cas, responsables de cette situation : 1) les activités offertes ne sont pas adaptées au profil du patient ; 2) malgré l’effort, le patient n’obtient pas un résultat concret sur le plan pondéral et 3) le patient est en manque de repères objectifs et peine à gérer son activité. La situation est vécue comme un échec et décourage les patients.
Existe-t-il des pistes pour améliorer l’efficacité de l’activité physique ? Dans cet article, nous présentons le programme mis en place dans notre Centre cardiométabolique, qui propose une évaluation métabolique détaillée afin de pouvoir prescrire une activité physique adaptée au profil de chaque patient.
La pratique d’activités physiques fait partie intégrante des recommandations qui régissent la prise en charge du patient obèse.1 Ces recommandations visent à créer un environnement favorable à une balance énergétique négative modérée, avec pour objectif final de produire une baisse de poids, même modeste, mais significative du point de vue clinique.
Quelle que soit l’approche envisagée pour la perte de poids, et bien que la masse grasse soit visée spécifiquement, la masse maigre ne sera pas épargnée. Bien que la perte de masse maigre soit un élément incontournable de la perte pondérale, il convient tout de même de la limiter au maximum. La masse maigre comprend en effet les tissus métaboliquement actifs et est en conséquence le facteur principal déterminant des dépenses d’énergie.2 Limiter sa perte minimisera en conséquence la baisse des dépenses d’énergie qui, avec le temps, ralentirait la perte pondérale. L’activité physique, au-delà de son rôle favorisant la balance énergétique négative, est d’ailleurs une approche efficace permettant le maintien de la masse maigre durant la phase de perte pondérale.3
Sans évoquer les bienfaits de l’activité physique sur les facteurs de risque cardiométaboliques, la prescription d’activités physiques pourra donc être envisagée à l’aune de deux objectifs : augmenter les dépenses d’énergie et maintenir (voire même augmenter) le capital de masse maigre.
Si la balance quantifie l’effet global de l’activité physique sur le poids, la mesure du poids demeure une information limitée, voire même un faux ami, surtout à court terme, lorsque l’activité physique s’accompagne de gains de masse maigre et donc d’une prise de poids potentielle. Dans l’idéal, une mesure de la composition corporelle permettra d’évaluer avec plus de détails l’effet de l’activité.
Le recours à des techniques complexes n’est pas nécessaire. Au cabinet, les mesures classiques par bio-impédance ou encore par celle des plis cutanés, plus répandues et accessibles, seront satisfaisantes, dans la mesure où les conditions d’évaluation sont standardisées. L’une des difficultés rencontrées plus particulièrement avec le sujet obèse est l’interprétation des valeurs obtenues. Son adiposité est en effet, par définition, excessive. Comment déterminer si le niveau de masse maigre est «acceptable» ou plutôt déficitaire ? Vers quel objectif de composition corporelle saine se diriger ? Un premier élément de réponse peut se trouver dans la comparaison du status du patient par rapport à des normes pour l’âge et le sexe publiées, telles que proposées par l’Institut Cooper, aux Etats-Unis. Elles peuvent notamment être retranscrites sous forme graphique pour faciliter l’interprétation (figure 1A). Alternativement, Gallagher et coll.4 proposent un modèle de projection de composition corporelle «saine», unifiant les recommandations de l’Institut de la santé américain et de l’OMS (figure 1B).
L’exercice physique, en soi, ne représente pas une pilule miracle aboutissant systématiquement à une perte de poids, notamment en raison de mécanismes compensatoires déclenchés tant au niveau métabolique qu’alimentaire.5
En combinaison avec une stratégie de limitation des apports alimentaires, elle reste toutefois une composante principale de l’intervention visant à une modification du style de vie. Dans le cadre strict de la gestion du poids, selon l’évidence scientifique,6 il faudrait prescrire un minimum de 150 minutes d’activité physique par semaine, à une intensité modérée, soit 45 à 65% de VO2max environ,7 et selon les objectifs poursuivis, envisager une fourchette de dépenses d’énergie de l’ordre de 1200-2000 kcal/semaine. Il est finalement proposé de favoriser des activités de type aérobie telles que la marche rapide. Bien entendu, le vélo, l’aquagym et d’autres modalités d’exercice prolongé sont envisageables, de même que des activités en salle de fitness, en groupe ou en individuel.
Cette approche de la prescription d’exercices est quantitative et vise essentiellement à accentuer une balance énergétique négative quotidienne en coordination avec la baisse des apports. Le corollaire est une balance lipidique négative.8
Une approche alternative a récemment été suggérée, tirant parti du débit d’oxydation des lipides augmenté durant les phases d’exercice. Cette approche consisterait donc à focaliser sur une balance lipidique négative obtenue durant l’exercice uniquement. Elle se propose d’effectuer des exercices à une intensité sollicitant l’oxydation maximale des graisses, ou Fatmax.9 Le débit d’oxydation des lipides suit, en règle générale, une courbe en U inversé en fonction de l’intensité de l’effort : il augmente à basse intensité, atteint un maximum à une intensité faible à modérée correspondant à 40-60% de VO2max, puis diminue à nouveau (figure 2).10 Le débit maximal d’oxydation des lipides est très variable d’un individu à l’autre, frôlant 1 g/min chez certains athlètes d’endurance, et ne dépassant guère les valeurs de repos, soit moins de 0,1 g/min parfois chez des individus plus sédentaires. Des travaux récents semblent indiquer un intérêt pour ce type d’exercice afin de favoriser la perte de masse grasse, et une prescription de l’exercice dans ce sens pourrait être envisagée.
En résumé, un minimum de 150 minutes d’exercice hebdomadaires devrait être proposé, à une intensité correspondant à 8 kcal/min, ou davantage. De plus, il est envisageable de cibler une intensité qui favoriserait l’oxydation des lipides durant l’exercice. Quelques questions essentielles peuvent toutefois subsister. Premièrement, la capacité physique du patient permet-elle, ou non, d’atteindre ces niveaux de dépense d’énergie ? De plus, puisque l’oxydation maximale des lipides a lieu à une intensité légère à modérée, est-ce que favoriser l’oxydation maximale des lipides pendant l’exercice se ferait au détriment des dépenses d’énergie ?
Classiquement, les résultats obtenus lors d’une ergométrie permettront de répondre à toutes ces questions, dans la mesure où la procédure inclut une mesure des échanges gazeux respiratoires. Lors de cet examen, les paramètres classiques, relatifs à la tolérance à l’effort, sont déterminés, comme le VO2max ou le seuil ventilatoire (ou point de compensation respiratoire, RCP, un marqueur de la capacité d’endurance du sujet), de même que la cinétique du débit d’oxydation des lipides.
La figure 3 propose un arbre décisionnel pour la construction du programme d’activités physiques adapté au patient. Il se propose tout d’abord d’évaluer la capacité physique du patient en regard des normes disponibles pour la VO2max et le seuil ventilatoire notamment.11 La tolérance à l’effort, comme premier critère de décision, permet de fixer l’objectif général du programme : si elle est satisfaisante (branche de gauche), l’objectif principal de l’activité physique pourra être fixé sur les dépenses d’énergie, et donc directement vers des modifications de composition corporelle. Cela s’obtiendra par le biais d’activités physiques modérées à vigoureuses.
Dans le cas d’une tolérance à l’effort limitée ou sous-optimale, on favorisera une approche en deux temps, en commençant par la réadaptation à l’effort (branche de droite) avec un programme adapté. Celui-ci visera à normaliser la tolérance à l’effort à court ou moyen terme, par le biais d’activités douces à modérées. Une fois une bonne tolérance à l’effort obtenue, il sera possible d’adopter des activités physiques modérées à vigoureuses (branche de gauche).
Ensuite, au-delà de leur rôle d’évaluation de l’effet de l’activité physique, les résultats de la mesure de composition corporelle renseignent sur le type d’activités à envisager. Doit-on privilégier le maintien de la masse maigre, par exemple avec un travail de musculation, au détriment peut-être des dépenses d’énergie, ou peut-on entièrement focaliser sur la masse grasse avec une approche plus «agressive» ?
Classiquement, on dirige les patients obèses vers des activités telles que l’aquagym ou encore le nordic walking. Les activités aquatiques présentent l’avantage de s’accommoder de limitations fonctionnelles telles que les douleurs articulaires. La marche nordique, quant à elle, présente peu de contraintes logistiques. Ces activités permettent de plus un travail en groupe et sont suffisamment ludiques pour promouvoir l’adhérence au programme prescrit, du moins à court et moyen termes. Mais sont-elles efficaces, ou, en d’autres termes, sollicitent-elles suffisamment les dépenses d’énergie ? Dans ses recommandations pour la prescription de l’exercice,7 le collège américain de médecine du sport définit des plages d’intensité pour la prescription (tableau 1). En fonction de l’intensité définie pour le patient, de nombreuses activités physiques peuvent être proposées (tableau 2). L’intensité peut facilement être adaptée par le patient en modulant la fréquence, l’amplitude et la vigueur des mouvements par exemple. Donc, en pratique, ces activités (et la liste n’est de loin pas exhaustive) peuvent être incluses autant dans un programme visant à la réadaptation qu’à un autre programme plus intensif. Une exigence subsiste : adapter l’intensité.
Le monitoring de la fréquence cardiaque est souvent cité en exemple. Il reste parfois difficile à mettre en œuvre, exige un investissement, et ne fonctionne pas dans l’eau. Par contre, la perception que l’individu a de son effort est simple d’emploi, facilement compréhensible, gratuite et robuste. Elle est d’ailleurs citée comme un outil de choix dans la prescription.7 On pourrait proposer de séparer l’échelle en différentes zones de couleur, représentant les différents domaines d’intensité, pour faciliter sa compréhension par le patient et la prescription (figure 4).
Si la prescription est bien ciblée et le patient persévérant, l’activité physique portera, à terme, ses fruits. Des progrès se feront remarquer rapidement, de même que des changements de composition corporelle. En conséquence, il conviendra d’agender une visite dans les huit à seize semaines pour évaluer ces changements, adapter la prescription, et, en conséquence, les contenus de l’activité physique s’adapteront pour répondre à de nouveaux objectifs.
L’activité physique est un élément essentiel de la prise en charge du patient obèse. Prescrite comme un entraînement spécifique à un athlète d’élite, c’est-à-dire selon le profil physio-métabolique du patient et au plus près des objectifs visés, elle peut contribuer significativement à la dynamique de perte pondérale.
> Pour être efficace, la prescription d’activités physiques doit être adaptée à la capacité physique du patient
> Certains patients peuvent avoir besoin d’une réadaptation à l’effort pour tirer des bénéfices de leur activité physique
> L’évaluation de la capacité à l’effort par ergométrie et de la composition corporelle permet d’établir des objectifs réalistes et une prescription ciblée sur ces derniers