Un patient de 29 ans en bonne santé habituelle, vu très occasionnellement depuis la fin de son adolescence, consulte pour un check-up, notamment en raison de l’anamnèse familiale dans laquelle on note la découverte d’un myélome multiple asymptomatique à l’âge de 52 ans chez le père, l’existence d’un carcinome mammaire chez un oncle et plusieurs cas de cancers du côlon. Le patient rapporte également un rapport sexuel non protégé et se plaint d’une asthénie chronique depuis six mois, dans un contexte de stress professionnel.
L’examen clinique est normal à l’exception d’un léger psoriasis et le bilan sanguin ne révèle rien de particulier, hormis une TSH légèrement augmentée et des signes de cytolyse (augmentation des transaminases : ASAT : 44 U/l, ALAT : 76 U/l), avec des GGT dans la norme. La formule sanguine simple est normale. Le patient, amateur de bons vins, déclare une consommation d’alcool modérée.
Les sérologies à la recherche d’une hépatite ou d’une infection par le VIH sont négatives. Un nouveau contrôle après trois mois d’abstinence complète d’alcool montre des tests hépatiques inchangés (tableau 1).
Un bilan étiologique extensif à la recherche d’une cause pour l’hypothyroïdie et l’hépatite chronique se révèle négatif, à l’exception des anticorps antithyroglobuline et antiperoxydase, qui sont fortement positifs (tableau 1).
De manière inattendue, le dosage des IgA, effectué par le laboratoire pour assurer la validité du dosage des anticorps anti-transglutaminase (Ac AT IgA), un déficit en IgA étant susceptible de fausser le résultat du dosage, révèle une valeur anormalement basse. Les examens complémentaires révéleront que le patient présente en fait un déficit en IgA, IgM et IgG4.
En fait, à ce stade et sans vouloir jouer sur les mots, le patient ne souffre pas, stricto sensu, d’un déficit immunitaire mais d’un abaissement de certaines classes d’immunoglobulines. En effet, compte tenu de causes secondaires possibles d’un abaissement des taux d’immunoglobulines (cf. ci-dessous, question 2), il est important de confirmer ces valeurs avant de porter un diagnostic d’immunodéficience, lourd de sens.
La démarche habituelle en cas de suspicion de déficience immunitaire humorale1,2 est le dosage des principales classes d’immunoglobulines (IgG, IgA et IgM) ainsi que des sous-classes d’IgG (IgG1 à IgG4), ce qui a été fait chez ce patient : tant les IgG totales que les sous-classes d’IgG sont dans la norme (hormis IgG4, indétectables, élément plutôt banal souvent rencontré de manière asymptomatique dans la population, ou alors à mettre dans le contexte du déficit combiné IgA/IgM du patient). Dans ce contexte, en l’absence aussi de clinique évocatrice d’une immunodéficience, il est difficile de retenir une immunodéficience commune variable (CVID, Common Variable Immune Deficiency) pour laquelle le critère sérologique habituellement retenu est une valeur d’IgG inférieure à 4,5 g/l. Pour en avoir le cœur net, une évaluation de la réponse immunitaire humorale active peut être effectuée par dosage des réponses vaccinales1,2 (contre diphtérie, tétanos, pneumocoque, et Haemophilus influenzae) ; réalisées chez ce patient, toutes les sérologies vaccinales contre les germes susmentionnés se sont montrées positives, confirmant en ce sens la compétence de sa réponse immune.
En conclusion, le patient souffre essentiellement d’un déficit en IgA, déficit immunitaire primaire le plus courant.3 Son incidence varie géographiquement entre 1/300 et 1/1200, plus rare en Asie et notamment au Japon (1/18 500). Comme chez ce patient, le déficit en IgA peut être associé à d’autres déficits en immunoglobulines, en particulier IgG2 et IgG4. La plupart du temps asymptomatiques, 10 à 15% des patients peuvent toutefois présenter des manifestations cliniques, le plus souvent infectieuses, généralement respiratoires ou gastro-intestinales, mais également auto-immunes, selon toute une variété de présentations.3 Cela étant, le patient devra bénéficier d’un suivi régulier (tous les six à douze mois) en vue de contrôler ses valeurs d’immunoglobulines (IgG et IgM tout spécialement) ; en effet, le risque d’évoluer vers une «vraie» CVID existe bel et bien !4
Oui, et c’est la première chose à rechercher lorsque l’on suspecte une immunodéficience.1,2 Les causes secondaires les plus fréquentes concernent les pertes digestives ou rénales de protéines et en particulier d’immunoglobulines. D’autre part, élément important de l’anamnèse de ce patient, les causes virales : compte tenu du rapport sexuel à risque chez ce patient, il est impératif de vérifier les sérologies virales, notamment vis-à-vis du VIH et des hépatites virales souvent méconnues, rapportées comme négatives chez lui. En fonction d’une anamnèse plus bruyante (fièvre, adénopathies, etc.), une recherche de primo-infection par EBV ou CMV doit être évoquée. Finalement, une cause médicamenteuse doit aussi être recherchée comme origine secondaire d’un abaissement des immunoglobulines, notamment les immunosuppresseurs et les AINS, mais aussi la phénytoïne, la sulfasalazine ou la D-pénicillamine.
Oui. Comme évoquées dans la réponse à la question 1, les manifestations auto-immunes dans le cadre d’une CVID, mais aussi d’un déficit sélectif en IgA, sont bien connues.3,4 En effet, près d’un quart des patients avec CVID manifestent des formes diverses de maladies auto-immunes, en particulier des cytopénies auto-immunes (anémie hémolytique auto-immune, thrombocytopénie auto-immune), mais également – parmi bien d’autres – le psoriasis, le vitiligo ou la thyroïdite.5 Il faut du reste mentionner que la perturbation des tests hépatiques relevée chez le patient participe probablement du même mécanisme auto-immun…
Les mécanismes physiopathologiques de la CVID sont multiples, mais ont à voir avec des anomalies génétiques affectant les processus de maturation et de différenciation des lymphocytes B.1 Ainsi, le risque de développer une hémopathie maligne est augmenté d’environ deux fois chez ces patients (en particulier les lymphomes non hodgkiniens), mais aussi d’autres types de cancer, notamment gastriques.1
Quant à l’histoire paternelle de myélome multiple, on ne peut en effet s’empêcher de faire le rapprochement avec celle du fils. Néanmoins, l’atteinte physiopathologique intervient à un autre niveau de la différenciation du lymphocyte B, et l’association entre CVID et myélome n’est pas évidente.5 En l’état actuel de nos connaissances, on peut estimer qu’il s’agit plutôt d’une occurrence fortuite, mais les avancées constantes dans ces domaines pourraient bientôt nous apprendre que cette association n’est peut-être pas le fruit du hasard…
Cela dépend du stade et de la profondeur de l’immunodéficience. Pour ce patient, nous avons vu que les sérologies liées à la réponse vaccinale effectuées chez lui étaient positives, témoignant donc de la possibilité d’induire des réponses humorales, mais dont l’ampleur est difficile à apprécier et pourrait alors faire l’objet de contrôles sérologiques post-vaccinaux ultérieurs. Il est clair par ailleurs que chez les patients avec diagnostic de CVID, a fortiori substitués par IVIg (IntraVenous Immunoglobulins) ou SCIg (SubCutaneous Immunoglobulins), le diagnostic sérologique n’est plus valide, et d’autres moyens diagnostiques n’utilisant pas la réponse humorale devront alors être utilisés.
C’est un risque particulièrement rare,3 mais existant en effet (survenant actuellement en moyenne à des fréquences allant de l’ordre de 1 réaction/20 000 transfusions à 1/47 000), et lié notamment à la présence d’anticorps anti-IgA ; cette réaction peut parfois prendre des allures de réaction anaphylactique si les anti-IgA sont de type IgE ! On devrait donc procéder à des transfusions libres d’IgA. A ce propos, les produits de substitution en immunoglobulines (IVIg ou SCIg) actuellement disponibles sur le marché ne contiennent que des concentrations infinitésimales d’IgA. Cependant, d’autres mécanismes moins bien caractérisés sont également à l’origine des réactions transfusionnelles.
Il faut être conscient que ce type de déficience humorale limitée, quoique très souvent asymptomatique, peut tout de même se manifester par des complications infectieuses.3 En soi, cela ne justifie pas de mesures particulières, sauf si le patient présente des infections répétées en particulier sur le plan respiratoire haut (sinusites) ou bas (pneumonies), ou alors des infections sévères (méningite, sepsis). On pourra alors proposer l’introduction d’IVIg ou de SCIg, parfois même pour des périodes limitées.
Il est clair qu’une fois le diagnostic de CVID retenu, la réponse humorale active s’en trouve généralement amoindrie. Il faut dès lors vacciner ces patients avant que le déficit immunitaire ne soit trop profond. De plus, les vaccins de type vivant seront contre-indiqués ! Les patients seront alors heureux de pouvoir bénéficier d’une immunité préventive passive par le biais des IVIg ou des SCIg.4
Comme mentionné précédemment, la vaccination est recommandée avant installation du trouble de l’immunité ; suite à cela, la réponse vaccinale ne sera plus ni efficace ni protectrice… On pourra alors attester d’une protection vaccinale résiduelle par la réalisation, avant le début des IVIg ou des SCIg, de sérologies vaccinales ; plus tard, ce sera la substitution en immunoglobulines qui apportera la protection nécessaire.
Comité de lecture : Dr Gilbert Abetel, Orbe ; Dr Patrick Bovier, Lausanne ; Dr Vincent Guggi, Payerne ; Dr Philippe Hungerbühler, Yverdon-les-Bains ; Dr Ivan Nemitz, Estavayer-le-Lac ; Dr Pierre-Alain Plan, Grandson