Le diabète de type 2 (DT2) peut aujourd’hui être vu comme une maladie d’origine plurifactorielle, potentiellement réversible.1–3 Cette affection concerne en premier lieu le muscle squelettique via une résistance à l’insuline, ainsi que le foie et le pancréas qui voient leurs fonctionnements altérés par leurs stéatoses respectives (figure 1). Une inflammation à bas bruit et un accroissement du stress oxydatif sont également caractéristiques de la maladie.
Les facteurs connus pour favoriser le DT2 sont le manque d’activité physique ou une façon inadaptée d’en pratiquer, une nutrition inadéquate, un excédent calorique, l’obésité comme facteur indépendant supplémentaire, mais également certaines formes de stress chronique et, dans une moindre mesure, la prise de glucocorticoïdes, la consommation de tabac, les excès d’alcool, le manque d’heures de sommeil.4 Outre les susceptibilités génétiques personnelles héritées, d’autres éléments favorisent la survenue du DT2 et échappent, pour partie, à l’action de la personne. Il s’agit, par exemple, et en lien avec l’histoire passée de chacun, d’altérations épigénétiques, de la présence d’un microbiote intestinal inadéquat ou de l’accumulation de polluants perturbateurs endocriniens dans le tissu adipeux.
Bien évidemment, des facteurs environnementaux expliquent également pour partie la fulgurante progression de la prévalence du DT2, et ce dans la quasi-totalité des régions de la planète.5 Les métiers deviennent moins pénibles physiquement mais plus pénibles psychiquement (stress). La mécanisation diminue également les temps d’activité physique pour le déplacement mais également pour certains loisirs. Nos rations caloriques quotidiennes ont pu baisser par rapport à celles qui prévalaient il y a seulement un siècle, mais l’activité physique a encore plus diminué.
La fabrication des aliments s’est également modifiée depuis quelques dizaines d’années (antibiotiques dans l’alimentation animale, sucres chimiquement modifiés dans les plats préparés, huile de palme et fructose utilisés en masse, etc.). Les aliments contiennent ainsi aujourd’hui moins de nutriments essentiels (vitamines, minéraux) que par le passé.
Le DT2 est diagnostiqué et traité de plus en plus tôt et la plupart des diabétiques ont ainsi une fonction pancréatique longtemps préservée, en tout cas partiellement. Les différentes classes de médicaments agissent à de nombreux niveaux et permettent d’éviter une rapide progression de la maladie. Ils soutiennent en général les efforts de rémission en permettant de briser plusieurs cercles vicieux, notamment en agissant sur la glycémie et la lipidémie (effets gluco- et lipo-toxiques diminués). Les patients sont aussi rapidement dépistés pour les autres affections du syndrome métabolique. Le traitement de l’hypertension, par exemple, permet également de diminuer certaines interactions croisées.
Tout ceci explique qu’aujourd’hui seuls environ 15% des personnes touchées par le DT2 doivent être traitées par injections d’insuline, les autres pouvant équilibrer leur diabète avec des antidiabétiques oraux.
D’anciennes publications en attestaient déjà, certaines personnes ayant perdu du poids grâce à une diète drastique n’excrétaient plus de sucre dans les urines.6 De nombreux résultats cliniques de patients DT2 obèses, ayant bénéficié d’une chirurgie bariatrique, vont dans le même sens, avec, depuis plus de vingt ans, des effets nets (50 à 90% de rémission du DT2, selon les types d’intervention).7,8 Des expériences récentes ont marqué les esprits en démontrant que des mesures hygiéno-diététiques drastiques pouvaient mener aux mêmes effets, sans bypass gastrique.9,10 La régénération de la fonction β pancréatique a notamment perturbé les anciennes représentations et induit de nombreuses recherches.11–13 Aujourd’hui, la «guérison» du DT2 est définie comme une rémission complète et prolongée, soit cinq années de glycémies normalisées sans traitement.3
Ces différentes études nous ont permis d’appréhender un peu mieux cette maladie métabolique acquise qu’est le DT2 et les différentes pistes à proposer aux patients et pouvant favoriser la rémission (figure 2). Il s’agit d’améliorer la qualité de la nutrition et la condition physique, ce qui comprend de nombreuses pistes souvent peu connues et contre-intuitives.14 En devenant moins sédentaires et en mangeant moins raffiné, il est possible de diminuer l’inflammation et de regagner en flexibilité métabolique.15 Un réel reconditionnement musculaire sur le long terme semble en effet représenter la pierre angulaire du traitement du DT2 puisqu’il permet de mieux métaboliser les substrats énergétiques (sucres et graisses) au lieu d’en saturer les cellules musculaires jusqu’à entraîner une résistance à l’insuline.
Les lignes bougent et la guérison du DT2 est envisageable pour un nombre accru de patients. Les recherches récentes nous montrent que la limite de réversibilité est repoussée au-delà de ce que l’on pensait possible il y a peu. Néanmoins, bien sûr, les limites physiologiques existent et ce projet de rémission/guérison ne peut certainement pas être suggéré à tous les patients vivant avec un DT2. Outre les diabètes de type 1 et assimilés, des altérations profondes du pancréas et peu susceptibles de réversibilité existent également dans le DT2. On s’assurera de l’absence de marqueurs auto-immuns, de la conservation d’une production d’insuline endogène et on proposera spontanément la piste de la rémission à des patients ayant un DT2 récent et non compliqué.
De nombreuses boucles de rétroaction entretiennent et aggravent la maladie, les hyperglycémies, par exemple, avec un effet glucotoxique sur les cellules β. Ainsi, une diète drastique d’une semaine ne peut que faire disparaître momentanément ces hyperglycémies et ne constitue en rien une «guérison», de même que la «purge du gras» du foie et du pancréas telle qu’elle se réalise en quelques mois d’un régime sévère ou lors d’une chirurgie bariatrique, même si, dans ce cas, la réversibilité du diabète semble un peu plus durable.1,9
Les actions doivent être conduites par le patient de manière durable et sur plusieurs dimensions en parallèle (nutrition et reconditionnement physique adaptés, baisse du stress), ce qui implique une importante motivation.
Lorsqu’un patient demande à un médecin s’il peut guérir du diabète, cela témoigne d’une potentielle motivation à apprendre et agir pour sa santé. Cette motivation est souvent très importante à court terme et peut mener à des changements trop drastiques (activité physique trop intense, importante restriction alimentaire) menant à l’échec pour cause de souffrances, blessures, etc.
Les démarches pour regagner en condition physique, se nourrir de manière à permettre une perte de poids à long terme sans carences, doivent être parfois poursuivies durant de longs mois avant que les antidiabétiques oraux ne puissent être diminués. Le défi réside alors dans la mise en place de petits changements durables, sans recherche de résultats rapides, et ceci est réalisé en pratique lorsque le plaisir a pu être retrouvé. Si, par exemple, une restriction calorique est particulièrement difficile à vivre pour le patient, une augmentation de la dépense énergétique peut être préférable.
De nombreuses dimensions de la vie de la personne peuvent être travaillées sur le long terme, puisqu’on réalise bien tout ce que peuvent cacher un «stress», des «troubles du comportement alimentaire» ou d’autres addictions. Ceci requiert, de la part des soignants, un engagement de type «éducation thérapeutique» sur la durée.
De grandes avancées scientifiques en psychologie, pédagogie et anthropologie, bien que moins spectaculaires que leurs contreparties techniques, ont nourri la médecine de ces dernières décennies. On parle ainsi d’une amélioration de la communication médecin-malade, d’une médecine complexe, interdisciplinaire, intégrant un important accompagnement du patient, voire d’une éducation thérapeutique.
Concernant le DT2, il s’agissait traditionnellement d’accompagner le patient à accepter sa maladie chronique et à apprendre à se traiter sur le long terme pour éviter au maximum les complications. Aujourd’hui, alors qu’il devient parfois possible de lui dire que son DT2 est potentiellement réversible, les écueils et les paradoxes semblent encore plus nombreux. La maladie reste chronique (elle dure longtemps) mais pourrait être guérissable. Les actions peuvent être engagées immédiatement mais les résultats ne se font sentir qu’après de nombreux mois. Les changements entrepris par le patient peuvent aboutir à la guérison espérée mais il est impossible de le garantir du fait de la complexité des phénomènes en jeu. Et cette guérison reste conditionnelle, puisqu’en vieillissant et en redevenant sédentaire ou en reprenant du poids, le diabète peut ressurgir. Le soignant-éducateur devra donc compter sur une alliance thérapeutique profonde pour aider le patient à cheminer en évitant les pièges de l’impuissance face à la maladie d’une part, face à la tentation de toute puissance d’autre part.
Il s’agit, pour guider le patient, de définir avec lui les petits changements possibles, de mettre en évidence les bénéfices qu’il pourrait en attendre, de lui permettre d’exprimer ses difficultés et ressources et d’anticiper les éventuelles rechutes.
Loin de vouloir «faire disparaître» la maladie, il s’agit bien de permettre à la personne de consentir psychologiquement à sa maladie chronique et d’appréhender les différents éléments qui ont probablement contribué à l’installation d’un DT2.
Finalement, le soignant va l’aider à comprendre comment favoriser, de façon concrète et au quotidien, une rémission sur le long terme.
Nous proposons ainsi une éducation thérapeutique qui ne se résume pas à la transmission d’informations mais comprend des pédagogies actives permettant des apprentissages dans plusieurs dimensions de la personne (cognitive, mais aussi perceptive, émotionnelle, etc.) et faisant sens pour elle.16,17
Nous pouvons par exemple demander à ce patient ce qu’il comprend de sa maladie, ce qu’elle signifie pour lui, comment, selon lui, il est devenu diabétique et comment, toujours selon lui, il pourrait en ressortir… Sur un autre registre, il est également possible d’aller rechercher ce qu’il attend de la relation et comment il envisage son propre rôle (tableau 1).
Le travail pédagogique peut se faire en individuel ou en groupe de patients, selon des modalités qui peuvent être extrêmement diverses, allant du dialogue au jeu de rôles et mise au défi, d’une activité programmée en salle à la pratique en extérieur (activité physique, visite de marchés, etc.). L’important étant de valoriser les ressources des patients, ainsi que leurs réussites, plutôt que de mettre l’accent sur les difficultés ou les faux pas. Les patients obèses, par exemple, ont souvent une musculature bien développée, ce qui peut être valorisé, dans le discours, comme un atout pour une perte de poids, au lieu d’inviter uniquement à diminuer la prise d’aliments. Autre exemple, au lieu de leur rappeler que l’alcool est problématique, les patients retraités ont souvent du temps et peuvent être motivés à apprendre et s’engager dans un projet personnel, ou familial, de santé.
Nous vivons une période extrêmement féconde en découvertes dans le domaine des maladies métaboliques en général et du DT2 en particulier. De nombreuses recherches récentes nous indiquent aujourd’hui la manière dont cette affection se met en place et peut être réversible, lorsque certains tissus ne sont pas irrémédiablement détériorés.
Cette maladie dépend pour partie de notre environnement : l’alimentation proposée aujourd’hui est souvent inadéquate, de nombreux éléments stressants sont apparus et la mécanisation se substitue au travail musculaire.
Il s’agit, pour la partie qui dépend du patient, de comprendre, suivre et adapter son traitement médicamenteux afin d’éviter les cercles vicieux auto-entretenant et aggravant la maladie. Il s’agit également de tenter d’améliorer le métabolisme : regagner en condition physique, diminuer ses facteurs de stress chronique, améliorer la qualité de la nutrition et perdre du poids. Ceci implique de nombreux apprentissages et prend du temps. Mais la perspective d’en guérir est motivante et les progrès rendus visibles permettent l’accroissement de l’estime de soi des patients.
Une maladie aussi complexe et fortement dépendante des comportements requiert également des changements de la part des soignants qui doivent, pour une part de leur métier, devenir également des soignants-éducateurs. L’éducation thérapeutique qui comprend un accompagnement important du patient, c’est-à-dire une réelle alliance thérapeutique, ainsi que des pédagogies permettant l’apprentissage de savoirs complexes, est nécessaire.
Changer dans le sens de la guérison, que le patient y parvienne ou pas, peut être motivant et porteur de nouveaux bonheurs de vie, ainsi que tendre à une diminution du risque des complications du diabète, notamment les problèmes cardiovasculaires.
Finalement, ce projet partagé peut permettre d’accroître la qualité de la relation patients-soignants, d’accompagner certaines remises en question et d’inviter les patients à le faire. Apprendre est certainement l’une des grandes forces de l’être humain… Et même adulte, «vivre» signifie peut-être «apprendre à vivre» !
> Le diabète de type 2 est une maladie potentiellement réversible, il est possible d’en guérir lorsque les tissus cibles ne sont pas encore irrémédiablement altérés
> La maladie est systémique, et l’éventuelle rémission dépend d’actions complémentaires à mener en parallèle : activité physique progressive, baisse du stress, amélioration de la nutrition
> Lorsqu’elle est physiologiquement envisageable, la guérison dépendra notamment de la capacité des patients à apprendre et à changer sur le long terme, et donc de l’engagement éducatif des soignants