Il y avait eu un «effet Angelina Jolie». On peut désormais s’attendre à un effet rebond. En mai 2013, la célèbre actrice humanitaire signait une tribune intitulée «My Medical Choice» et publiée dans le New York Times.1 Alors âgée de 37 ans, elle révélait avoir accepté qu’on lui pratique une double mastectomie. L’actrice précisait qu’elle avait fait ce choix car elle était porteuse d’une mutation génétique qui accroît le risque de cancer. Elle précisait qu’elle était exposée à un risque de 87% de développer un cancer du sein et de 50% un cancer de l’ovaire.
«Quand j’ai appris quelle était ma situation, j’ai décidé de prendre les devants et de réduire les risques autant que possible, écrivait-elle. J’ai décidé de subir une double mastectomie préventive.
… La prise de parole eut alors pour effet de rappeler les aspects éthiques de cette intervention …
J’ai commencé par les seins, le risque de cancer du sein étant plus élevé que le risque de cancer des ovaires, et l’opération est plus complexe.»
Elle ajoutait que désormais ses risques d’être atteinte d’un cancer du sein n’étaient plus que de 5% : «Je peux dire à mes enfants qu’ils n’ont plus besoin d’avoir peur de me perdre en raison d’un cancer du sein.» Bien évidemment cette intervention ne permettait pas de réduire le risque de transmission de la mutation génétique à sa descendance (Angelina Jolie et son compagnon Brad Pitt ont eu trois enfants et en ont adopté trois autres).
Il n’était guère difficile de prédire que l’aura de l’actrice et l’écho international que rencontrerait son témoignage feraient beaucoup pour la vulgarisation d’une pratique chirurgicale préventive qui a commencé à être proposée il y a une vingtaine d’années. «J’ai décidé de rendre publique mon histoire parce qu’il y a de nombreuses femmes qui ne savent pas qu’elles vivent dans l’ombre du cancer, expliquait d’ailleurs Angelina Jolie. J’ai l’espoir qu’elles aussi seront capables de faire un test génétique, et que si elles sont soumises à un risque élevé de développer la maladie, qu’elles sachent aussi qu’il existe des solutions.»
La prise de parole, très largement amplifiée, de l’actrice américaine eut alors pour effet de rappeler les aspects éthiques de cette intervention : pratiquer une mutilation en réalisant l’ablation d’organes sains mais qui risquent de devenir cancéreux, et ce sur la base d’un calcul statistique réalisé à partir d’équations génétiques. «Dans la population générale, le risque de cancer du sein d’une femme sans facteur de risque particulier est d’environ 9% à l’âge de 70 ans, expliquait alors à Slate.fr le Dr Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie, Paris). En d’autres termes, près d’une femme sur dix a eu, a, ou aura un cancer du sein avant l’âge de 70 ans. Actuellement, on estime qu’une femme sur cinq cents est porteuse d’une prédisposition génétique due à une altération du gène BRCA1 ou BRCA2. Dans ce cas, le risque de cancer du sein augmente. Il faut savoir que l’importance de l’augmentation diffère en fonction du gène et des mutations dont il est l’objet. En cas d’altération du gène BRCA1, le risque est d’environ 65% avant l’âge de 70 ans et de l’ordre de 40% avant l’âge de 50 ans. En cas d’altération du gène BRCA2, le risque est de l’ordre de 45% à 70 ans, et de 20% avant 50 ans.»
En d’autres termes, une femme peut être génétiquement prédisposée et ne jamais avoir de cancer du sein. A l’inverse, et comme l’expliquait Angelina Jolie, la pratique de la mastectomie ne réduit pas à zéro le risque ultérieur de souffrir d’un cancer du sein. Contrairement à une idée souvent répandue, il ne s’agit donc pas d’une prévention totale mais d’une réduction notable du risque. Insistons. La mastectomie prophylactique réduit le risque de cancer du sein de plus de 90%. Ainsi, une femme dont le risque de cancer du sein est estimé à environ 65% à l’âge de 70 ans et qui effectuerait cette intervention verrait son risque passer à moins de 6,5% : l’efficacité préventive est donc importante, mais pas absolue. Il existe en outre un risque résiduel de cancer du sein, car dans certains cas, la morphologie limite l’ablation de la totalité du tissu mammaire (on retire la totalité des deux glandes mammaires : les seins, les aréoles et les mamelons, tout en préservant la peau.
En pratique, en cas de prédisposition au cancer du sein, une femme peut (dans le meilleur des cas) envisager soit une surveillance mammaire spécialisée, soit les méthodes dites «de prévention» ou «prophylactiques» afin de réduire le risque. Une surveillance mammaire très attentive peut permettre de dépister un cancer du sein débutant. Un cancer du sein dépisté précocement a de meilleures chances de guérison. En cas de prédisposition génétique, les femmes concernées peuvent, en France, bénéficier chaque année d’une surveillance rapprochée dès l’âge de 30 ans.
Tous ces éléments furent généralement oubliés dans les turbulences médiatiques qui suivirent la publication de la tribune de mai 2013. Et plusieurs témoignages médicaux firent état, outre-Atlantique notamment, d’un accroissement des demandes pour dépistage génétique (en dehors d’un contexte familial) et pour une chirurgie prophylactique. Près de deux ans plus tard nouvelle tribune, à nouveau dans le New York Times.2 Angelina Jolie Pitt (elle s’est mariée entretemps) annonce avoir subi une ablation préventive des ovaires et des trompes de Fallope, par crainte d’un possible cancer ovarien.
«Je n’ai pas fait cela simplement parce que je suis porteuse du gène BRCA1, mais parce que je veux alerter les autres femmes», écrit-elle comme elle l’avait fait avec l’annonce de sa mastectomie.
Elle explique aussi s’être préparée depuis longtemps à cette nouvelle intervention. Elle confie qu’il y a quelques semaines son médecin lui a annoncé que ses analyses de sang présentaient un «certain nombre de marqueurs inflammatoires élevés, et qu’ensemble, ils étaient susceptibles de constituer un signe précoce de cancer». Il lui a alors conseillé de consulter un chirurgien au plus vite.
«Etre porteuse du gène BRCA ne veut pas dire qu’il faut se précipiter vers la chirurgie», souligne toutefois Angelina Jolie, mais, «dans mon cas, les médecins que j’ai consultés d’Est en Ouest étaient d’accord pour dire qu’une ablation des ovaires et des trompes était la meilleure décision car trois femmes de ma famille ont succombé au cancer».
Cette nouvelle tribune conduit plusieurs médias, féminins ou pas, à refaire une indispensable pédagogie sur le sujet. On a ainsi expliqué que pratiquée à cet âge une ablation des ovaires et des trompes induit une ménopause précoce autant que brutale. On a aussi souligné qu’il est bien plus difficile de diagnostiquer précocement un cancer de l’ovaire qu’une tumeur dans le sein. Et que les possibilités thérapeutiques sont également très différentes. Rappelé, enfin, les signes qui doivent appeler à la vigilance sur une éventuelle mutation des gènes BRCA1 ou 2.
Nombre de médias soulignent aussi le courage et le panache de cette femme sex-symbol devenue un symbole de la lutte contre le cancer. Tout le monde ne partage pas cette lecture. C’est ainsi qu’ici ou là quelques femmes ont critiqué (publiquement) non pas les choix chirurgicaux de l’actrice, mais sa volonté de les exposer au grand jour médiatique. Rien n’impose d’entrer dans cette controverse. Les optimistes tiendront que ces déclarations faciliteront l’indispensable travail de pédagogie médicale. Les autres ne verront là qu’une nouvelle bouture mortifère de la société du spectacle. Et quelques-uns verront dans Angelina Jolie Pitt, bientôt 40 ans, une forme de réincarnation, laïque et furieusement contemporaine, des saintes et des martyres du temps jadis.