Dans les pays qui nous entourent, l’ultrasonographie ciblée par le clinicien (USCC) est devenue un outil indispensable en médecine intensive. En Suisse, bien que l’USCC fasse partie des exigences de la formation en médecine intensive, aucun programme officiel d’enseignement et d’évaluation des compétences n’existe à ce jour. La création d’un curriculum de formation et son implémentation pratique est donc un défi.
Les freins et les obstacles au développement de l’USCC dans les unités des soins intensifs (USI) sont multiples.1 La limitation du temps de travail a diminué les opportunités d’apprentissage des gestes techniques. Les multiples tâches cliniques sont contraignantes pour les apprenants et les instructeurs. La sécurité des patients doit être maintenue durant la phase d’apprentissage. Le nombre d’instructeurs qualifiés est encore insuffisant.
Le développement rapide de la technologie a eu un impact majeur sur l’éducation médicale, et permet d’envisager des approches d’enseignement et d’évaluation originales. Nous présentons ici un nouveau concept de formation en ultrasonographie (US), basé sur des directives internationales, que nous avons développé ces dernières années et qui permet de surmonter les obstacles décrits ci-dessus.
L’USCC peut être divisée en trois niveaux selon le concept de la pyramide décrite par Cholley et coll.2 Un niveau de base, un avancé et un expert. Pour les intensivistes, la capacité d’acquisition rapide des compétences de base est bien documentée dans la littérature médicale.3 Les exigences pour le niveau avancé sont plus élevées et nécessitent une excellente maîtrise du niveau de base.
La délimitation précise du contenu est essentielle, du fait du vaste domaine d’exploration possible de l’US, exposant à un risque significatif de dispersion aux dépens de l’apprentissage ciblé essentiel. Le contenu de base, tel que défini par le consensus de l’ACCP (American College of Chest Physicians) et de la SRLF (Société de réanimation de langue française),4 regroupe uniquement les éléments d’apprentissage utiles en médecine intensive. Les objectifs d’apprentissage ont été structurés en savoirs (items spécifiques), regroupés en modules, correspondant à des questions ciblées explicites auxquelles l’apprenant devra s’efforcer de répondre. A titre d’exemple, pour l’US cardiaque, ces questions sont au nombre de quatre : «Existe-t-il un épanchement péricardique significatif ? Existe-t-il une dysfonction ventriculaire gauche systolique ? Existe-t-il une dysfonction ou une surcharge ventriculaire droite ? Existe-t-il des signes d’hypovolémie ou de dépendance de précharge ?».
La maîtrise de ces compétences de base donne accès à des stratégies diagnostiques comme le «RUSH protocol – Rapid Ultrasound in SHock» pour rechercher la cause d’une insuffisance circulatoire ou le «Blue protocol – Bedside Lung Ultrasound in Emergency» pour rechercher l’étiologie d’une insuffisance respiratoire.
La formation se déroule en quatre temps. Elle commence par l’acquisition de connaissances théoriques par e-learning. La maîtrise de ces notions donne accès au cours pratique basé sur des ateliers avec modèles, simulateurs et fantômes. Les acquis du cours pratique sont perfectionnés par un entraînement intensif sur simulateur. L’apprentissage se poursuit au lit du patient avec des vrais patients dans des contextes cliniques variés.
Des modules de formation et des vidéos didactiques disponibles en tout temps sur un serveur internet sont mis à disposition des médecins en formation, qui progressent individuellement selon le temps qu’ils ont à disposition dans les modules d’apprentissage (technique – cardiaque – pulmonaire – abdominal – vasculaire – protocoles). Des questions à choix multiple permettent de vérifier l’acquisition des connaissances. Un deuxième contrôle des connaissances de base est effectué par les instructeurs au cours des sessions pratiques. Des guides de poche électroniques imprimables, régulièrement mis à jour, servent de documents de référence.
Cette phase se déroule par sessions centralisées par région, permettant de réunir des instructeurs maîtrisant à la fois la pratique de l’USCC et les objectifs d’apprentissage, et d’optimiser l’utilisation du matériel. Ces sessions réunissent des groupes constitués de trois à quatre participants, avec un instructeur et un modèle sain, ainsi que des simulateurs.
Une première partie, de 30 minutes, est consacrée à la connaissance et à l’adaptation au matériel (utilisation et entretien de la machine, réglages de base, manipulation de la sonde).
La deuxième partie est consacrée à l’examen cardiaque, et comprend cinq sessions de 50 minutes, au cours desquelles les vues classiques sont enseignées (parasternales long et court axes, apicales 4 et 5 cavités, sous-costale 4 cavités et veine cave inférieure). Une modélisation en 3D du cœur est à disposition sur modèle (figure 1) et sur simulateur, afin de mieux appréhender son anatomie dans l’espace et l’orientation du transducteur. A l’issue de cette partie, l’exposition à des scénarios cliniques simples sur simulateur permet la révision des vues et la vérification de la maîtrise des compétences de base (figure 2).
La troisième partie, divisée en sessions de 60 minutes, est consacrée à l’US générale (poumon, abdomen et vaisseaux) et aux pathologies cardiaques :
session poumon (ligne pleurale, diaphragme) ;
session abdomen (organes abdominaux et récessus) ;
session vaisseaux (anatomie des veines cervicales et des membres inférieurs, ponction jugulaire échoguidée sur fantôme (figure 3).
Cette phase de la formation est contrôlée par un test noté d’acquisition d’images sur des volontaires et par la résolution d’un scénario clinique sur simulateur. Cette phase est également évaluée par les participants grâce à un formulaire standard.
Lorsque l’apprenant a acquis les bases théoriques et pratiques, il peut entreprendre des examens au lit du patient, d’abord sous supervision directe, puis après accord de l’instructeur, sous supervision différée ou à distance par télémédecine.
La réussite de cette phase ultime nécessite à la fois un excellent niveau de qualification et de disponibilité des instructeurs, mais également une participation très active de l’apprenant, il incombe à ce dernier la responsabilité de réaliser le nombre d’examens nécessaires à une certification, sous supervision adaptée, et avec une documentation adéquate sous forme d’un logbook validé par le(s) formateur(s).
Alors que l’enseignement est traditionnellement centré sur l’enseignant, nous proposons un concept de formation participatif, impliquant fortement l’apprenant dans le processus d’apprentissage. L’enseignant est ici considéré comme un facilitateur de l’apprentissage. Cet enseignement, centré sur l’élève et non plus seulement sur le maître, permet une meilleure compréhension et une application immédiate des compétences cognitives et psychomotrices requises pour la technique.
Un changement de paradigme est également proposé, avec le passage d’un modèle de formation basé sur la durée à un modèle basé sur la validation continue des compétences.
Pour l’intensiviste, l’apprentissage de l’USCC ne devrait pas être sanctionné par une accréditation, mais devrait figurer dans le logbook de formation postgraduée et être validé directement par les formateurs, comme toutes les autres compétences spécifiques (ventilation mécanique par exemple).