Le concept de traitement des maladies IgE-médiées par des anticorps anti-IgE a émergé dans les années 1970.1 Néanmoins, l’élaboration d’un anticorps anti-IgE humanisé et non pourvoyeur d’anaphylaxie a pris presque 30 ans.
En 2000, un agent biologique répondant à ces critères, l’omalizumab, a été mis au point. Il s’agit d’un anticorps monoclonal humanisé composé d’une structure kappa IgG1 humaine (représentant 95% de la molécule) sur laquelle a été greffée une séquence murine (représentant 5% de la molécule) qui est invisible du système immunitaire lorsqu’il se lie à l’IgE (figure 1).
Grâce à son mécanisme d’action, il n’a pas de potentiel anaphylactogène et diminue l’inflammation allergique (figure 2). Il se lie au domaine Cε3 de l’IgE libre (mais ne peut pas se fixer aux IgE déjà liées aux récepteurs cellulaires) et forme des trimères et/ou des hexamères qui empêchent la liaison des IgE à leur récepteur de haute affinité (FCεRI) présents à la surface des mastocytes et des basophiles, mais induit aussi la diminution de l’expression des récepteurs FCεRI et du relargage des médiateurs contenus dans les mastocytes et les basophiles.
La première application clinique a été l’asthme allergique avec un grand nombre d’essais cliniques témoignant de son efficacité et de sa haute tolérance.4 Ainsi, la prévalence du risque d’anaphylaxie est rare (0,05-2%) et comparable à celle de la population générale.
Depuis, de nombreuses implications thérapeutiques dermatologiques, dans des maladies parfois considérées comme non IgE-médiées, ont été décrites.
La première pathologie dermatologique dans laquelle l’omalizumab a été testé est la dermatite atopique. Les premières observations rapportaient une amélioration de dermatite atopique chez des patients traités par omalizumab pour un asthme allergique associé. Ainsi, les premières publications furent encourageantes mais basées sur des séries de petite taille.5–7
Une autre série avec de petits effectifs, concernant des dermatites atopiques sans asthme ou rhinite allergique associées, a fourni des résultats discordants.8
Par la suite, deux essais contrôlés de bonne qualité démontrèrent que la réponse biologique à l’omalizumab n’est pas systématiquement associée à une réponse clinique dans la dermatite atopique.9,10
L’enjeu reste donc de définir des sous-groupes de dermatite atopique répondant à l’omalizumab (asthme associé ? taux IgE sérique ou IgE spécifique ? autres biomarqueurs ? génétique ?).
L’urticaire chronique spontanée (UCS), anciennement nommée urticaire chronique idiopathique, peut être définie comme l’apparition spontanée et quotidienne, ou quasi quotidienne, de plaques prurigineuses et/ou d’un angiœdème, pendant six semaines ou plus.
Plus de 1000 patients souffrant d’UCS traité par omalizumab sont rapportés dans la littérature, et trois essais cliniques récents ont démontré une efficacité remarquable dans l’UCS résistant aux antihistaminiques avec un nombre de patients à traiter pour l’obtention d’un bénéfice très bas.11–13
Depuis août 2014, l’omalizumab est ainsi reconnu et remboursé en Suisse dans l’indication des UCS résistant aux antihistaminiques administrés à 4 fois la dose quotidienne recommandée (figure 3). La dose recommandée d’omalizumab est de 300 mg toutes les quatre semaines quel que soit le taux d’IgE initial. La réponse clinique est majoritairement observée dans les premières semaines de traitement. Il n’existe actuellement aucune recommandation quant à la durée du traitement. Néanmoins, il semblerait que la majorité des patients ayant obtenu une rémission clinique après traitement rechutent à l’arrêt de celui-ci.15 Une étude récente suggère que l’efficacité et la rapidité d’action restent cependant les mêmes lors des réintroductions.16
La définition même de l’UCS exclut les autres urticaires chroniques inductibles (physiques) et les vasculites urticairiennes. Il existe cependant des cas publiés rapportant également une efficacité de l’omalizumab dans certaines urticaires inductibles (au froid,17 retardée, à la pression18) et vasculites urticairiennes.19,20 Les publications sont par contre contradictoires pour les urticaires solaire21,22 et cholinergique.23,24
L’urticaire résulte de différents mécanismes physiopathologiques. Il peut s’agir d’une activation des mastocytes par l’intermédiaire de récepteurs membranaires impliqués dans l’immunité innée ou d’une activation des mastocytes par toxicité directe des xénobiotiques. Il peut également s’agir d’une réaction d’hypersensibilité médiée par des anticorps et/ou des lymphocytes T qui se traduit par l’activation des mastocytes. Bien que les IgE, responsables de l’hypersensibilité de type I, aient été longtemps considérées comme la principale cause immunologique responsable de l’activation des mastocytes, cette voie est en fait rare. A ce titre, l’efficacité de l’omalizumab dans cette indication est donc surprenante et encore mal comprise. Elle pourrait s’expliquer par l’abaissement global du seuil de stimulation mastocytaire.
La mastocytose cutanée dans la forme de l’urticaire pigmentaire est une maladie indolente qui peut cependant menacer le pronostic vital lors des réactions anaphylactoïdes. Ces dernières peuvent être particulièrement sévères lors de piqûres ou désensibilisation aux hyménoptères. Plusieurs cas publiés rapportent l’efficacité de l’omalizumab comme traitement prophylactique lors des immunothérapies antivenins mais aussi comme traitement curatif des symptômes paroxystiques avec une diminution du taux de tryptases.25
Il n’existe par contre pas de littérature sur l’effet de l’omalizumab dans le prurit lié à l’urticaire pigmentaire.
Les patients atteints de pemphigoïde bulleuse souffrent de prurit et de lésions urticairiennes souvent associés à une hyperéosinophilie plasmatique. Certaines études ont démontré que 70% des patients atteints de pemphigoïde bulleuse avaient un taux sérique d’IgE élevé26,27 et que certains d’entre eux présentaient également des dépôt IgE sur la jonction dermoépidermique.28
Une série récente rapporte l’efficacité remarquable et rapide de l’omalizumab chez six patients présentant une pemphigoïde bulleuse réfractaire aux corticoïdes systémiques à haute dose et/ou aux immunosuppresseurs classiques.29
Cette dermatose bulleuse auto-immune concerne une population âgée souvent polymorbide qui souffre fréquemment des effets secondaires d’une corticothérapie générale ou d’autres traitements immunosuppresseurs non sélectifs.
Le rôle et la tolérance de cet agent biologique dans cette indication restent à préciser mais semblent intéressants du fait de sa rapidité et de sa sélectivité d’action.
Le nombre croissant de publications sur l’omalizumab ont apporté de nouvelles informations sur les rôles des IgE et de leur récepteur dans certaines pathologies dermatologiques pour lesquelles on ne suspectait pas leur implication.
A contrario, les espoirs initialement mis dans le traitement de la dermatite atopique s’avèrent en partie déçus.
Certaines indications thérapeutiques et sous-populations cibles restent à définir par des études cliniques ainsi que l’impact économique de cet agent biologique.
Novartis : rétribution pour un meeting d’échange d’expériences sur l’urticaire chronique spontanée.
> L’expérience de l’utilisation à grande échelle de l’omalizumab dans l’asthme allergique démontre sa parfaite tolérance
> L’omalizumab a obtenu l’indication de traitement des urticaires chroniques spontanées résistant aux antihistaminiques administrés à 4 fois la dose quotidienne recommandée
> Il n’est pas systématiquement associé à une réponse clinique dans la dermatite atopique
> Il semble prometteur en prophylaxie dans les désensibilisations aux hyménoptères chez des patients atteints de mastocytose
> Son rôle reste à définir dans le traitement de la pemphigoïde bulleuse