Deux voies différentes d’administration existent pour le traitement d’immunoglobulines : intraveineuse (Ig IV – administration mensuelle en milieu médical) et sous-cutanée (Ig SC – auto-administration hebdomadaire à domicile). Selon la littérature, efficacité et sécurité sont similaires, mais les Ig SC pourraient améliorer la qualité de vie et la satisfaction au traitement. La Policlinique médicale universitaire de Lausanne a développé un programme interdisciplinaire d’accompagnement à long terme de patients sous Ig SC. De plus, elle a mené une enquête exploratoire interrogeant des patients sous Ig IV sur leur intérêt pour les Ig SC : les patients intéressés ont jugé moins favorablement l’efficacité et/ou la tolérance des Ig IV et considéré que les Ig SC amélioreraient leur motivation au traitement et l’impact sur leur vie privée et professionnelle.
L’administration substitutive d’immunoglobulines G (IgG) est le traitement de choix du déficit immunitaire primaire, ayant pour but une diminution du nombre d’infections, réduisant ainsi le nombre d’hospitalisations, la morbidité et la mortalité.1,2 Les IgG sont également indiquées lors de myélome ou leucémie lymphoïde chronique avec hypogammaglobulinémie secondaire sévère et infections récurrentes.3 Elles sont aussi utilisées hors indication dans différents domaines comme la neurologie, l’hématologie, la néphrologie, la rhumatologie ou encore la dermatologie.4 Différentes spécialités sont disponibles sur le marché suisse, permettant une administration intraveineuse ou sous-cutanée.
Utilisées depuis les années 1980, les immunoglobulines intraveineuses (Ig IV) sont généralement administrées toutes les trois à quatre semaines par du personnel soignant en milieu médical (hôpital ou cabinet par exemple). Leur administration nécessite un accès veineux adéquat, rendant ce mode d’administration parfois difficile pour certains patients, notamment lorsque le traitement est administré depuis longtemps. L’administration mensuelle conduit à des variations des taux d’IgG sériques induisant de faibles taux les jours précédant la prochaine perfusion et augmentant la susceptibilité aux infections.5 Les effets indésirables fréquents (≥ 1/100 à < 1/10) à très fréquents (≥ 1/10) sont d’ordre systémique : par exemple céphalées, fièvre, fatigue et/ou nausées.3 Ces réactions peuvent être minimisées ou prévenues, notamment par prémédication orale d’antihistaminiques ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens.6 La voie intraveineuse est actuellement en Suisse le traitement de choix.2 Toutefois, une administration d’immunoglobulines par voie sous-cutanée (Ig SC) peut être plus favorable, par exemple lors de mauvais accès veineux ou selon les effets indésirables systémiques présents.
Le traitement Ig SC s’est développé dans les années 1990. Il est habituellement auto-administré par le patient à domicile, une fois par semaine. Les perfusions s’effectuent au niveau de la paroi abdominale, des bras, des cuisses ou de la face externe de la hanche, sur un ou plusieurs sites d’injection selon la dose, grâce à une pompe portable (figure 1).
Cette voie est sûre et bien tolérée, avec une efficacité similaire (à dose équivalente) aux Ig IV dans la diminution de l’incidence et la sévérité des infections.7–10 De plus, les Ig SC procurent des taux d’IgG sériques plus stables que l’administration intraveineuse mensuelle (figure 2), ce qui peut expliquer une intensité et/ou une fréquence des effets indésirables systémiques moindres.7 En effet, sa pharmacocinétique est caractérisée par une diffusion progressive des IgG du compartiment sous-cutané au compartiment vasculaire, éliminant l’apparition d’un pic plasmatique.5,8,11
Les effets indésirables fréquents (≥1/100 à <1/10) à très fréquents (≥1/10) observés sont des réactions locales aux sites d’injection : douleurs, gonflements, ecchymoses, sensations de chaleur locale et/ou rougeurs.3 Notre expérience montre que ces réactions diminuent généralement avec le temps et peuvent être prévenues par une hydratation quotidienne de la peau, une réduction du débit d’administration ainsi qu’une rotation systématique des sites d’injection.
En Suisse, les coûts liés aux Ig SC seraient plus faibles par rapport aux Ig IV, notamment grâce à une diminution des besoins en soins et une «perte de productivité» pratiquement nulle pour les patients.12 Une revue systématique de 2012 regroupant des études européennes et américaines a également mis en évidence des coûts plus faibles pour les Ig SC.7
D’autre part, une amélioration de la qualité de vie des patients et de leur satisfaction au traitement lors du passage des Ig IV aux Ig SC a été démontrée dans cette même revue.7 En effet, le traitement Ig SC apporte un gain de liberté, d’indépendance (par exemple, pour voyager) et de flexibilité, dans la limite des impératifs imposés par le traitement. L’impact sur la vie sociale, familiale et professionnelle des patients est ainsi réduit. Pendant l’administration, il est possible de se déplacer et d’effectuer diverses activités quotidiennes (cuisine, lecture, tâches ménagères, etc.). Finalement, la participation active des patients dans leur traitement semble avoir un effet favorable sur leur adhésion, pouvant contribuer à l’amélioration des résultats médicaux.13 Dans certains pays, notamment en Suède, ce mode d’administration est devenu prédominant par rapport à la voie intraveineuse.14,15
Un traitement Ig SC peut être envisagé tant chez des patients sous traitement Ig IV actuel ou antérieur, que chez des patients naïfs. Il est important de préciser qu’il est possible de passer des Ig IV aux Ig SC et inversement à tout moment, ces choix n’étant pas définitifs !16 Les Ig SC représentent une alternative aux Ig IV, en particulier chez des patients avec un capital veineux diminué, des effets indésirables systémiques importants sous Ig IV ou selon la préférence des patients, notamment quand le traitement Ig IV interfère avec les activités familiales ou professionnelles. Il ne constitue toutefois pas une alternative pour certains patients : personnes non autonomes, en situation sociale et/ou personnelle difficile ou lors de bélénophobie (peur des aiguilles). La sélection des patients pour les Ig SC doit tenir compte d’une responsabilité et d’une motivation adéquates de leur part.8 Les patients doivent être capables d’effectuer correctement des auto-injections de façon régulière. L’environnement au domicile doit également être adapté (hygiène de vie, lieu de stockage approprié pour le matériel, les produits, etc.).17
Former les patients au démarrage d’un traitement Ig SC est une étape indispensable pour la pleine réussite du traitement à long terme, afin qu’ils acquièrent les compétences suffisantes pour être totalement autonomes dans l’administration de leur traitement.18,19 Il existe, à l’heure actuelle, des programmes de formation dans des centres spécialisés dans la plupart des pays européens.20
La Policlinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne a développé un programme interdisciplinaire d’accompagnement destiné aux patients romands sous Ig SC à domicile.21 Centré sur la personne, il est composé de trois phases : inclusion, formation et suivi à long terme (figure 3). Il a pour but de transmettre les compétences de base nécessaires à l’auto-administration autonome à domicile et à garantir efficacité, sécurité et adhésion optimales au traitement, tout en assurant un feedback d’informations (notamment sur le ressenti et les plaintes éventuelles des patients) avec l’équipe médicale et infirmière spécialisée. Une plateforme web sécurisée (www.sispha.com) facilitera très prochainement le monitoring des traitements Ig SC à domicile.
En collaboration avec le Service d’immunologie et allergie du CHUV, la Pharmacie de la PMU a mené une enquête exploratoire visant à décrire les caractéristiques des patients sous Ig IV (traités pour une immunodéficience commune variable), intéressés à un passage accompagné sous Ig SC. Vingt-trois patients recevant un traitement Ig IV au Centre de médecine ambulatoire de la PMU ont été interrogés au printemps 2014 (taux de participation de 96%). Le questionnaire qui leur a été soumis contenait cinq parties (53 questions au total) : sociodémographie, satisfaction au traitement (Treatment Satisfaction questionnaire for Medication version II22), index de qualité de vie (Life Quality Index23,24), perception des patients en lien avec leur santé, respectivement leur traitement, ainsi que connaissance préalable et intérêt pour les Ig SC.
Le jour de l’interview, 44% des patients se sont déclarés intéressés par un traitement Ig SC. Une semaine plus tard, le taux d’intérêt pour les Ig SC était de 30% (7/23). A noter que les scores de l’index de qualité de vie des patients interrogés se sont révélés supérieurs à ceux décrits dans la littérature,24,25 ce qui reflète le très bon niveau de prise en charge médico-infirmière du centre spécialisé de Lausanne, mais qui peut diminuer l’intérêt des patients à passer sous Ig SC.
Les avantages principaux perçus par les patients étaient l’absence de déplacement, le confort d’utilisation ainsi qu’un gain de liberté, flexibilité, indépendance et/ou autonomie. Les principaux inconvénients rapportés étaient la fréquence des administrations, l’autogestion du traitement, ainsi que le fait de devoir se piquer.
Le nombre d’années de traitement ne semble pas avoir d’impact sur le choix des patients : 70% d’entre eux sous Ig IV depuis plus de cinq ans n’étaient pas intéressés par le traitement Ig SC. L’intérêt pour les Ig SC ne paraît également être influencé ni par la durée du déplacement (en moyenne 29 ± 19 minutes), ni par le temps passé à l’hôpital pour l’administration (en moyenne 2 h 41 ± 1 h 14).
Cette enquête n’a pas permis de dégager dans notre région des caractéristiques spécifiques chez les personnes intéressées par les Ig SC. Toutefois, quelques tendances ont pu être mises en évidence : les patients intéressés ont jugé moins favorablement l’efficacité et/ou la tolérance des Ig IV (sans que cela ne soit objectivé par des différences de consommation d’antibiotiques ou d’effets indésirables rapportés). De plus, ils considéraient le mode intraveineux plus contraignant en termes d’impact sur leur vie professionnelle et/ou de liberté de voyages/déplacements et avaient un sentiment plus important de dépendance envers les autres. Ces perceptions s’illustrent dans leurs différences de jugements statistiquement significatives sur l’influence d’un passage sous Ig SC sur leur motivation au traitement et l’impact sur leur vie privée et professionnelle, par rapport aux patients ne se disant pas intéressés par les Ig SC (tableau 1).
Les résultats de cette enquête montrent l’importance de parler du traitement Ig SC à tous les patients pouvant en bénéficier, de leur laisser un temps de réflexion tout en leur expliquant que le passage d’une voie à l’autre reste en tout temps possible. Le choix du mode d’administration devrait être laissé au patient, car son traitement doit s’adapter à son propre style de vie, ses attentes personnelles, ses croyances et ses compétences et non l’inverse. Toutefois, donner de l’autonomie à une personne ne signifie pas de la laisser seule face à sa maladie et l’accompagner ne se limite pas à gérer l’envoi postal du matériel nécessaire une fois sa formation effectuée. Chaque personne a un degré de motivation et une perception de la difficulté du traitement Ig SC différents, d’où l’importance d’une formation puis d’un accompagnement individualisés et flexibles au gré des aléas du quotidien. En concordance avec cette vision intégrée des soins, le programme romand initié à Lausanne montre par ailleurs l’intérêt d’une collaboration interprofessionnelle (médecin spécialiste – infirmière – pharmacien – médecin de premier recours) au plus proche de la réalité des patients. Menée à petite échelle, l’enquête lausannoise semble montrer que le médecin devrait proposer plus particulièrement les Ig SC aux patients se plaignant d’effets indésirables lors des administrations intraveineuses, s’interrogeant sur l’efficacité du traitement et/ou présentant des difficultés à intégrer dans leur vie familiale et/ou professionnelle la venue régulière dans un centre médical.
Le laboratoire CSL Behring a offert un soutien pour des déplacements lors de congrès et une subvention sans restrictions en vue de faciliter le projet académique à la Policlinique médicale universitaire. Olivier Bugnon est cofondateur et membre du conseil d’administration de SISPha SA.
> Il existe actuellement deux voies d’administration pour les immunoglobulines : intraveineuse (Ig IV) et sous-cutanée (Ig SC), dont l’efficacité est jugée similaire
> Le choix du mode d’administration des immunoglobulines devrait être systématiquement abordé avec les patients
> Il est notamment recommandé de discuter d’un traitement Ig SC avec les patients se plaignant d’effets indésirables systémiques ou souhaitant être plus autonomes dans l’administration de leur traitement
> Le passage d’une voie à l’autre reste en tout temps possible, aucun choix n’est définitif
> Un accompagnement interdisciplinaire à long terme (médecin, infirmière, pharmacien) devrait être encouragé chez les personnes traitées par Ig SC à domicile
Two different routes of administration exist for the immunoglobulin therapy : intravenous (Ig IV – monthly administration in medical setting) and subcutaneous (Ig SC – weekly self-administration at home). According to the literature, efficacy and safety are similar, but Ig SC could improve quality of life and treatment satisfaction. The Policlinique Médicale Universitaire of Lausanne has developed an interdisciplinary program for the long-term support of Ig SC patients. Moreover, it conducted an exploratory survey interviewing Ig IV patients about their interest for Ig SC : patients interested judged less favourably efficacy and/or tolerance of Ig IV and considered that Ig SC would improve their motivation for treatment and its impact on their private and professional life.