La sclérodermie systémique (ScS) est une maladie protéiforme dont le pronostic et le traitement sont liés à l’atteinte d’organe. La fibrose pulmonaire (FP) et l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) ou la combinaison des deux représentent les causes principales de mortalité et ont un fort impact sur la qualité de vie des patients avec ScS. La FP débute précocement et progresse habituellement lentement. Cependant, l’insuffisance respiratoire terminale peut s’installer chez environ 10% des patients. L’HTAP peut être une complication précoce ou tardive de la ScS et conduit à une insuffisance cardiaque droite. Les traitements actuels permettent un contrôle partiel des manifestations cliniques liées à la FP et à l’HTAP, mais pour les deux conditions des stratégies thérapeutiques plus efficaces sont encore nécessaires.
La sclérodermie systémique (ScS) est une maladie complexe dans laquelle trois entités coexistent : la vasculopathie avec une dysfonction des cellules endothéliales, l’activation du système immunitaire avec auto-immunité et inflammation, et finalement la fibrose avec activation des fibroblastes et leur transdifférenciation en myofibroblastes qui produisent un excès de matrice extracellulaire.1 La maladie peut atteindre de nombreux organes (peau, poumon, cœur, rein, tube digestif et système musculo-tendineux) avec une rapidité et une sévérité très variables, faisant de la ScS une pathologie aux manifestations très hétérogènes. La ScS avec atteinte cutanée limitée est fréquemment associée à la présence d’anticorps anticentromère et caractérisée par une plus grande prévalence de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). La ScS avec atteinte cutanée diffuse est classiquement associée à des anticorps anti Scl-70 et plus souvent à une fibrose pulmonaire (FP). En plus de l’HTAP et de la FP, on peut retrouver au niveau pulmonaire des épanchements pleuraux, une pneumonie d’aspiration, un pneumothorax spontané, des bronchiectasies, une pneumonie organisée d’origine inconnue, un emphysème, des hémoptysies, voire même un risque augmenté de néoplasie pulmonaire ou encore une atteinte des muscles respiratoires. L’évolution de la maladie est variable, relativement bénigne chez les patients avec atteinte cutanée limitée et beaucoup plus sévère chez les patients avec atteinte cutanée diffuse.2 Nous allons ici passer en revue les différents aspects de la FP et de l’HTAP liées à la ScS.
Les mécanismes physiopathologiques menant à la FP dans le cadre de la ScS sont mal compris. Une prédisposition génétique, combinée à des facteurs environnementaux (infections virales, exposition à des solvants, à de la silice, etc.), y sont impliqués. Si dans la FP idiopathique, des lésions de l’épithélium alvéolaire comportent la production de médiateurs inflammatoires amenant à l’activation des fibroblastes, qui finalement prolifèrent en formant des «foci fibroplastiques» (corps de Masson) avec une production accrue de matrice extracellulaire, il est possible que dans la FP de la ScS, l’enchaînement des événements soit différent. Quel que soit le mécanisme pathogénique, il semble clair qu’à partir d’un certain moment les fibroblastes activés deviennent autonomes et beaucoup moins sensibles aux facteurs inhibiteurs. Cela implique qu’idéalement l’intervention thérapeutique devrait être précoce pour empêcher que la fibrose s’installe.
La FP apparaît dans les premières années de la maladie et par la suite l’évolution est lentement progressive avec une insuffisance respiratoire terminale chez environ 10% des patients. Elle représente une des principales causes de mortalité de ScS. La prévalence de la FP dans la ScS varie et semble être liée à la présence de certains auto-anticorps. En effet, les anticorps anti-Scl-70 et Th/To sont associés à une augmentation du risque de développer une FP.3 Parmi les variantes histologiques de la FP, la plus commune est la NSIP (non specific interstitial pneumonia) et moins fréquemment l’UIP (usual interstitial pneumonia) (tableau 1).
En pratique, l’évaluation initiale pour déterminer l’étendue et la sévérité de la pneumopathie comporte : l’anamnèse, tout en sachant que les symptômes respiratoires (toux, dyspnée d’effort) peuvent être absents jusqu’à l’apparition d’une atteinte pulmonaire déjà constituée ; l’examen clinique qui peut révéler la présence de râles crépitants de type «velcro» prédominants aux bases ; l’évaluation de la capacité d’effort par un test de marche de 6 minutes avec mesure de la saturation d’O2 (SaO2) et l’estimation de la dyspnée, tout en sachant que ce test a un rendement moindre dans la ScS à cause des limitations musculo-squelettiques et la présence du phénomène de Raynaud ; les fonctions pulmonaires complètes avec capacité de diffusion du monoxyde de carbone (DLCO) pouvant démontrer une atteinte restrictive et/ou une diminution de la DLCO avant l’apparition des symptômes ; le CT thoracique à haute résolution peut mettre en évidence des images en «verre dépoli», des opacités réticulaires dans une distribution basilaire et sous-pleurale (suggestives de fibrose pulmonaire) ou des bronchectasies ou bronchiolectasies par traction ; le lavage broncho-alvéolaire (LBA), utile pour éliminer une infection, n’a pas de rôle déterminant dans le diagnostic et le pronostic de la pneumopathie fibrosante associée à la ScS ; la biopsie pulmonaire est rarement nécessaire, le pattern radiologique permettant le plus souvent d’orienter le diagnostic et la stratégie thérapeutique.
Le but du traitement est de réduire l’inflammation, dans l’espoir de limiter le développement de la fibrose, celle déjà constituée n’étant pas réversible. Pour retenir une indication au traitement de la FP, on se base sur l’étendue de l’atteinte visualisée au CT thoracique et sur les fonctions pulmonaires. Pour une atteinte pulmonaire de moins de 20% du parenchyme et une capacité vitale forcée (CVF) de plus de 70%, on peut considérer que le risque de progression est faible et un suivi régulier attentif est suffisant. En revanche, si l’atteinte parenchymateuse est supérieure à 20% et la CVF est inférieure à 70%, la probabilité d’aggravation est importante et le traitement est justifié.4 D’autre part, la rapidité avec laquelle le syndrome restrictif s’installe et progresse détermine les modalités de prise en charge thérapeutique.
Une étude contrôlée a démontré que le cyclophosphamide améliore la CVF à douze mois mais l’effet s’estompe à 24 mois.5 Dès lors, selon l’avis d’experts, un relais à douze mois par l’azathioprine ou le mycophénolate mofétil (MMF) peut être essayé pour maintenir l’avantage acquis. En effet, le MMF semble améliorer la survie à cinq ans.6 Les stéroïdes doivent être utilisés avec parcimonie, en ne dépassant pas les 10-15 mg/jour, puisque des doses plus importantes augmentent le risque de crise rénale sclérodermique.
Selon une étude rétrospective qui se base sur les données du registre EUSTAR, le rituximab (anticorps monoclonal qui cible les lymphocytes B) semble améliorer les volumes pulmonaires et l’atteinte interstitielle évalués à un an.7 Récemment, deux nouveaux traitements, la pirfénidone (Esbriet) et le nintedanib (Ofev), ont été approuvés pour le traitement de la FP idiopathique. Toutefois, il n’y a pas d’études disponibles sur l’efficacité de ces molécules dans la FP associée à la ScS. Chez les patients qui présentent une ScS rapidement évolutive, une immunosuppression profonde avec reconstitution par transplantation de cellules souches hématopoïétiques autologues a démontré le potentiel à stabiliser, voire à améliorer la FP.8 Finalement, la transplantation bipulmonaire est une option dans le cadre d’insuffisance respiratoire terminale. La survie après transplantation pulmonaire pour une FP semble être inférieure chez les patients avec ScS par rapport à ceux avec FP idiopathique.9
L’hypertension pulmonaire (HTP) est définie par une mesure par cathétérisme cardiaque droit d’une élévation permanente des pressions, égale ou supérieure à 25 mmHg, au sein des artères pulmonaires. L’HTP peut être précapillaire ou postcapillaire, selon qu’il existe ou non une élévation de la pression capillaire pulmonaire bloquée (Pcap).10 L’HTAP est une vasculopathie touchant principalement les petites artères pulmonaires, entraînant une HTP et une augmentation progressive des résistances vasculaires pulmonaires. Les HTP sont classées en cinq groupes étiologiques (tableau 2).11 L’HTAP touche autour de 10% des patients atteints de ScS12 et est grevée d’une forte mortalité causant 30% des décès liés à la ScS.13 Malgré les importantes avancées thérapeutiques, l’HTAP liée à la ScS reste une complication redoutée avec une moins bonne réponse aux traitements et un moins bon pronostic que dans l’HTAP idiopathique. Dès lors, il apparaît essentiel d’identifier les patients à risque afin d’initier un suivi régulier, établir des objectifs thérapeutiques et faire un dépistage précoce. En effet, 55% des HTAP sont diagnostiquées dans les cinq années suivant le diagnostic de ScS.14
Plusieurs mécanismes sont impliqués dans l’augmentation des résistances vasculaires dans l’HTAP liée à la ScS : la vasoconstriction, le remodelage vasculaire pulmonaire, les phénomènes de thromboses in situ, la production excessive de matrice extracellulaire et de facteurs de croissance, ainsi qu’une importante composante inflammatoire. De plus, une production déficiente de substances vasodilatatrices, comme le monoxyde d’azote (NO) et les prostacyclines, et une augmentation de production de facteur vasoconstricteur telle l’endothéline-1, contribuent au remodelage vasculaire menant à une obstruction graduelle intra-artérielle. Du point de vue histologique, l’HTAP associée à la ScS comporte de nombreuses similarités avec l’HTAP idiopathique dont la présence d’infiltrats inflammatoires, un épaississement et une fibrose de l’intima, une hypertrophie de la média et une fibrose de l’adventice. Cependant, on retrouve moins de lésions plexiformes, de fibrose intimale et une plus grande prévalence d’atteinte veino-occlusive.15
Initialement, le patient est le plus souvent asymptomatique. Une asthénie peut être retrouvée, le symptôme majeur restant une dyspnée à l’effort d’installation progressive. Les autres signes cliniques sont plutôt tardifs, comme des douleurs rétrosternales, des palpitations, des lipothymies, des syncopes, plus rarement des hémoptysies ou encore une dysphonie (syndrome d’Ortner).16 Les signes d’insuffisance cardiaque droite surviennent à un stade avancé de la maladie, le patient présentant alors une HTP sévère au pronostic sombre. Ainsi, la détection précoce de l’HTAP reste un défi et récemment, l’étude DETECT a proposé un algorithme en utilisant des données cliniques et des tests non invasifs pour un dépistage initial chez des patients asymptomatiques.17 On rappellera tout de même que l’échocardiographie transthoracique reste le meilleur outil de dépistage de l’HTP. Malgré une acuité diagnostique incitant à la prudence, cet examen permet notamment d’estimer le gradient de pression entre l’oreillette et le ventricule droit en évaluant la vitesse de régurgitation tricuspidienne (figure 1). Le cathétérisme cardiaque droit reste non seulement indispensable à la confirmation du diagnostic mais aussi le seul moyen de différencier une HTP précapillaire typique de la maladie vasculaire pulmonaire d’une HTP postcapillaire, témoin d’une cardiopathie gauche. Il est ici important de rappeler que la dysfonction diastolique ventriculaire gauche, pouvant se traduire par une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée et une hypertension veineuse pulmonaire, est fréquemment associée à la ScS et peut être confondue avec une HTAP. Ceci justifie que l’étude hémodynamique soit complète et précise, cherchant à exclure une dysfonction diastolique par un test de surcharge volémique ou des mesures à l’effort lors du cathétérisme cardiaque droit pour lequel le patient devrait être adressé à un centre expert. Il s’agira aussi de réaliser un test de réversibilité, le plus souvent par inhalation de NO, pour rechercher les rares patients qui pourraient bénéficier d’un traitement par anticalcique. Une diminution isolée de la DLCO et l’élévation du BNP (brain natriuretic peptide) sont aussi des éléments d’alarme et outils de dépistage et de suivi.
Parmi les mesures générales, il est recommandé d’éviter les efforts intenses, alors que la participation à un programme de réentraînement, supervisé dans un centre expert, bénéficie d’une recommandation forte. Il s’agira aussi d’éviter les bains chauds, sauna ou hammam (la vasodilatation cutanée induite risquant de faire chuter le débit cardiaque) et les séjours en altitude au-delà de 800 m. La grossesse est contre-indiquée pour les patientes souffrant d’HTAP, faisant courir le risque d’une aggravation de la maladie notamment au cours du dernier trimestre et du risque important de mortalité péripartum. Il faut veiller à l’utilisation d’une contraception efficace (en tenant compte d’une diminution de l’efficacité de la contraception orale induite par les traitements spécifiques de l’HTAP). La vaccination contre le pneumocoque, la grippe et Haemophilus influenzae est importante et l’arrêt d’un éventuel tabagisme doit être encouragé.
Les traitements généraux consistent en une oxygénothérapie chez les patients hypoxémiques (PaO2 < 8 kPa en air ambiant) en rappelant qu’il est essentiel de contrôler la volémie par un traitement diurétique adapté. Les arythmies, principalement auriculaires, doivent être recherchées et traitées. L’anticoagulation peut être discutée mais ne bénéficie pas d’une recommandation forte pour l’HTAP associée à la ScS, contrairement à l’HTAP idiopathique.
Les inhibiteurs calciques, bien que couramment utilisés chez les patients avec ScS pour le traitement du phénomène de Raynaud, ne sont utiles que chez les rares patients présentant une vasoréactivité lors du cathétérisme cardiaque droit. Finalement, l’immunosuppression n’a pas de place dans le traitement de l’HTAP liée à la ScS, même s’il est probable qu’un contrôle de la maladie auto-immune soit de toute façon bénéfique à la maladie vasculaire pulmonaire, à l’instar de certaines HTAP associées au lupus.
Une meilleure compréhension des mécanismes pathogéniques de l’HTAP a permis le développement de traitements spécifiques qui agissent sur les différentes voies connues du remodelage vasculaire illustrées dans la figure 2, à savoir celles de l’endothéline, du NO et de la prostacycline. Ces traitements vasodilatateurs comprennent trois classes principales :18
Les traitements spécifiques peuvent avoir des effets synergiques en combinaison. D’ailleurs, les recommandations internationales sur la prise en charge de l’HTAP insistent sur la définition d’objectifs thérapeutiques ambitieux et l’association séquentielle des différentes classes de molécules. Par ailleurs, la combinaison d’emblée de deux, voire trois molécules est actuellement testée et laisse espérer une efficacité thérapeutique supérieure dans la prise en charge de l’HTAP liée à la ScS.21
La ScS est une maladie complexe avec multiples facettes dont la physiopathologie n’est pas encore totalement comprise. La FP et l’HTAP représentent les principales causes de décès liés à la ScS. Le diagnostic précoce avec les algorithmes de dépistage développés améliore leur prise en charge. Des études cliniques contrôlées ont démontré une efficacité de la thérapeutique pour l’HTAP, ce qui n’est pas le cas pour la FP. Plusieurs molécules validées dans des modèles expérimentaux commencent à être testées chez l’homme.
> L’atteinte pulmonaire interstitielle et l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) sont considérées comme étant les deux premières causes de morbi-mortalité au cours de la sclérodermie systémique (ScS)
> Pour le dépistage précoce, un bilan annuel est proposé avec fonctions pulmonaires et capacité de diffusion (DLCO), test de marche de 6 minutes et échocardiographie
> Si une HTAP est suspectée sur la base de l’échocardiographie, un cathétérisme droit est fortement recommandé
> Une approche multidisciplinaire est nécessaire pour optimiser leur prise en charge
Systemic sclerosis (SSc) is a protean disorder in which prognosis and treatment are tailored on the basis of organ involvement. Among SSc lung manifestations, interstitial lung disease (ILD) and pulmonary arterial hypertension (PAH) or the combination of both, are the first cause of SSc mortality and impact heavily on patient quality of life. ILD may begin early in disease and usually progresses slowly. However, approximately 10% of patients with ILD may reach terminal respiratory insufficiency. PAH may be an early or late complication of SSc in which increased blood pressure in pulmonary arteries leads to right heart failure. Current treatments provide some benefit, but both SSc-ILD and PAH still represent an enormous unmet need of more efficacious therapeutic strategies.