Les syndromes myélodysplasiques (SMD) sont un groupe hétérogène de maladies clonales des cellules souches sanguines. Ils sont caractérisés par une hématopoïèse inefficace et se manifestent principalement par des cytopénies. Paradoxalement, la moelle hématopoïétique est le plus souvent hypercellulaire, mais les cellules sont dysplasiques et, au lieu de se différencier, entrent en apoptose. Les SMD progressent vers une leucémie myéloïde aiguë chez environ un tiers des patients.1 Par ailleurs, environ 20% des patients atteints de SMD vont présenter des manifestations auto-immunes au cours de leur maladie, d’où l’intérêt de cette revue.
Les SMD ont une incidence estimée entre trois et cinq cas pour 100 000 personnes par année dans la population générale.2 Ce chiffre augmente avec l’âge de la population étudiée pour atteindre 30-50 cas pour 100 000 personnes par année chez les plus de 80 ans.3
La classification des SMD actuellement utilisée est basée principalement sur la morphologie cellulaire et date de 2008.1 Elle comprend trois groupes principaux : les SMD, les néoplasies myéloprolifératives-myélodysplasiques et les néoplasmes secondaires à des thérapies cytotoxiques (tableau 1).
Leur diagnostic se base avant tout sur un examen morphologique du frottis sanguin périphérique et des cellules obtenues par aspiration médullaire. Un examen de la biopsie médullaire est également nécessaire au moment du diagnostic, notamment afin de déterminer le degré de fibrose de la moelle hématopoïétique, élément pronostique. De plus, lorsque la moelle osseuse est hypocellulaire, cet examen permet de différencier les SMD hypoplasiques d’une anémie aplasique. La cytogénétique est utile pour le pronostic de la maladie, ainsi que, dans certains cas, pour poser le diagnostic.4
Différents scores ont été élaborés afin de stratifier le risque du patient de développer une leucémie aiguë et d’orienter le choix du traitement. Ils comprennent en général des caractéristiques étant des variables indépendantes de la survie telles que le nombre et la gravité des cytopénies périphériques, le pourcentage de blastes médullaires et les caractéristiques cytogénétiques des cellules. Les scores actuellement les plus utilisés sont l’IPSS5 et l’IPSS-R,6 ce dernier prenant en compte les dernières découvertes cytogénétiques.
La prise en charge des SMD reflète leur hétérogénéité. Selon le score pronostique, l’âge du patient et ses comorbidités, le traitement pourra être constitué d’un soutien transfusionnel et d’un apport de facteurs de croissance, de chimiothérapie ou d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques.4
Outre l’haplo-insuffisance, les mutations somatiques de gènes ainsi que les modifications épigénétiques, une dérégulation immunitaire participe à l’étiologie des SMD (figure 1).
La sécrétion augmentée de cytokines pro-inflammatoires telles que l’IL-6 ou le TNF-alpha par les macrophages et fibroblastes médullaires promeut l’apoptose des cellules hématopoïétiques.7 L’expression de néoantigènes, notamment WT1 (Wilms tumor factor), par les cellules tumorales stimule la prolifération et l’activation de cellules T CD8+ cytotoxiques, qui sécrètent également du TNF-alpha ou de l’IFN-gamma.8 L’inhibition de la croissance de colonies érythroïdes et granulocytaires par des cellules T CD8+ autologues ainsi que par des cellules NK a également été décrite.8
Un déséquilibre entre cellules TH17 et cellules T régulatrices a été décrit dans les SMD à bas risque et participe à l’activation de la réponse inflammatoire via une augmentation de la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires telles que l’IL-7, l’IL-12 et l’IFN-gamma. Les cellules TH17, connues pour promouvoir une réponse inflammatoire dans certaines maladies auto-immunes, pourraient expliquer l’émergence de certaines manifestations inflammatoires dans les SMD.9
L’augmentation de la sécrétion d’interféron de type I est un autre élément propre à différentes maladies auto-immunes. Un médiateur de la voie de signalisation de l’interféron de type I, IFN regulatory factor-1 (IRF-1), a été mesuré à des taux plus élevés chez des patients avec SMD et maladies auto-immunes par rapport à des patients présentant un SMD sans manifestation auto-immune.10
Des manifestations auto-immunes surviennent au cours d’un SMD dans 10 à 35% des cas selon les études (tableau 2). Les patients atteints de SMD ont ainsi un risque de présenter des manifestations auto-immunes 4 à 5 fois plus élevé que les témoins.11–16 Les manifestations auto-immunes les plus fréquentes sont des vasculites localisées ou systémiques, des polyarthrites et des dermatoses neutrophiliques (tableau 3). Deux études se sont plus particulièrement intéressées aux manifestations cutanées dans le cadre d’un SMD,14,15 retrouvées chez 10 à 25% des patients. Les manifestations cutanées les plus fréquentes étaient des vasculites leucocytoclasiques (purpura palpable prédominant aux membres inférieurs) et le syndrome de Sweet (dermatose aiguë fébrile neutrophilique).
Les patients manifestant une auto-immunité au cours d’un SMD ne semblent pas présenter de mortalité augmentée par rapport à ceux ayant un SMD isolé. Cependant, l’apparition d’une vasculite systémique lors de SMD est de mauvais pronostic.11,13
Concernant le traitement des maladies auto-immunes, plusieurs publications soulignent l’efficacité de la corticothérapie sur les manifestations inflammatoires, tandis que son effet sur les cytopénies est moins évident.1116 Les immunosuppresseurs classiques, de par leur effet cytotoxique, sont à éviter dans la mesure du possible. Les SMD dans lesquels les lymphocytes T cytotoxiques ou la surexpression de cytokines pro-inflammatoires semblent jouer un rôle prépondérant tant sur le versant des cytopénies que dans les manifestations auto-immunes sont des candidats idéals à une approche immunomodulatrice plus sophistiquée. La ciclosporine A, l’alemtuzumab (un anticorps monoclonal ciblant les CD52 exprimés par les lymphocytes matures), la thalidomide, le lénalidomide ainsi que des agents biologiques ciblant le TNF-alpha, l’IL-6 ou l’IL-1 s’annoncent prometteurs, mais n’ont été utilisés que dans quelques cas et de manière non contrôlée. Une série de cas récente signale une amélioration tant des symptômes auto-immuns que de la myélodysplasie sous traitement de 5-azacytidine.16
A contrario, plusieurs études ont étudié le risque de développer un SMD lors de la présence d’une maladie auto-immune. Celle-ci semble augmenter le risque de SMD avec un odds ratio (OR) variant entre 1,5 et 3,5.17–20 La prévalence de maladies auto-immunes précédant l’apparition d’un SMD varie de 8 à 23,3%.1920
La présence d’une maladie auto-immune depuis plus de dix ans semble augmenter le risque de développer un SMD, l’OR s’élevant alors entre 2,1 et 3,5.1718 Comme dans la population générale, le risque de développer un SMD dans un contexte d’auto-immunité augmente avec l’âge des patients (OR 1,6 pour les patients âgés de 70 ans ou plus).17
Kristinsson et coll. ont montré que le risque de SMD était augmenté en particulier en cas d’arthrite rhumatoïde, d’anémie hémolytique auto-immune, de purpura thrombopénique idiopathique, d’anémie aplasique, de granulomatose avec polyangéite (maladie de Wegener), de Polymyalgia rheumatica, de maladie de Horton et de psoriasis.20 Wilson et coll., quant à eux, n’ont trouvé de risque élevé pour un SMD que dans les maladies inflammatoires de l’intestin, et ceci indépendamment de la présence ou de l’absence d’un traitement immunosuppresseur.17
La classification OMS 2008 des néoplasies myéloïdes distingue les SMD secondaires à une thérapie (t-SMD) cytotoxique ou une radiothérapie administrées pour une pathologie néoplasique ou immunologique préexistante. Les médicaments utilisés pour traiter des maladies auto-immunes et associés à un risque t-SMD sont principalement l’azathioprine21 et le cyclophosphamide,22 en général dans un délai de trois à dix ans. Les t-SMD sont souvent caractérisés par une délétion ou la perte des chromosomes 5 et 7 et ont un pronostic plus défavorable par rapport aux autres SMD.23 Bien que les t-SMD semblent induits par l’effet cytotoxique des traitements susmentionnés, une contribution de l’auto-immunité elle-même ne peut pas être formellement exclue. A noter que les t-SMD ne sont pas pris en compte dans l’association forte entre SMD et auto-immunité décrite précédemment.
L’apparition ou l’accentuation d’une cytopénie chez un patient atteint d’une maladie auto-immune doit faire évoquer la possibilité d’un SMD sous-jacent ou consécutif au traitement immunosuppresseur. Cette évaluation est certes difficile, les maladies auto-immunes en elles-mêmes ainsi que leur traitement pouvant causer des cytopénies et des signes de dysplasie. Ainsi, une étude rétrospective sur 110 patients atteints d’une maladie auto-immune, adressés à une unité d’hématologie pour l’évaluation d’une cytopénie périphérique, rapporte des hémopathies malignes dans 22% des cas, dont des SMD chez onze patients (10%).24 Etre de sexe masculin ou avoir un taux de fer sérique augmenté semblaient associés à un plus grand risque de SMD dans cette population. En effet, le fer sérique est diminué dans le cadre d’une anémie secondaire à une maladie auto-immune systémique chronique, ce qui n’est pas le cas lors d’un SMD.24 Il faut néanmoins souligner ici que seule la détection d’une anomalie cytogénétique caractéristique permet de poser le diagnostic affirmatif de SMD. De ce fait, la ponction-biopsie de moelle hématopoïétique fait partie intégrante du bilan.
Les SMD sont une pathologie du sujet âgé avec une prévalence en augmentation dans une population vieillissante. La pathogenèse des SMD est complexe et implique, outre un désordre clonal au niveau des cellules souches hématopoïétiques, une réponse immunologique aberrante. Chez un patient âgé présentant une polyarthrite, des lésions cutanées douloureuses ou des signes de vasculite dans un contexte de cytopénie périphérique, il est important de penser à la possibilité d’un SMD sous-jacent. Par ailleurs, les pathologies auto-immunes en elles-mêmes ainsi que les traitements cytotoxiques utilisés pour les soigner augmentent le risque de SMD (et d’hémopathie maligne en général). L’apparition ou l’accentuation d’une cytopénie dans le cadre d’une pathologie inflammatoire doit faire redouter la possibilité d’un SMD et motiver une évaluation hématologique.
> Les syndromes myélodysplasiques (SMD) se compliquent dans 20% des cas de manifestations auto-immunes, principalement sous forme de vasculites, de polyarthrites ou de dermatoses neutrophiliques
> Les patients atteints de maladies auto-immunes sont à risque de développer un SMD ou une autre hémopathie maligne
> Si un patient avec SMD développe des arthralgies, des lésions cutanées douloureuses ou des symptômes généraux, il faut penser à la possibilité d’une maladie auto-immune secondaire
> En cas d’apparition ou de péjoration d’une cytopénie périphérique chez un patient avec maladie auto-immune, il faut évoquer la possibilité d’un SMD et, le cas échéant, demander un avis hématologique
> Les manifestations auto-immunes dans le cadre d’un SMD répondent généralement bien à une corticothérapie.