Les développements actuels de la médecine sont caractérisés par deux mouvements apparemment opposés.1 D’un côté, la médecine basée sur les preuves (EBM), avec ses larges études randomisées, contrôlées par placebo, en double aveugle, qui nous amène à des «guidelines» pour le patient moyen, typique, à des listes et indications de médicaments, au calcul des coûts et leur remboursement par les caisses maladie. D’un autre côté, on entend de plus en plus parler de la médecine personnalisée qui part de l’hypothèse que chaque individu est unique. Sa vision de la prise en charge optimale des patients est l’intégration de la connaissance et de la diversité de ses gènes et l’observation clinique soigneuse respectant la singularité du patient.
«… L’attitude dédaigneuse de certains est un indice de leur distance du métier pratique …»
En pratique clinique, nous nous retrouvons dans un dilemme éthique et pratique : nous sommes tenus de suivre les recommandations de l’EBM, d’utiliser les médicaments pour les indications enregistrées et d’expliquer tous les effets indésirables éventuels aux patients. Pourtant, dans le monde réel des cabinets et hôpitaux, nous sommes confrontés à de vrais individus malades avec leurs présentations cliniques et comorbidités uniques et leurs réactions aux médicaments et traitements imprévisibles. Comme bien illustré dans ce numéro de la RMS sur des maladies immunologiques (sclérodermie, syndrome d’antisynthétase, IgG4, SMD) et réactions allergiques, on est souvent loin de la certitude des statistiques significatives et des collectifs standardisés étudiés. La constellation de leurs comorbidités rend les «guidelines» même contradictoires et on rencontre des maladies rares ou émergentes pour lesquelles on ne dispose simplement pas d’études, et des patients réfractaires à tout traitement reconnu.
C’est ici, précisément, que les «case reports», les études n = 1 ont leur intérêt et nous aident.2 La découverte de nombreuses maladies s’est faite par l’observation méticuleuse dans un esprit de détachement et de curiosité. L’impact d’une observation clinique peut être énorme, protéger des patients et sauver des vies comme dans la pharmacovigilance. Les rapports des effets inattendus ou surprenants peuvent aussi ouvrir la porte à de nouvelles indications des médicaments et de nouvelles idées sur la pathophysiologie. Nous avons besoin de savoir si un médicament enregistré pour une maladie donnée fonctionne par analogie pour une autre maladie rare.
L’attitude dédaigneuse de certains fondamentalistes, épidémiologues et bureaucrates de la science à l’égard des «case reports» est un indice de leur distance du métier pratique. Ce qui marche chez un patient ne fonctionnera pas nécessairement pour le prochain avec le même diagnostic et inversement, malgré les résultats des études randomisées. Il faut donc reconnaître et louer ceux qui rapportent leurs observations cliniques, les résultats des expériences de n = 1 car ils nous aident dans la prise en charge du prochain cas difficile et exceptionnel. Ils ont bel et bien le potentiel de changer la pratique clinique.3 En outre, les «case reports» sont un excellent outil de formation médicale ainsi qu’un bon entraînement d’apprentissage à la publication dans une carrière hospitalo-académique. Néanmoins, les limitations ne doivent pas être occultées, les «case reports» avec des résultats négatifs devraient aussi être publiés afin d’équilibrer le biais de publication. De même, il faudrait éviter les cas incomplets qui manquent d’informations, raison pour laquelle ils doivent passer par un processus de «peer review» méticuleux et suivre des directives de publication.4
«… IBM est en train de nourrir son super-ordinateur WATSON avec toute l’évidence médicale y inclus les "case reports" …»
Au final, il y existe un troisième développement dans la médecine : c’est la digitalisation. IBM est en train de nourrir son super-ordinateur WATSON avec toute l’évidence médicale y inclus les «case reports» et de créer un super-docteur diagnostique et traitant.5 Un jour peut-être ne sera-t-il plus nécessaire d’écrire des «case reports» parce que tous les dossiers informatisés de tous les patients seront enregistrés et analysés par ce système, révolutionnant nos connaissances et facultés médicales.