Dans cet article, nous nous intéressons à l’arthrite bactérienne communautaire des articulations natives chez l’adulte. Le lecteur s’intéressant aux infections articulaires virales, mycobactériennes, parasitaires, nosocomiales, pédiatriques, gonococciques, brucellose, borréliose, prothétiques ou encore aux inflammations articulaires para-infectieuses est prié de consulter la littérature correspondante.
L’arthrite septique bactérienne peut se présenter de façon aiguë ou chronique, avec différentes étiologies. En cas d’arthrite septique primaire, l’origine est présumée hématogène, avec une incidence de 2-10/100 000 personnes/année.1 Elle est corrélée à un taux de morbidité élevé. Les articulations portantes sont les plus affectées, avec l’articulation du genou concernée dans la moitié des cas. Les germes les plus souvent rencontrés chez l’adulte sont les cocci Gram positif comme Staphylococcus aureus ou Streptococcus spp. L’incidence des arthrites septiques post-traumatiques varie entre 4 et 22%.2 Elle concerne surtout le jeune adulte, et dans 54% l’articulation du genou.2 Ici, les pathogènes les plus fréquents sont des Gram négatif variant suivant le mécanisme de lésion (tableau 1).
La démarche diagnostique en cas de suspicion d’arthrite septique aiguë se base sur un ensemble de plusieurs arguments. Toutefois, il faut tenir compte du fait que, prise isolément, l’évolution clinique et biologique ne permet souvent pas une prise de décision. La majorité des patients présentent en effet une arthralgie progressive associée à des signes inflammatoires non spécifiques, qu’ils soient locaux (calor, dolor, rubor et tumor) ou systémiques (état fébrile et frissons). Ce même tableau clinique peut résulter aussi de la manifestation de différents types d’arthrites inflammatoires comme l’arthropathie microcristalline ou les arthrites auto-immunes. En cas d’arthrite septique chronique, on peut retrouver une fistule, même en l’absence de signes inflammatoires. Dans ces cas, il faut considérer l’articulation comme contaminée et donc très probablement infectée.
Bien qu’en soi peu sensible ni spécifique, le niveau de la protéine C-réactive (CRP) semble être corrélée à la survenue de l’arthrite septique. En effet, la sensibilité augmente avec le taux de CRP, atteignant 45-86% à plus de 100 mg/l.3 Les hémocultures sont par contre formellement positives seulement dans 50% des arthrites septiques.4 Finalement, une arthrite bactérienne per continuitatem et mauvais chaussage est fréquemment rencontrée dans le cadre des orteils en griffe chez les patients neuropathiques tels que les diabétiques de longue date.5
L’analyse du liquide synovial permet de mesurer plusieurs données biologiques pour aider à justifier un drainage en urgence. Le gold standard reste la présence d’un même pathogène dans un minimum de deux échantillons différents. En effet, sa présence dans un seul échantillon signe une possible contamination, surtout si le germe est un commensal de la peau comme un staphylocoque coagulase-négative, Corynebacterium spp ou Bacillus spp. Enfin, une faible concentration de pathogènes est suffisante pour induire une réaction inflammatoire considérable et amorcer une destruction cartilagineuse (figure 1). Il n’est donc pas rare qu’aucun germe ne soit retrouvé malgré la forte suspicion d’arthrite septique, et surtout si le patient a reçu des antibiotiques avant la démarche diagnostique. L’utilisation d’une PCR n’est par ailleurs pas effectuée de routine en raison de sa faible sensibilité, de son coût élevé ainsi que de l’absence d’antibiogramme. La coloration Gram de routine dans de nombreuses cliniques présente une sensibilité malheureusement faible, à savoir d’environs 20 à 40%.6 La numération avec la répartition leucocytaire est favorisée par d’autres auteurs. Le cut-off reste débattu avec une limite proposée par certains experts à plus de 50 000 cellules/mm3 et 80% de polynucléaires. D’autres études ont montré que même une numération à 100 000 cellules/mm3 et 90% de polynucléaires ne permettait pas de discriminer une arthrite septique d’une inflammatoire. D’autres marqueurs sont en cours d’étude comme le glucose synovial, les protéines totales et le lactate.6 Pour finir, il est important de chercher la présence de cristaux qui par eux-mêmes ne peuvent exclure une infection d’une arthropathie microcristalline.7
L’imagerie n’a que peu d’utilité dans le diagnostic de l’arthrite septique primaire. Une ostéomyélite concomitante n’est en effet visualisable que tardivement, comme dans l’arthrite septique chronique. Cependant, il existe un intérêt médicolégal à documenter le suivi ad hoc. Les radiographies standards en deux plans permettent de mettre en évidence une éventuelle arthrose précédant l’infection ou la présence d’une chondrocalcinose. L’ultrasonographie facilite le dépistage d’un épanchement dans des articulations moins accessibles telle l’articulation de la hanche, et d’en guider la ponction. L’IRM ou le CT-scan permettent non seulement de déceler l’épanchement articulaire mais aussi de localiser un possible foyer primaire à distance de l’articulation. Leur rôle reste par contre secondaire, car dépendant de leur disponibilité.
La figure 1 illustre l’exemple d’un patient de 44 ans avec arthrite septique de la hanche native droite à Streptococcus pyogenes (ponction sous scopie de la hanche droite en préopératoire et confirmation lors des prélèvements intraopératoires). La CRP à l’entrée s’élevait à 275 mg/l. Un lavage et un drainage chirurgicaux le jour même de l’admission ont été effectués, avec un traitement de pénicilline par la suite. Malgré cela, la radiographie de contrôle à six semaines montre un clair pincement de l’interligne articulaire.
Il n’existe à l’heure actuelle aucune étude proposant une prise en charge standardisée. En pratique, la prise en charge thérapeutique se fait en parallèle au diagnostic. Etant donné la destruction cartilagineuse dans la plupart des arthrites bactériennes non gonococciques et non borréliennes, le drainage articulaire et le traitement antibiotique empirique sont souvent initiés avant les résultats microbiologiques,6 sauf en cas de forte suspicion d’arthropathie microcristalline.7
La littérature actuelle suggère que tout type de drainage est valide pour réduire l’infection à condition d’être effectué le plus tôt possible. L’arthrite septique semble détruire le cartilage en quelques jours, bien que la durée exacte ne soit pas connue chez l’être humain. Il existe plusieurs facteurs favorisants comme l’arthrose, les maladies rhumatismales, ainsi que certains types de pathogènes. Il n’existe pour l’instant aucune étude qui compare de manière prospective le drainage chirurgical versus l’arthrocentèse itérative ; la dernière de temps en temps effectuée par les rhumatologues. Pour certains auteurs, dont ceux de cet article, un drainage chirurgical est préféré dans tous les cas de sepsis ou d’articulation difficilement ponctionnable comme celle de la hanche. Au contraire, l’arthrocentèse peut être préférée pour les coudes et genoux qui, techniquement, sont plus facilement accessibles. La littérature ne montre pas non plus de différence significative entre un lavage chirurgical primaire par arthroscopie ou par arthrotomie8,9 dans les articulations natives.
Si l’infection a déjà détruit la surface articulaire et l’os sous-jacent, une résection de la zone infectée devient une option. Un spacer en ciment chargé d’antibiotiques permet de diminuer l’espace mort et de maintenir la tension correcte dans les tissus mous en attendant une arthroplastie définitive.10 Nous pouvons citer comme exemple la résection de tête-col selon Girdlestone pour les arthrites septiques de hanche, qui permet, après plusieurs semaines d’antibiotiques, une reconstruction prothétique. L’arthrodèse peut être aussi envisagée pour certains types d’articulations comme les genoux ou les chevilles. Cette technique opératoire permet de fusionner les deux os d’une même articulation dans une position fonctionnelle. Au prix d’un certain raccourcissement, la stabilité du membre et l’absence de douleurs résiduelles sont assurées dans la plupart des cas. L’amputation reste une option chirurgicale rare, réservée aux infections majeures qui mettent la vie du patient en danger, ou aux infections locales persistantes aves des pertes de substance étendues ou des insuffisances vasculaires associées. Cette prise de décision nécessite une collaboration multidisciplinaire entre plusieurs spécialistes (infectiologue, angiologue, chirurgien vasculaire, radiologue interventionnel, chirurgiens orthopédique et plastique).5
Le traitement antibiotique est généralement introduit après les prélèvements peropératoires et doit posséder une bonne pénétrance dans l’espace synovial. Le choix de l’antibiotique se fonde principalement sur le type de germe le plus fréquemment rencontré. En résumé, si un traitement empirique par un antibiotique anti-Gram positif est le plus indiqué dans les arthrites septiques primaires, une thérapie anti-Gram négatif pourrait être privilégiée dans les arthrites septiques post-traumatiques.2 Les antibiotiques de choix utilisés dans notre centre universitaire sont cités dans le tableau 2.
La durée de l’antibiothérapie reste pour l’instant controversée en l’absence d’étude contrôlée et randomisée.4 Plusieurs schémas ont été proposés comme, par exemple, deux semaines IV en cas d’infection à streptocoques, 3-4 semaines IV pour des staphylocoques et les Gram négatif, et plus de quatre semaines pour les patients immunosupprimés.4 Plusieurs auteurs recommandent un traitement parentéral de deux semaines suivi de deux semaines de traitement oral.4 Des études chez l’enfant semblent montrer une efficacité équivalente d’une antibiothérapie de plus courte durée et d’un relais per oral plus précoce,12 par exemple déjà après trois jours avec des molécules connues pour avoir une bonne biodisponibilité orale. En l’absence de facteur diminuant la biodisponibilité des antimicrobiens ou de certaines localisations anatomiques (bactériémie, sepsis sévère, spondylodiscite ou endocardite), l’antibiothérapie parentérale pourrait aussi être limitée chez l’adulte. Une étude rétrospective de cas, effectuée dans notre service,4 a permis de démontrer que ni la durée totale de l’antibiothérapie (odds ratio (OR) : 1 ; IC : 95% : 0,95-1,05) ni la durée de la forme intraveineuse (1 ; 0,95-1,05) n’étaient associées à un risque plus élevé de récidive. Sept jours d’antibiothérapie parentérale présentent un même taux de succès que 8-21 jours (0,4 ; 0,1-1,7) ou > 21 jours (1,1 ; 0,4-3,1). Deux semaines d’antibiotiques au total présentent la même issue que 2-4 semaines (0,4 ; 0,1-2,3) ou >4 semaines (0,4 ; 0,1-1,6). De nouvelles études randomisées sont encore nécessaires pour confirmer cette impression.
En plus de la chirurgie et de l’antibiothérapie, plusieurs traitements adjuvants sont utilisés ou en cours d’investigation.
L’adjonction de stéroïdes systémiques pour les arthrites septiques primaires a été proposée pour éviter les séquelles mécaniques de l’infection, mais pour l’enfant.13,14 Plusieurs études animales ont montré que l’injection intra-articulaire de stéroïdes, en plus de l’antibiothérapie systémique, diminue la destruction articulaire sans pour autant présenter des effets secondaires. Il semblerait ainsi que le nombre de cellules T et de macrophages diminue dans l’espace synovial, ce qui augmente la préservation du cartilage.13 Des études randomisées en double aveugle conduites chez l’enfant ont permis de montrer que l’utilisation de stéroïdes systémiques permet de diminuer le temps de guérison et d’hospitalisation ainsi que d’augmenter significativement l’évolution fonctionnelle.14 Cependant, aucune étude n’a été conduite chez l’adulte, spécialement chez le sujet immunosupprimé et on ne peut donc pas proposer leur utilisation à l’état actuel.
Toutefois, l’aspect le plus important reste probablement la préservation de la mobilité articulaire, et ceci malgré l’infection. Bien qu’il existe un avantage théorique de mettre l’articulation au repos, en se basant sur la prise en charge des érysipèles, il n’existe actuellement pas d’argument scientifique pour limiter la mobilisation ou la charge du membre dans la limite de la douleur. En effet, l’ankylose de l’articulation résultant de l’immobilisation augmente la morbidité et les coûts de traitement.
L’issue des arthrites septiques est dépendante de leur origine, des pathogènes et de la localisation anatomique de l’articulation. La littérature montre qu’environ un quart des patients présente, à distance de l’infection, des raideurs résiduelles ou des séquelles graves (douleurs invalidantes, arthrodèse ou amputation). Les arthrites septiques primaires présentent un taux de récidives de 12%.4 Les facteurs de risque sont la présence de Gram négatif (OR : 5,9 ; IC 95% : 1,4-25,3) et d’une immunosuppression (5,3 ; 1,3-22). Il n’existe aucune corrélation avec l’importance de l’infection, le nombre de drainages (1,3 ; 1-1 ;7), le choix d’une arthrotomie versus arthroscopie (0,5 ; 0,2-1,8), ni, comme déjà cité, avec la durée totale des antibiotiques ou celle de l’antibiothérapie parentérale. Les arthrites septiques post-traumatiques présentent une mortalité faible avec une guérison dans 96% des cas. Il persiste des séquelles mécaniques graves dans 15% des cas.2,4 L’évolution est très variable suivant les pathogènes rencontrés et l’hôte infecté.
Le diagnostic des arthrites septiques se base sur un ensemble d’arguments cliniques et biologiques aspécifiques. Il est donc primordial de faire évaluer le patient en cas de doute par un spécialiste compétent (rhumatologue ou chirurgien orthopédiste).
> Le diagnostic d’arthrite septique est difficile à poser et se fait en parallèle à la prise en charge
> Le traitement se caractérise par le lavage et le drainage articulaires ainsi que par l’introduction après prélèvement d’une antibiothérapie parentérale
> Plusieurs traitements adjuvants ont été proposés, dont le plus important reste la mobilisation précoce