La gastroentérite aiguë affecte des millions de personnes chaque année avec d’importantes morbidité et mortalité. Les agents étiologiques sont variés (intoxication alimentaire, agents viraux, bactériens et parasitaires), mais l’identification des pathogènes reste peu fréquente. En effet, la grande majorité des gastroentérites aiguës guérit spontanément et ne nécessite ni diagnostic ni traitement spécifique.1,2 Cependant, la recherche de l’agent étiologique reste capitale afin de déceler et «d’endiguer» d’éventuelles épidémies, tout comme elle est d’importance dans des présentations cliniques sévères.
Bien que, cliniquement, une gastroentérite virale ne se différencie pas d’une gastroentérite bactérienne, une fièvre élevée et des selles hémorragiques plaident plutôt en faveur d’une origine bactérienne.2 Le diagnostic des bactéries entéropathogènes est particulièrement difficile puisqu’il revient à «chercher une aiguille dans une botte de foin». En effet, il y a environ 10e11 bactéries par gramme de selles, une population constituée de bactéries anaérobes (Bacteroides, Clostridium…), d’entérobactéries (Escherichia coli, Klebsiella, Proteus…), d’entérocoques et d’autres genres. La flore intestinale bactérienne est extrêmement diversifiée, fluctue et subit des changements en réponse à une variété de facteurs environnementaux allant de l’utilisation d’antibiotiques à une simple modification du régime alimentaire.3 L’isolement d’un agent pathogène au milieu de cette flore est particulièrement difficile lorsqu’il est présent en faible quantité ou que l’espèce fait partie de la flore normale. On note par ailleurs que le rendement diagnostique de la coproculture est très bas, aux alentours de 1,5%, avec un coût par culture positive qui s’élève à environ CHF 155.– en Suisse, faisant de la coproculture le moins efficient des examens de bactériologie. Elle reste pourtant l’analyse la plus utilisée pour la mise en évidence des bactéries entéropathogènes.
La qualité des renseignements cliniques associés à la demande (immunité, voyage, contexte épidémique, prise d’antibiotiques, recherche de germes spécifiques non couverts habituellement) peut grandement influencer l’efficience de la coproculture, en permettant au microbiologiste de choisir la technique diagnostique avec le meilleur rendement (détection d’antigènes versus culture ou PCR). Le but de cet article est de revoir les spécificités des différents germes à l’origine de gastroentérites bactériennes et leurs aspects diagnostiques.
Les Shigella sont des bactéries entéro-invasives, capables de pénétrer dans les cellules épithéliales de la muqueuse et de s’y multiplier avec formation d’abcès et d’ulcérations. Il y a rarement essaimage dans la circulation.4 Le phénomène invasif touche la muqueuse et diminue vers les couches profondes. Les Shigella peuvent être la cause d’épidémies étendues ou de cas sporadiques et ne se rencontrent que chez l’Homme. La transmission fait intervenir différents vecteurs : l’eau, les aliments, ainsi que les contacts directs. Des insectes (par exemple : Musca domestica) peuvent également être vecteurs.5,6 L’incidence de la shigellose en Suisse a beaucoup baissé ces dernières années. En 2013, elle était de 1,85 pour 100 000 habitants. Cependant, il y a une grande différence entre les cantons. Genève est le canton où l’incidence était la plus élevée : 5,18 pour 100 000 habitants en 2013 (données de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) www.bag.admin.ch). Dans notre institution, le taux de positivité des coprocultures pour Shigella reste faible, <0,4 % (tableau 1).
Salmonella est une bactérie entérique reconnue comme un important problème de santé publique dans le monde entier.7 Selon le sérotype et l’hôte, Salmonella peut entraîner des maladies allant de la gastroentérite à une infection systémique mortelle : la «fièvre typhoïde». Les Salmonella responsables d’entérites sont rencontrées chez l’Homme comme chez les animaux. Les deux sérovars les plus fréquemment isolés sont Salmonella typhimurium et Salmonella enteritidis.8 En raison de la sensibilité du germe à l’acidité gastrique, ce dernier doit être ingéré en grand nombre (1000 à 100 000 bactéries) (tableau 2) pour déclencher la maladie (dose infectante). Cette contamination massive est seulement possible après l’ingestion d’aliments dans lesquels le germe s’est multiplié comme dans un milieu de culture. En 2013, l’incidence de la salmonellose en Suisse était de 15,8 pour 100 000 habitants. Pour la même année, elle était à Genève de 18,4 pour 100 000 habitants (données de l’OFSP). En 2013, la sensibilité des souches de Salmonella isolées aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) était de 100% pour la ceftriaxone et les carbapénèmes. 19% des isolats sont résistants à la ciprofloxacine et 4% au co-trimoxazole. Pour toutes les souches de Salmonella, si la concentration minimale inhibitrice (CMI) de la ciprofloxacine est > 0,06 mg/l, il faut considérer la souche résistant à toutes les fluoroquinolones.9 En cas de séjour en Asie, pour les infections à Salmonella typhi, un traitement d’azithromycine (CMI ≤ 16 mg/l) peut être proposé, pour tenir compte des taux élevés de la résistance aux quinolones dans cette région.9 En cas d’hospitalisation pour une fièvre typhoïde, le traitement de choix reste la ceftriaxone que l’on peut combiner à l’azithromycine (si séjour en Asie) en attendant l’antibiogramme.
Campylobacter spp. peut être transmis à l’Homme, soit par un contact direct avec l’animal infecté, soit par l’ingestion d’aliments contaminés, cette dernière voie étant actuellement le mode principal d’acquisition de l’infection. Les oiseaux sauvages et domestiques (le poulet tout particulièrement) sont considérés comme les principaux réservoirs de C. jejuni et, dans une moindre mesure, de C. coli. Cependant, d’autres réservoirs de Campylobacter spp. ont été décrits : les bovins, les porcins et les petits ruminants, mais aussi les animaux de compagnie (chats et chiens). Ces bactéries ont un tropisme particulier pour le tube digestif des animaux. Du fait de cette présence asymptomatique dans le tractus digestif des animaux, les déjections peuvent également contaminer les sols et les rivières. Bien que la survie dans cet environnement hydrique soit relativement faible, l’eau des rivières, des étangs, des lacs, peut constituer un réservoir non négligeable de ces bactéries.10 En 2014, le nombre de déclarations à l’OFSP a dépassé les 8000 cas de campylobactérioses. En 2014, le taux de positivité des coprocultures effectuées au Laboratoire de bactériologie (HUG) pour Campylobacter jejuni/coli s’est élevé à 1,6% (tableau 1). Dans notre institution, en 2013, sur 59 souches de C. jejuni testées, 44% étaient résistantes à la ciprofloxacine et seulement 3% à l’érythromycine. Sachant qu’il s’agit de la première cause de gastroentérite bactérienne acquise en Europe, si une antibiothérapie se révèle nécessaire, l’utilisation empirique des macrolides plutôt que des quinolones dans l’attente de l’antibiogramme semble raisonnable.
Il existe au sein d’Escherichia coli une grande variété de souches dont certaines manifestent une pathogénicité pour le tractus intestinal. On dénombre plusieurs catégories d’E. coli pouvant provoquer une entéropathie qui se distinguent par différents mécanismes pathogènes et une épidémiologie différente. Des gastroentérites, ayant des conséquences particulièrement graves, peuvent être provoquées par des souches d’E. coli productrices de Shiga-toxine. Elles peuvent entraîner un syndrome hémolytique et urémique associé à une anémie, à une thrombocytopénie et à une insuffisance rénale.11 L’incidence d’Escherichia coli entérohémorragiques (EHEC) en Suisse est très faible, 1,02 pour 100 000 habitants en 2013 (données de l’OFSP).
Des études épidémiologiques et des expériences impliquant des sujets adultes volontaires ont montré que les infections par Shigella spp. et Escherichia coli productrices de Shiga-toxine se propageaient facilement par leur faible inoculum < 100 à 500 bactéries (tableau 2).
La yersiniose est une maladie d’origine alimentaire. Elle est devenue plus répandue au cours des dernières années en raison de la transmission humaine par la voie fécale-orale et la forte prévalence de ces germes chez les animaux de la ferme.12 Chez l’Homme, Yersinia enterocolitica et, dans une moindre mesure, Yersinia pseudotuberculosis sont responsables de gastroentérites fébriles ; fièvre souvent modérée mais pouvant parfois dépasser les 39°C ; entérocolites et iléites terminales accompagnées de diarrhées aqueuses ou sanguinolentes et de vomissements. Des complications telles que des ulcérations intestinales ou des péritonites sont rares.13 Y. enterocolitica et Y. pseudotuberculosis sont présentes dans l’environnement, notamment dans les eaux de surface, et dans le tube digestif de diverses espèces animales. La transmission fécale-orale de l’animal à l’Homme se produit le plus souvent au travers de denrées alimentaires (viande de porc principalement) ou d’eau contaminées. Cependant, des cas sporadiques sont encore signalés dans lesquels la nourriture n’est pas incriminée.12 Les souches d’Y. enterocolitica ont une résistance naturelle aux antibiotiques suivants : amoxicilline, amoxicilline-clavulanate, ticarcilline, céfazoline, céfoxitine, et céfamandole.9 Sans une demande spécifique des cliniciens, dans notre institution, la coproculture ne couvre pas systématiquement la recherche de Yersinia, ce qui explique probablement que depuis 2009 au laboratoire de bactériologie, nous n’avons isolé que dix-huit souches d’Y. enterocolitica (tableau 3).
Les Aeromonas sont présents dans les eaux douces, les eaux d’égouts et les sédiments. Leur multiplication est en fonction de la température, du pH et de la teneur en éléments nutritifs. A. hydrophila est reconnu comme un agent pathogène opportuniste. A. caviae et A. hydrophila sont considérés comme des agents pathogènes possibles de gastroentérites, de cellulites et de colites. Ils ont été isolés souvent dans des infections de plaies subies en milieu aquatique. A. hydrophila a également été associé à des infections respiratoires. L’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés, ou le contact avec les bactéries par une rupture de la peau, constituent les voies courantes d’infection avec ce germe.14,15
Chez l’Homme, P. shigelloides est isolé de l’intestin de sujets sains et lors d’épisodes de diarrhées. Les diarrhées associées à P. shigelloides présentent des caractères variables tant du point de vue de leur durée (de quelques jours à plus de quatre semaines, voire six mois), que des signes cliniques : diarrhées aqueuses et cholériformes évoquant la présence d’entérotoxines ; diarrhées avec sang et mucus suggérant un processus invasif ; ou diarrhées bénignes.15
Le choléra est une infection diarrhéique aiguë provoquée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés par le bacille Vibrio cholerae. Selon les estimations de l’OMS, il y a chaque année 3 à 5 millions de cas de choléra, avec 100 à 120 000 décès. La brève période d’incubation, de deux heures à cinq jours, renforce la dynamique potentiellement explosive des épidémies. V. cholerae est une bactérie saprophyte retrouvée dans l’environnement, particulièrement dans les eaux saumâtres des estuaires, les lits des fleuves et au contact du zooplancton, des algues marines et des plantes aquatiques dans la plupart des zones côtières des régions tempérées ou tropicales du monde. La bactérie peut contaminer les fruits de mer. Elle survit pendant 50 jours dans l’eau de mer à 5-10°C, 10-12 jours à 30-32°C, expliquant son existence saprophytique et sa persistance limitée aux zones intertropicales. Les souches de sérovar O1 semblent particulièrement adaptées à l’intestin humain. Cette bactérie pathogène a un tropisme exclusivement digestif. Les souches bactériennes responsables du choléra sont toxinogènes et transmises par voie orale à partir d’eau ou d’aliments contaminés et appartiennent aux sérovars O1 et O139. Les souches de V. cholerae non O1 et non O139 peuvent provoquer des diarrhées bénignes, mais pas d’épidémie. On a détecté récemment de nouvelles variantes dans plusieurs zones d’Asie et d’Afrique. Selon les observations, ces souches provoqueraient un choléra plus grave, avec des taux de létalité plus élevés.16
Les méthodes moléculaires ont augmenté significativement la sensibilité de la détection des bactéries entéropathogènes par rapport à la coproculture.2,17 Plusieurs PCR en temps réel ont été décrites. Dans une étude conduite par Anderson et coll.,18 la performance d’un test de PCR en temps réel, le panel BD MAX des bactéries entériques (BD Diagnostics, Sparks, MD), a été évaluée. Ce panel cible Salmonella spp., Campylobacter jejuni, Campylobacter coli, Shigella spp. et les E. coli productrices de Shiga-toxine. A une concentration de 1x106 CFU/ml pour le Campylobacter spp. et 1 x 107 CFU/ml pour les autres germes recherchés, la sensibilité et la spécificité de la PCR sont de 100% par rapport à la coproculture. En diminuant la concentration des germes, la sensibilité de la PCR baisse mais reste toujours meilleure que celle de la coproculture. A une concentration de 103 CFU/ ml, la sensibilité de la coproculture varie de 0% pour Salmonella spp. à 43% pour Campylobacter spp. Pour la même concentration de bactéries, la sensibilité du BD MAX varie de 43,8% pour Salmonella spp. à 100% pour Campylobacter spp.
Dans une autre étude conduite par Khare et coll.,19 500 prélèvements de selles ont été analysés sur deux systèmes commerciaux utilisant des panels moléculaires (Film Array gastrointestinal (GI) panel (BioFire Diagnostics, Salt Lake City, UT)) et Luminex xTag gastrointestinal pathogen panel (GPP) (Luminex Corporation, Toronto, Canada)) pour la détection d’agents pathogènes gastro-intestinaux. Film Array (GI) panel cible 23 pathogènes (14 bactéries, 5 virus, et 4 parasites). Luminex (GPP) cible 11 pathogènes (7 bactéries, 2 virus, et 2 parasites). Parmi 230 prélèvements prospectifs de selles, les tests de routine ont été positifs pour un ou plusieurs agents pathogènes gastro-intestinaux dans 19 prélèvements sur 230 (8,3%). Dans la même série de prélèvements, FilmArray (GI) panel a été positif dans 76 prélèvements sur 230 (33,0%) et Luminex (GPP) dans 69 (30,3%) des 230 prélèvements. Suite au faible nombre de positifs dans cette étude prospective, les auteurs ont inclut 270 prélèvements supplémentaires. Ces derniers ont été caractérisés auparavant par les tests de routine et les résultats étaient déjà connus (27 négatifs et 243 positifs). Parmi ces 270 prélèvements de selles supplémentaires, les deux systèmes ont montré une sensibilité très élevée (> 90%) pour la majorité des cibles à l’exception de certains agents pathogènes, notamment Aeromonas sp. (23,8%) par FilmArray [GI] panel et Yersinia enterocolitica (48,1%) par Luminex (GPP). Par contre, FilmArray (GI) panel et Luminex (GPP) ont identifié des infections mixtes dans 21 et 13% respectivement, contre seulement 8,3% par des procédés classiques de culture.
Ces panels ont trois limitations principales : 1) leur incapacité à détecter des agents pathogènes non inclus dans le panel ; 2) l’absence de logique clinique sous-jacente (par exemple, panel de 23 pathogènes) nous mettant à risque de détecter autant l’agent responsable des diarrhées qu’un éventuel portage (cf. certains résultats mixtes), ceci d’autant plus que l’on met en évidence de l’ADN bactérien et donc pas forcément une bactérie «vivante» et 3) l’absence d’information de susceptibilité aux antibiotiques du pathogène identifié, rendant obligatoire une mise en culture des prélèvements positifs par PCR.
L’utilisation de la PCR en première ligne permet donc de rendre rapidement un résultat négatif aux cliniciens (un gain de 48 à 72 heures) pour les bactéries entéropathogènes recherchées et de ne mettre en culture que les cas positifs pour avoir un profil de sensibilité. Au laboratoire de bactériologie, avec un taux de positivité de la coproculture de 0,3 à 1,8% sur les 4500 échantillons de selles reçus par année (tableaux 1 et 3), l’avantage de cette approche moléculaire initiale est évident, puisqu’elle permet d’éviter un nombre important de coprocultures «inutiles» en étant plus sensible et plus rapide. En 2014, nous avons introduit dans notre routine le panel BD MAX des bactéries entériques selon l’algorithme présenté dans la figure 1. Depuis son utilisation, la PCR a permis d’identifier 8 cas sur 60 de Campylobacter spp. qui n’ont pas été confirmés par culture. Grâce à la PCR, nous avons identifié sept cas d’EHEC qui ont été confirmés par le Centre national de référence des bactéries entéropathogènes (NENT).
La mise en place de meilleurs algorithmes, combinant les caractéristiques cliniques et épidémiologiques ainsi que le choix des tests diagnostiques permettent une meilleure prise en charge des gastroentérites bactériennes (figure 2). Un bon nombre d’entéropathogènes ne sont pas recherchés systématiquement par les analyses de routine. Des renseignements cliniques de qualité sont donc essentiels pour optimiser la recherche de l’agent causal. Les Vibrio spp. doivent être recherchés en cas de notion d’ingestion de fruits de mer. La persistance de douleurs abdominales et de fièvre nécessite de rechercher spécifiquement Yersinia enterocolitica et Yersinia pseudotuberculosis par culture. Des diarrhées persistantes au retour de voyage, qui ne répondent pas à une antibiothérapie empirique, nécessitent une analyse détaillée des selles incluant la recherche de parasites, ainsi qu’une consultation spécialisée.
La sensibilité des outils moléculaires, utilisés dans le diagnostic des bactéries entéropathogènes, exige que les cas positifs moléculaires non confirmés par la coproculture soient interprétés dans leur contexte clinique. Les biomarqueurs de l’inflammation et la recherche de leucocytes dans les selles peuvent être un complément utile à ces tests diagnostiques. A noter que ces tests moléculaires vont améliorer sensiblement notre compréhension des infections mixtes et l’importance relative de plusieurs agents pathogènes détectés dans des selles diarrhéiques.
> Un bon nombre d’entéropathogènes ne sont pas recherchés systématiquement dans les pratiques de routine. Des renseignements cliniques de qualité sont essentiels pour améliorer la détection des causes potentielles
> La mise en place de meilleurs algorithmes, combinant les caractéristiques cliniques et épidémiologiques ainsi que le choix des tests diagnostiques permettent une meilleure prise en charge des gastroentérites bactériennes
> Un avis spécialisé devrait être demandé lors d’échec de traitement, de présence d’une immunosuppression ou de germes particulièrement résistants, ainsi que lors de diarrhées persistantes au retour de voyages