C’est une histoire éclairante, une histoire à la fois médicamenteuse et politique. Elle concerne le Mysimba : une association inédite de naltrexone (aide au maintien de l’abstinence chez les malades de l’alcool) et de bupropion (aide au sevrage tabagique). Mysimba est commercialisé par le laboratoire américain Orexigen Therapeutics et proposé dans certaines formes d’obésité et du surpoids. Mysimba qui, après avoir séduit les Etats-Unis (sous le nom de Contrave), s’approche à grande vitesse du Vieux Continent. Autorisée en septembre dernier (après bien des tâtonnements) par la Food and Drug Administration (FDA), l’association naltrexone-bupropion vient de recevoir sa carte verte pour une exploitation dans le vaste espace régi par la toute-puissante Agence européenne du médicament (EMA).C’est une histoire éclairante, une histoire à la fois médicamenteuse et politique. Elle concerne le Mysimba : une association inédite de naltrexone (aide au maintien de l’abstinence chez les malades de l’alcool) et de bupropion (aide au sevrage tabagique). Mysimba est commercialisé par le laboratoire américain Orexigen Therapeutics et proposé dans certaines formes d’obésité et du surpoids. Mysimba qui, après avoir séduit les Etats-Unis (sous le nom de Contrave), s’approche à grande vitesse du Vieux Continent. Autorisée en septembre dernier (après bien des tâtonnements) par la Food and Drug Administration (FDA), l’association naltrexone-bupropion vient de recevoir sa carte verte pour une exploitation dans le vaste espace régi par la toute-puissante Agence européenne du médicament (EMA).
… Il existe de sérieuses incertitudes sur les risques potentiels cardiovasculaires et neuropsychiatriques …
En décembre dernier, l’EMA emboîtait le pas à la FDA.1 Il s’agissait alors d’un feu vert qui devait encore être approuvé par la Commission européenne avant une commercialisation effective dans chaque Etat membre de l’Union. Une série de précautions entourait la présentation du dossier à Bruxelles : Mysimba ne serait disponible que sur prescription médicale. Il devrait être réservé à des adultes obèses ou en surpoids, ayant (de surcroît) un (ou plusieurs) autres facteurs de risque (hypertension artérielle, diabète de type 2 ou dyslipidémie). L’Agence européenne faisait valoir les quatre études contre placebo fournies par le fabricant, études qui montraient des baisses de poids «cliniquement pertinentes». Elle recommandait en outre une évaluation après seize semaines de traitement – ainsi que l’arrêt du traitement si le patient n’était pas parvenu, alors, à perdre au moins 5% de son poids de départ.
La liste de ses effets indésirables potentiels n’était pas cachée : des troubles gastro-intestinaux et d’autres «liés au système nerveux central». Sans oublier de préciser : «des incertitudes subsistent en ce qui concerne les résultats cardiovasculaires à long terme». Pour autant, les résultats intermédiaires d’un essai clinique étaient «rassurants en ce qui concerne les risques de pathologies cardiovasculaires graves».
Tout cela ne fut pas sans déclencher quelques épines irritatives. En France, le mensuel spécialisé Prescrire parla de «régression majeure» quant à la sécurité des consommateurs. Et tous ceux qui (en France ou ailleurs) suivent depuis une ou deux décennies le chapitre «coupe-faim» des affaires de santé publique ne manquèrent de partager ce commentaire. Prescrire rappela à cette occasion quelques éléments oubliés du passé (assez peu rassurants) du bupropion dont la structure est voisine de celle des dérivés amphétaminiques. Le mensuel rappela aussi les retraits européens tardifs (il y a une quinzaine d’années) des AMM de plusieurs anorexigènes (clobenzorex, dexfenfluramine, fenfluramine, fenproporex, etc.) dont l’usage n’avait cessé de démontrer les dangers.
C’est là un chapitre riche en souvenirs médiatiques et réglementaires : Acomplia (rimonabant, Sanofi) retiré du marché en 2008 en raison de ses effets secondaires ; Sibutral (sibutramine, Abbott), une amphétamine-like anorexigène disparue l’année suivante du marché européen, également en raison d’effets secondaires ; sans parler du trop célèbre Mediator (benfluorex, Servier).
C’était en décembre 2014. Inquiet des dangers potentiels inhérents à la commercialisation de cette spécialité, le gouvernement français avait aussitôt (via l’Agence nationale française de sécurité du médicament (Ansm)) demandé un réexamen par Bruxelles du dossier de ce coupe-faim. Elle n’avait été suivie que par l’Irlande, l’Autriche et l’Italie. Trop peu nombreux. Il y a quelques jours la Commission européenne imposait son feu vert définitif. «L’autorisation de mise sur le marché a finalement été octroyée jeudi au niveau européen» expliquait, il y a quelques jours à la presse, le Pr Joseph Emmerich, l’un des responsables de l’Ansm.
Le Pr Emmerich ajoutait qu’un autre médicament anti-obésité «plus efficace» (Victoza, liraglutide), déjà commercialisé dans le traitement du diabète, avait reçu le feu vert de l’EMA pour sa commercialisation en Europe. Et il annonçait, concernant le Mysimba «un encadrement précis». «On va notamment discuter des conditions de prescription, surveiller le chiffre des ventes et informer les professionnels de santé» précisait-il.
Ce n’était pas suffisant. Le ton vient de monter d’un cran. Aujourd’hui, c’est le Dr Dominique Martin, (directeur général de l’Ansm) qui prend la parole, dans les colonnes du Monde (daté du 8 avril). Que dit-il ?
Que la France «s’est fermement opposée à la mise sur le marché du Mysimba durant toute l’instruction de ce dossier par le comité des médicaments à usage humain de l’Agence européenne du médicament». «Nous avons voté contre l’octroi d’une AMM pour le Mysimba parce que nous considérons que le rapport entre les bénéfices et les risques de ce produit est défavorable. Nous avons souhaité, avec l’Irlande, souligner notre désaccord par un avis écrit exprimant notre divergence de point de vue. Nous avons en sus fait appel de ce vote auprès du comité permanent au sein de la Commission européenne. Seuls deux pays ont voté dans le même sens que la France.»
Et ensuite ? «Le recours en appel devant l’instance ad hoc de la Commission ayant été rejeté, et la décision étant prise à la majorité des Etats membres de l’Union, ce produit est aujourd’hui susceptible d’arriver sur le marché national français, même si l’Ansm n’a pas encore été informée des intentions du laboratoire titulaire de l’autorisation de mise sur le marché.» En clair, la firme américaine Orexigen Therapeutics fera comme elle l’entendra – étant bien entendu que «la logique du marché unique veut que les autorisations prises au niveau des institutions européennes – autorisations centralisées – soient valides sur la totalité du territoire de l’Union européenne».
La France a perdu mais Paris persiste : «Concernant le Mysimba, l’Ansm persiste à considérer que, à ce jour, le rapport bénéfices/risques est négatif en raison, d’une part, d’une efficacité limitée sur la perte de poids et, d’autre part, d’une tolérance médiocre avec près d’un patient sur deux qui arrête le traitement. Il existe, par ailleurs, de sérieuses incertitudes sur les risques potentiels cardiovasculaires et neuropsychiatriques. Nous continuons à penser que la décision prise anticipe des résultats à venir, qui seuls auraient permis d’éclairer définitivement les membres du comité.»
Et puis, pour finir : «L’Ansm est particulièrement préoccupée quant à l’utilisation de ce type de produits, dérivés des amphétamines, qui pourraient être assimilés à la catégorie des coupe-faim. Une telle assimilation pourrait conduire à des pratiques de mésusage débordant le cadre de l’autorisation, ce qui aurait pour conséquence d’aggraver les risques. L’Ansm reste donc vigilante et fera tout ce qui est juridiquement possible et qui relève de sa compétence, que ce soit dans le domaine de l’autorisation et de son encadrement comme dans celui de la surveillance, pour limiter les risques auxquels pourraient être exposés les patients.»
On peut distinguer ici le spectre, toujours actif en France, du Mediator. Certains verront aussi là, en France ou ailleurs, une nouvelle occasion, en or, pour applaudir (ou maudire) l’Union Européenne.