Il s’agit d’un patient de 58 ans, tabagique, séronégatif pour le VIH, originaire de la Martinique, mais vivant en Suisse depuis de nombreuses années, sans retour dans son pays d’origine depuis huit ans. En raison d’un adénocarcinome pulmonaire, une chimiothérapie néoadjuvante de docétaxel, cétuximab et cisplatine est administrée. Trois jours après la troisième cure, le patient est hospitalisé pour un état fébrile associé à des céphalées intenses et un méningisme. Le LCR est trouble avec une pléiocytose à 4375 cell/mm3 à prédominance de polymorphonucléaires (85%). Le lactate est à 9 mmol/l et la glycorachie à 1,2 mmol/l. Un traitement empirique de ceftriaxone, vancomycine, amoxicilline et aciclovir est débuté. Le lendemain, la culture du LCR se positive pour un Enterococcus faecium. Le traitement est poursuivi par de la vancomycine en monothérapie (haut niveau de résistance à la gentamicine). L’évolution clinique est alors favorable avec disparition de l’état fébrile et des céphalées. Toutefois, de légères douleurs abdominales associées à des diarrhées peu abondantes apparaissent. La recherche de Clostridium difficile dans les selles est négative. Le CT-scan abdominal révèle un épaississement du côlon compatible avec une mucite digestive. L’évolution se complique par une hémoptysie et le patient est transféré au CHUV.
Une lobectomie pulmonaire est rapidement effectuée afin de contrôler l’hémoptysie due à l’adénocarcinome. Les hémocultures initiales se positivent tardivement pour un deuxième germe, Klebsellia pneumoniae. De plus, les hémocultures effectuées après 48 heures de vancomycine se positivent pour Enterococcus feacium (sensible à la vancomycine). L’évolution clinique est compliquée par une pneumonie à Enterobacter du groupe cloacae, producteur de bêtalactamases à spectre étendu, associée au ventilateur et motivant l’ajout d’ertapénème. En raison d’un réveil pathologique, bien qu’il ne présente plus de méningisme, un traitement de linézolide est ajouté à la vancomycine craignant que la pénétration intraméningée de cet antibiotique soit insuffisante pour traiter la méningite à E. faecium.
Cette bactériémie mixte à germes entériques, persistant sous antibiothérapie, compliquée d‘une méningite à germe inhabituel (entérocoque) fait suspecter une origine abdominale. Cependant, une mucite digestive postchimiothérapie semble peu vraisemblable puisque les symptômes digestifs sont relativement discrets. Ainsi, au vu des origines du patient et du traitement de chimiothérapie, un syndrome d’hyperinfestation à Strongyloïdes stercoralis est évoqué. La sérologie revient positive et l’examen direct de l’aspiration gastroduodénale (patient intubé avec sonde nasogastrique) montre des larves de Strongyloïdes stercoralis (figure 1). Un traitement d’ivermectine 200 μg/kg 1 x/j durant 48 heures, répété après quatorze jours, a été administré. Finalement, sous vancomycine durant 21 jours en association avec le linézolide (durant dix jours), ertapénème et ivermectine, l’évolution clinique est favorable, permettant un retour à domicile après une hospitalisation d’environ un mois.
Dans le monde, l’infection à Strongyloïdes stercoralis, aussi appelée anguillulose, est très fréquente puisqu’on estime qu’entre 30 et 370 millions de personnes sont infectées.1 Les régions tropicales et subtropicales sont concernées.2 Dans les pays industrialisés, les cas d’infection se rencontrent chez les voyageurs et les migrants de régions endémiques. La prévalence chez les voyageurs est cependant faible. En effet, la séroconversion au retour de voyage n’était que de 0,25% dans une étude hollandaise.3 Chez les migrants, la prévalence est difficilement appréciable, car elle varie en fonction de la région d’endémie et du test diagnostique utilisé (microscopie ou sérologie). Ainsi, la prévalence varie entre 0,4 et 46%.4 Comme l’infection peut persister durant des décennies, les symptômes d’infection peuvent survenir des années après le retour d’une zone d’endémie.4
Strongyloïdes stercoralis est un ver rond de la famille des nématodes. Sa particularité est sa capacité de se répliquer dans l’être humain. La larve filariforme pénètre la peau de l’hôte et migre via la circulation sanguine dans les poumons. La larve traverse les alvéoles, remonte l’arbre bronchique puis trachéal et finit par être déglutie. Dans l’intestin grêle, la larve filariforme prend sa forme adulte. La larve femelle, par parthénogenèse, pond ses œufs dans la lumière du tube digestif. Les œufs vont maturer en larves rhabditiformes. Ces dernières sont soit excrétées dans les selles, soit elles se différencient en larves filariformes qui ont la capacité de pénétrer la muqueuse intestinale ou la peau de la région péri-anale. Ces larves filariformes vont pouvoir rejoindre la circulation sanguine et perpétuer le cycle (auto-infection). Celui-ci permet à la strongyloïdose de persister durant des décennies. Les larves rhabditiformes excrétées dans les selles maturent soit directement en larves filariformes, soit en formes adultes, mâles et femelles. Ces dernières, par reproduction sexuée, pondent des œufs qui se transformeront en larves rhabditiformes, puis en larves filariformes perpétuant ainsi le cycle complet (figure 2).
Dans la plupart des cas, la strongyloïdose est une infection asymptomatique. Dans une étude espagnole, l’infection était asymptomatique dans plus de la moitié des cas (51,5%).5 L’éosinophilie (> 500 éosinophiles/mm3) est inconstante (64% des cas dans cette étude). L’infection se manifeste généralement par des symptômes gastro-intestinaux tels que des douleurs abdominales, des diarrhées, des nausées ou des vomissements, une constipation et une dyspepsie. Les symptômes pulmonaires (toux et dyspnée) et cutanés (prurit ou urticaire typiquement des poignets et des fesses) sont plus rares, mais souvent le signe d’appel. Il est à noter que la symptomatologie ne diffère pas entre les migrants et les voyageurs.
Le système immunitaire de l’hôte prévient, en principe, le cycle d’auto-infection. Toutefois, en cas de déficit de l’immunité, une infection sévère appelée syndrome d’hyperinfestation à strongyloïdes (strongyloïdes hyperinfection syndrome) peut survenir. Ce syndrome d’hyperinfestation est défini par une infection parasitaire confinée au tractus digestif ou respiratoire mais avec une présentation clinique sévère comme un sepsis, un choc septique, une pneumonie ou une méningite bactérienne à germes entériques en lien avec une haute charge parasitaire.6 Dans la forme la plus fulminante, appelée strongyloïdose disséminée, les larves sont retrouvées dans les organes autres que le tractus digestif ou respiratoire. La distinction entre ces deux présentations n’est cependant pas essentielle.
Toute immunosuppression et plus particulièrement l’altération de l’immunité cellulaire T peut engendrer un syndrome d’hyperinfestation.7 Un traitement par corticostéroïdes, même de courte durée, est souvent incriminé (à partir d’une dose cumulée de 200 mg d’équivalent de prednisone).8,9 L’indication au traitement par corticostéroïdes est très variable : BPCO, asthme, hémopathie, maladie rhumatismale ou auto-immune, cancer, glomérulonéphrite, transplantation d’organe.8 Les autres facteurs de risque, comme les chimiothérapies, sont mentionnés dans le tableau 1. L’infection par le VIH ne semble pas augmenter le risque de syndrome d’hyperinfestation, mais les corticostéroïdes, parfois utilisés en cas de syndrome inflammatoire de reconstitution immunitaire (IRIS) ou dans certaines maladies opportunistes, augmentent ce risque.10
La mortalité du syndrome d’hyperinfestation est très élevée puisqu’elle atteint 60%.8 L’éosinophilie est cependant rare, puisqu’elle n’est retrouvée que chez 20% des patients.8
Les selles des patients atteints de strongyloïdose contiennent en général des larves et non des œufs comme dans les autres infections à helminthes. En cas d’infection chronique, comme l’excrétion peut être intermittente, la sensibilité de la recherche de parasites dans les selles est faible et dépend du nombre d’examens effectué : 30% si une selle est examinée, 50% si trois selles sont examinées11 et jusqu’à 100% lorsque sept selles sont examinées.12 Plusieurs techniques microbiologiques, comme la méthode de Baermann, ont été développées pour augmenter la sensibilité.13 Celles-ci restent cependant souvent insuffisantes en cas de maladie asymptomatique et d’autres méthodes de dépistage, comme la sérologie, sont nécessaires.
En revanche, en cas de syndrome d’hyperinfestation, comme la quantité de larves augmente considérablement, celles-ci sont en général facilement mises en évidence dans les selles ou dans d’autres fluides corporels (comme le liquide d’aspiration duodénale ou bronchique, les expectorations, ou le LCR).
La performance des examens sérologiques est relativement bonne avec une sensibilité variant de 75 à 94% et une spécificité de 87 à 99%.13,14 Des réactions croisées avec d’autres infections parasitaires sont fréquentes, notamment pour les filaires. Ceci est un réel problème chez les migrants qui peuvent facilement avoir l’une ou l’autre infection, voire les deux. Le titre d’anticorps antistrongyloïdes comparé au titre d’anticorps antifilaires permet alors de les différencier. En conséquence, il est nécessaire que ces tests soient effectués par des laboratoires qui font systématiquement les deux tests (par exemple à l’Institut tropical et de santé public suisse ; formulaire à télécharger sur www.swisstph.ch/fileadmin/user_upload/Pdfs/MedServ/Antragsformular.pdf). La sérologie est ainsi utile pour la détection des infections peu ou asymptomatiques. Toutefois, ces tests peuvent être moins sensibles chez les voyageurs qui ont été faiblement exposés en comparaison avec les migrants (73 vs 98%).15 Chez les patients immunocompromis, la sensibilité des tests sérologiques est moins bonne en raison de la diminution de la production d’anticorps.16
Comme cette infection peut être totalement asymptomatique durant des décennies et se réactiver à la faveur d’une baisse de l’immunité cellulaire, cette parasitose sera recherchée chez des patients à risque. Le tableau 2 indique dans quel cas et comment elle sera recherchée. La recherche de parasites (larves) dans les selles (ou autre liquide biologique) sera l’examen de choix en cas de suspicion de syndrome d’hyperinfestation à Strongyloïdes stercoralis.
Dans les formes peu ou asymptomatiques, la sérologie sera préférée. Elle sera particulièrement indiquée avant de débuter une immunosuppression (ttableau 1) chez les patients à risque et également chez ceux présentant une éosinophilie d’origine indéterminée, particulièrement ceux ayant séjourné dans des zones endémiques.17 En effet, en cas de sérologie positive, le traitement permet de normaliser l’éosinophile et de rendre la sérologie négative dans la majorité des cas (81,3%).18
Bien que les patients VIH positif n’aient pas plus de risques d’infection sévère, certains experts s’accordent sur un dépistage sérologique chez les migrants VIH positif, puisque dans ce cas la prévalence est augmentée.19
Le traitement de la strongyloïdose repose sur l’ivermectine. En effet, ce traitement a montré sa supériorité par rapport à l’albendazole avec un taux de guérison microbiologique de 96,8 contre 63,3%.20 Comme ce traitement est en général bien toléré, l’ivermectine 200 μg/kg 1 x/j durant deux jours est indiquée en cas de sérologie positive ou d’infection chronique. L’ivermectine n’est pas disponible en Suisse, mais peut être obtenue dans les pharmacies internationales ou à la pharmacie de la Policlinique médicale universitaire.
En cas de syndrome d’hyperinfestation à Strongyloïdes stercoralis, les experts s’accordent sur un traitement d’ivermectine à 200 μg/kg 1 x/j durant 48 heures et répété après deux semaines. En cas d’impossibilité de prise orale (par exemple, iléus), comme il n’existe pas de forme parentérale humaine, la forme vétérinaire en injections sous-cutanées à la même posologie est parfois utilisée.21 La durée de traitement dans ces situations très particulières n’est pas connue. L’ivermectine est contre-indiquée en cas de microfilarémie à Loa loa (Afrique de l’Ouest). En effet, en cas de haute charge parasitaire, une encéphalopathie peut survenir, d’où l’importance de faire la distinction sérologique. Dans ce cas, l’albendazole (400 mg 2 x/j durant sept jours) est une bonne alternative.22
L’infection à Strongyloïdes stercoralis est souvent asymptomatique. Comme cette infection peut se réactiver suite à un traitement immunosuppresseur, un dépistage doit être effectué avant d’initier un tel traitement. La sérologie est l’examen de choix en l’absence de symptôme et devrait être offerte à tout patient ayant séjourné plus de trois mois en région tropicale ou subtropicale. Un traitement d’ivermectine permet de faire disparaître les parasites.
Je remercie les Prs Blaise Genton et Thierry Calandra pour la relecture attentive du manuscrit ainsi que pour leurs commentaires.
L’auteur n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> L’infection à Strongyloïdes stercoralis est souvent asymptomatique et peut durer des décennies
> Toute immunosuppression, mais surtout les corticostéroïdes, sont des facteurs de risque pour développer un syndrome d’hyperinfestation à Strongyloïdes stercoralis
> La sérologie est l’examen de choix pour dépister les personnes asymptomatiques à risque de réactivation ; celle-ci doit être effectuée simultanément à une sérologie pour les filaires en raison des réactions croisées
> Le traitement repose sur l’ivermectine