Les chiffres 2014 de l’Office fédéral de la statistique montrent que 84% de la population adulte suisse surfent sur internet [1]. Cette enquête nous apprend que la santé est l’un des thèmes faisant le plus souvent l’objet d’une recherche, 64% des internautes interrogés déclarent avoir utilisé internet pour y rechercher des informations relatives à la santé.
Une étude réalisée en France, en 2013, sur l’utilisation d’internet par le grand public [2], montre que 19% des recherches d’information santé sont effectués avant la consultation, essentiellement pour mieux comprendre ce que le médecin va dire (63%), pouvoir discuter avec lui du traitement (53%) ou poser de meilleures questions (42%). Les recherches réalisées après une consultation (34%) sont destinées à trouver des informations complémentaires sur la maladie (72%), les médicaments ou les traitements (44%).
Pour la majorité des patients, l’objectif n’est pas de confronter le médecin mais d’obtenir son opinion, le but étant de maximiser les bénéfices de la consultation [3].
Un article de ce numéro porte sur la fatigue chronique. Si l’on reprend ce thème, que va trouver un patient qui effectue une recherche sur Google avec les termes fatigue chronique? Pour le savoir, nous avons effectué une recherche avec ces mots-clés sur la version suisse de Google (www.google.ch).
Imaginons simplement le cas d’un patient qui se trouve anormalement fatigué, cette fatigue ayant à ses yeux un caractère prolongé anormal. Il choisit d’introduire sur son moteur de recherche préféré les termes fatigue chronique avec l’espoir d’en apprendre plus sur sa fatigue, en particulier sur son origine.
Le moteur de Mountain View renvoie environ 500 000 résultats en 0,44 seconde. Nous limiterons notre analyse aux dix premiers résultats, ce que font d’ailleurs l’immense majorité des internautes lorsqu’ils utilisent Google: les résultats proposés dans les cinq premières positions ont un taux de clics allant de 36 à 10%, les résultats 6 à 10 un taux de 8 à 6% [4].
Avant de parcourir les résultats, nous tenons à préciser un point important. Notre recherche ne porte que sur une seule requête, il faudra donc éviter de généraliser les résultats obtenus. Qui plus est, comme vous le verrez ci-dessous, la recherche fatigue chronique n’est pas aussi banale que ce qu’elle pourrait paraître, elle oriente souvent l’internaute vers le syndrome de fatigue chronique plutôt que vers des informations plus générales concernant ce que nous pourrions appeler une fatigue prolongée.
Au moment où nous écrivons ces lignes, le premier résultat est une présentation du «syndrome de fatigue chronique» sur le site Passeportsanté. On regrette bien sûr d’aboutir sur une page parlant du «syndrome de fatigue chronique», un syndrome dont la prévalence dans la population est estimée à 0,2% [5]. Même en introduisant le simple mot fatigue sur le moteur de recherche du site, on ne trouve que très peu d’informations sur les causes plus banales à l’origine d’une fatigue prolongée.
Le site Passeportsanté était à l’origine soutenu par les hôpitaux universitaires canadiens, les contenus étaient alors validés par les milieux scientifiques. Sur la version actuelle du site, il est parfois difficile de différencier les informations validées scientifiquement des informations non validées, clairement promotionnelles. Le site appartient depuis janvier 2015 au groupe M6, qui a racheté le groupe Oxygem, propriétaire depuis 2011.
En deuxième position, le site suisse Planète santé avec un article de sa rubrique «Mag santé» et intitulé «La fatigue chronique se soigne en l’acceptant». On y découvre une interview du Dr Bernard Favrat, médecin à la Policlinique médicale universitaire de Lausanne, justement auteur d’un article consacré à la fatigue dans ce numéro. Les informations que votre patient pourra y lire sont à l’évidence plus utiles que sur Passeportsanté, déjà parce qu’elles ne se limitent pas seulement au syndrome de fatigue chronique. Votre patient y apprendra justement que «le véritable syndrome de fatigue chronique est peu fréquent». Il y découvrira aussi que l’étiologie peut être somatique (apnées du sommeil, hypothyroïdie, consommation de drogues ou d’alcool) ou psychique (dépression, angoisse, etc.). La lecture de cet article ne permettra bien évidemment pas au lecteur d’établir son diagnostic, ce n’est d’ailleurs pas le but, mais par contre certainement d’avoir un échange plus riche avec le médecin au moment de la consultation.
Qui est derrière Planète santé? Le groupe Médecine & Hygiène. Sur la page «Qui sommes-nous?», on peut découvrir les noms des responsables scientifiques et y lire: «Le site Planetesante.ch est édité par Médecine & Hygiène, société coopérative regroupant médecins, pharmaciens et dentistes, et particulièrement reconnue pour ses activités dans la formation continue des médecins.»
En troisième position, «l’encyclopédie libre Wikipédia», encore une page consacrée au syndrome de fatigue chronique. Outre le regret d’aboutir une nouvelle fois sur une page consacrée au syndrome de fatigue chronique, on est frappé par la qualité très moyenne du contenu de cette page. Bien que nous n’ayons pas effectué une recherche très poussée, nous sommes tout de même surpris que les seules informations trouvées sous «Pronostic» et «Traitements» soient:
Pour cette recherche, Wikipédia est une source d’information décevante.
L’étude la plus complète sur l’utilisation de Wikipédia pour des questions santé est une étude publiée en 2013 dans le Journal of Medical Internet Research [6]. On y découvre que la plupart des recherches portant sur la qualité de l’information santé sur Wikipédia sont surtout des études observationnelles: on manque donc d’études solides pour pouvoir vraiment répondre à la question des qualités et faiblesses des Wikis pour les questions santé.
Malgré ces faiblesses, les auteurs de cette étude croient fermement au potentiel des Wikis en santé. Nous les rejoignons dans leurs conclusions: pour que la qualité des Wikis s’améliore, les professionnels de la santé devront à l’avenir s’y investir davantage qu’ils ne le font actuellement: «Il faudra trouver des incitatifs pour encourager les professionnels de la santé à partager leur expertise ainsi que des façons d’intégrer ce partage de connaissances à leur travail quotidien».
Le quatrième résultat est à nouveau une page consacrée au «syndrome de fatigue chronique». Une interview d’un médecin sur les symptômes, les origines et les traitements du syndrome de fatigue chronique.
Une recherche sur Doctissimo avec le simple mot fatigue aboutit à 7983 résultats… Dans un encart «Affiner votre recherche», on trouve un lien «fatigue persistante». Sous ce lien, 16 articles. Les premiers sont «Ecoutez votre fatigue», «Magnésium et fatigue» et «Fatigue vitamines, dites stop à la fatigue». L’abondance de liens et d’articles complique la recherche d’une information générale sur la fatigue. Décevant. Doctissimo.fr appartient au groupe droit média Lagardère.
Cinquième résultat, le site suisse Santeweb. On y trouve une fois encore une page consacrée au «syndrome de fatigue chronique». La navigation sur ce site laisse une impression étrange, l’essentiel de l’écran étant occupé par de la publicité. Santeweb appartient au groupe Mediscope. Sur la page «Impressum» du site, on peut lire «Les contenus sont produits et contrôlés par des spécialistes médicals» [sic].
Les sites arrivés entre le 6e et le 10e rang avec cette requête fatigue chronique portent tous sur le «syndrome de fatigue chronique»: Futura Sciences (futura-sciences.com), Orpha.net – «le portail des maladies rares et des médicaments orphelins» (orpha.net), le site de l’association française du syndrome de fatigue chronique (asso-sfc.org), le site allodcoteurs.fr et enfin le site canadien sante.canoe.ca.
Cet exemple illustre la réalité des recherches effectuées par les patients, ils utilisent le plus souvent des moteurs de recherche généralistes [7] et sont confrontés à des résultats de qualité variable [8, 9].
Même s’il est évident que les réponses proposées par Google ont été influencées par notre choix d’utiliser comme mots-clés les termes fatigue chronique, les résultats de cette recherche sont décevants.
En conclusion, le site qui donne le plus d’informations générales sur la fatigue est le site Planète santé. Le «portail médical romand» est certainement un site de qualité qui peut être recommandé, il faut cependant être conscient qu’il ne couvre pas toutes les questions que les internautes santé se posent.
L’accès à une information de qualité doit permettre aux patients de jouer un rôle plus actif dans la prise en charge de leur santé. Pour leur permettre d’accéder à des informations validées, les médecins ont un rôle essentiel à jouer. Les professionnels de la santé doivent investir internet, pour y jouer leur rôle d’experts en santé. Ils doivent encourager leurs patients à s’informer sur internet en leur conseillant des sites de qualité. Pour les médecins, une des principales difficultés est de savoir quels sites conseiller, ce sujet fera l’objet d’un article dans le numéro du 13 mai 2015 de la Revue médicale suisse. Les médecins doivent enfin aussi écrire sur internet, sur Wikipédia par exemple. L’utilisation d’internet en médecine? Une belle opportunité pour rapprocher soignants et soignés.
L’auteur n’a déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.