La gestion du «patient fatigué» est difficile en raison du caractère subjectif de ce symptôme, du large éventail des causes possibles et du handicap quotidien souvent considérable vécu par le patient; elle peut représenter un défi important, même pour les médecins vraiment expérimentés sur le plan clinique. C’est pour cette raison que nous avons prié l’ensemble des médecins-chefs de l’Association des médecins-chefs de la Société Suisse de Médecine Interne Générale dans le cadre d’une enquête écrite de prendre position au sujet des deux questions suivantes:
«Au cours de votre carrière, quelle a été la cause somatique de fatigue la plus surprenante chez un patient atteint de fatigue importante?»
«Quelle a été la cause que vous avez presque ou complètement manquée?»
Quelques-unes des 50 réponses les plus fascinantes des médecins-chefs sont citées dans le texte comme «pièges» potentiels. Pour faciliter la lecture, nous ne distinguerons pas, pour les différents cas, les causes surprenantes de fatigue somatique, «near misses».
Etant donné que le présent article se base sur l’expérience clinique des personnes interrogées, nous ne prétendons pas à l’exhaustivité ni à l’exactitude épidémiologique. Pour une approche systématique, nous recommandons les articles suivants: Deutsche Gesellschaft für Allgemeinmedizin und Familienmedizin (DEGAM, Société allemande de médecine générale et de famille) [1], Horn [2], Werner et Zimmerli [3].
Avant de pouvoir aborder les diverses causes somatiques de la fatigue, il convient de se pencher sur le terme «fatigue». La nécessité d’une classification terminologique résulte surtout des différentes réponses des médecins-chefs interrogés.
La plupart des études sur le thème de la fatigue ont été menées dans le monde anglo-américain. La langue anglaise fait les distinctions suivantes: «sleepiness», «tiredness» et «fatigue». Le terme «sleepiness» est identifié à un besoin physiologique fondamental (par exemple faim), qui diminue grâce au sommeil. «Tiredness» décrit un manque d’énergie et de force d’initiative, comme cela s’observe souvent chez les patients dépressifs. Contrairement aux patients souffrant de «sleepiness», les patients atteints de «tiredness» ne parviennent souvent pas à s’endormir immédiatement, même s’ils en ont l’occasion [4]. Le terme anglais «fatigue» est défini comme une sensation de «tiredness» excessive qui peut varier en forme et en puissance et avoir une influence négative sur la capacité de fonctionnement de la personne [5].
Le syndrome de fatigue chronique a été défini pour la première fois en 1988 comme sous-groupe de la fatigue [6].
Les différences décrites plus haut n’existent que partiellement en allemand et en français.
Dans la CIM-10 (Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes), le symptôme de la fatigue porte le code R53 correspondant à la sous-entité malaise et fatigue. La faiblesse due à l’âge, la faiblesse congénitale, le syndrome de fatigue (F48.0), le syndrome de fatigue post-virale (G93.3), ainsi que l’épuisement et la fatigue dus à des facteurs comme la chaleur (T67), la névrose de guerre (F43), la neurasthénie (F48), la grossesse (026.88), l’effort excessif (T73.3) et les intempéries (T73.2) sont codés séparément.
Le terme «Fatigue» n’apparaît pas dans la classification allemande de la CIM-10 mais existe dans la version française [7].
Dans les articles allemands sur la fatigue cités plus haut, Horn définit la fatigue en tant que décalage entre la performance requise et la performance pouvant être fournie [2]. Werner et Zimmerli décrivent la fatigue comme une expérience humaine universelle, qui peut généralement être expliquée comme une réaction au manque de sommeil et traitée en tant que telle. Si cette fatigue persiste sur une longue période, elle devient un symptôme pathologique. Le terme anglais «fatigue» est évoqué entre parenthèse après l’expression allemande «Müdigkeit» [3].
> Le rythme circadien est commandé par des oscillateurs endogènes au niveau du système nerveux central (SNC).
> Une nuit compte quatre à cinq cycles du sommeil (un cycle = une phase de sommeil REM/non-REM).
> L’adénosine accumulée pendant la journée au niveau du cerveau antérieur basal inhibe les neurones cholinergiques excitateurs à ce niveau, ce qui engendre, en physiologie du sommeil, l’initiation des phases de sommeil profond (SWS).
> Lorsque le rythme est modifié (par exemple retard d’endormissement), des adaptations peuvent avoir lieu par interactions sociales, mais une dissociation/désynchronisation végétative se produit néanmoins [8].
Pour des raisons de pertinence clinique et thérapeutique, nous considérons, dans cet article, la fatigue comme établie au sens strict lorsqu’une somnolence (y compris une somnolence diurne excessive) et une hypersomnie (durée du sommeil supérieure à 10 heures) ont pu être exclues. Ce type de fatigue est défini dans notre article par le terme «fatigue», mais ne correspond pas à l’expression anglaise «chronic fatigue».
La physiopathologie du symptôme relativement non spécifique de la fatigue est par nature incertaine. Les connaissances relatives à la physiopathologie du sommeil et aux différents principes physiopathologiques des troubles du rythme sommeil-veille sont bien plus larges, c’est pourquoi cet article traite d’abord de la physiologie générale du sommeil et des troubles du sommeil mentionnés dans l’enquête.
Selon la Classification internationale des troubles du sommeil (CITS-3), la médecine du sommeil distingue les sept catégories de troubles du sommeil suivantes [9]:
Insomnies.
Troubles du sommeil en relation avec la respiration.
Hypersomnies d’origine centrale.
Troubles du rythme circadien du sommeil.
Parasomnies.
Mouvements anormaux en relation avec le sommeil.
Autres troubles du sommeil.
Les exemples suivants issus de l’enquête auprès des médecins-chefs ont évoqué un trouble du sommeil comme cause de la fatigue chez les patients.
Piège: Syndrome d’apnées obstructives du sommeil (SAOS) et apnée centrale du sommeil… chez une patiente jeune et mince.
En cas d’apnée du sommeil, qui peut être classée dans la catégorie des troubles du sommeil en relation avec la respiration, une fragmentation du sommeil (principalement trouble du sommeil REM) survient du fait des pauses respiratoires, pouvant aboutir à une somnolence diurne prononcée.
Piège: Narcolepsie… en présence d’une suspicion élevée de SAOS dû à une hypertrophie de la luette.
La narcolepsie, classée dans la catégorie hypersomnies d’origine centrale, se caractérise par un sommeil REM dissocié pendant la journée. Un déficit en orexines a pu être mis en évidence au niveau de l’hypothalamus latéral chez les patients atteints de narcolepsie [10]. L’orexine, un neuropeptide, a avant tout une influence sur le système cholinergique déclenchant le sommeil REM, en plus d’autres structures du tronc cérébral. Ces derniers sont susceptibles de souffrir d’une somnolence diurne prononcée, mais cela n’est pas toujours le cas.
La physiopathologie de la fatigue au sens strict n’est jusqu’à présent pas tout à fait élucidée. En s’appuyant sur quelques exemples issus de l’enquête, nous tentons de nous rapprocher de certains procédés physiopathologiques.
Piège: Maladie d’Addison et insuffisance surrénale centrale … chez un patient adressé pour soupçon de tumeur cérébrale.
En cas de manque de glucocorticoïdes, une lipolyse augmentée, une dégradation protéinique et une anémie, une réduction de la gluconéogenèse et d’autres modifications physiologiques surviennent dans l’organisme. Ces procédés peuvent entraîner ou renforcer la fatigue. Une baisse du taux de cortisol et une diminution de la réponse au stress en cortisol ont été observées chez les patients atteints du syndrome de fatigue chronique [11].
Il convient de noter que les patients sous traitement de substitution peuvent également être «fatigués» lorsque ce dernier entraîne une fragmentation du sommeil due à des réveils récidivants.
Piège: Artérite temporale et endocardite lente.
Une régulation à la hausse du système immunitaire, et ainsi des cytokines, peut être observée en cas d’affections rhumatologiques ainsi que de maladies infectieuses. Le facteur de nécrose tumorale (TNF-alpha), une cytokine, est présent au niveau du SNC et engendre la libération d’autres cytokines. Il semble qu’il existe une association entre l’influence du TNF-alpha sur les ganglions basaux et le symptôme de la fatigue [12]. De même, une hausse des cytokines pro-inflammatoires a pu être mise en évidence chez les patients atteints de syndrome de fatigue chronique [13].
Par ailleurs, les patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde (PR) présentent souvent aussi des troubles du sommeil (>50% des patients), en particulier une fragmentation du sommeil en raison de douleurs chroniques. A cela vient s’ajouter un facteur négatif supplémentaire: les douleurs articulaires liées à la PR augmentent lorsque le sommeil est interrompu de manière intentionnelle ou involontaire, ce qui peut aboutir à un cercle vicieux [14].
Piège: Carcinome à cellules rénales… seulement au cours de l’évolution; Lymphome de Hodgkin… en présence d’une suspicion de borréliose; Cancer du côlon… en présence d’anémie; suite à une polychimiothérapie pour cancer bronchique: … fatigue.
Globalement, 60 à 90% des patients cancéreux souffrent de fatigue chronique [15]. Les directives du National Comprehensive Cancer Network (NCCN) recommandent d’interroger chaque patient oncologique à propos du symptôme de la fatigue lors de la consultation initiale ainsi qu’à intervalles réguliers.
Les conséquences de la maladie sous-jacente ou du traitement, telles qu’anémie, déficits hormonaux, lésions organiques, malnutrition, infections chroniques ou déconditionnement physique, constituent des approches physiopathologiques possibles. Toutefois, celles-ci ne suffisent pas à expliquer complètement la fatigue chronique chez les patients atteints de tumeur, notamment parce qu’il arrive également que des patients souffrent de fatigue prononcée après l’arrêt du traitement. Le rôle-clé du système immunitaire et de certaines cytokines a déjà été évoqué [12]. Un autre mécanisme indique un dysfonctionnement mitochondrial et une perte de mitochondries, qui renforcent l’atrophie musculaire, ainsi que l’immobilisation de plus en plus importante des patients cancéreux, aggravant ainsi la fatigue déjà existante [16]. La fatigue, survenant en tant qu’effet indésirable de la radiothérapie, pourrait être expliquée par l’anémie secondaire résultant de l’irradiation de la moelle osseuse, par une réduction de la prise alimentaire en cas de mucite ou par d’autres facteurs [17].
Etant donné que la fatigue prend une place importante en présence d’une tumeur, nous vous renvoyons aux références correspondantes [17, 18].
Piège: Hypothyroïdie sévère à évolution insidieuse.
Les hormones thyroïdiennes régulent le métabolisme basal du corps humain. Si elles sont réduites, cela entraîne entre autres une diminution de la fréquence et de l’inotropisme cardiaques, une bradypnée et une réduction de la fonction du système nerveux végétatif ainsi que de l’irritabilité neuromusculaire. Tout cela peut engendrer ou renforcer le symptôme de la fatigue.
Piège: Maladie de Rendu-Osler avec une carence consécutive en fer suivie d’une anémie ferriprive.
L’importance de l’anémie pour le symptôme de la fatigue n’est pas totalement éclaircie. Selon les directives DEGAM, il n’existe aucun rapport entre anémie et fatigue au niveau de la population [1]. Les références citées datent toutefois d’avant 2000 et doivent être remises en question de manière critique. Concernant la carence en fer, l’état des données est un peu plus clair. Une étude randomisée en double aveugle a révélé un effet significatif en termes de réduction de la fatigue en cas de supplémentation en fer par voie intraveineuse pour des taux de ferritine sérique <15 ng/ml. Les auteurs de cette étude renvoient à la fonction non hématologique du fer dans l’organisme. Ainsi, le fer est un composant essentiel de diverses enzymes, telles que la ribonucléotide réductase, la NADH-déshydrogénase, la succinate déshydrogénase ou le cytochrome C réductase/oxydase [19].
Piège: Infarctus thalamique avec fatigue comme symptôme exclusif.
La fatigue et la somnolence diurne excessive peuvent toutes deux accompagner de nombreuses conditions cliniques neurologiques.
Une distinction fondamentale entre fatigue centrale et fatigue périphérique est possible, bien que simplificatrice. Ainsi, la fatigue périphérique décrit l’impossibilité de maintenir la force musculaire. Son origine physiopathologique est souvent un trouble au niveau de la transmission neuromusculaire, comme elle survient par exemple en cas de myasthénie ou de syndrome de Lambert-Eaton. Les myopathies et neuropathies périphériques peuvent néanmoins elles aussi influencer la performance et la fatigabilité musculaires.
La fatigue centrale décrit la perception d’un effort accru et d’une endurance limitée lors d’activités physiques et intellectuelles. Cet état multidimensionnel et multifactoriel est d’origine cérébrale et repose sur des troubles des circuits entre ganglions basaux, amygdale, thalamus et cortex frontal.
Le tableau 1 fournit un aperçu des causes somatiques de la fatigue.
Une démarche clinique (anamnèse complète et examen clinique orienté) chez les patients présentant une fatigue permet déjà d’identifier de nombreuses causes somatiques.
L’anamnèse est l’instrument le plus pertinent du diagnostic holistique pour les patients souffrant de fatigue ou de somnolence. La détermination des caractéristiques de la fatigue aide à classer les troubles dans l’une des deux, ou plutôt trois catégories que sont la fatigue, la somnolence et l’hypersomnie (tableau 2).
Si le patient rapporte que l’activité améliore son état de fatigue, cela indique plutôt une somnolence prononcée. Si l’activité est évitée en raison d’un épuisement disproportionné, il convient de considérer une fatigue au sens strict. De même, le fait que le sommeil n’apporte guère de soulagement au patient aide à classer le symptôme dans la catégorie «fatigue».
Une anamnèse approfondie incluant la durée et les troubles subjectifs du sommeil, ainsi que l’interrogation détaillée d’un proche, suivie d’une anamnèse relative à la vigilance, sont essentielles. Existe-t-il une tendance à l’endormissement dans des situations inhabituelles pendant la journée? Une perte de tonus musculaire a-t-elle été observée dans des situations émotionnelles? Ces informations anamnestiques sont importantes pour la différenciation plus poussée d’une éventuelle somnolence et sont traitées en détail dans la littérature spécialisée de la médecine du sommeil [9], d’où la brève évocation des «near missed cases» rencontrés par les médecins-chefs.
Piège: Narcolepsie en présence d’un soupçon de SAOS. Un jeune patient montrait volontiers qu’il parvenait à mordre sa luette avec ses dents. En présence d’une anamnèse de ronflement prononcé, le soupçon portait sur un SAOS. La suite de l’anamnèse a révélé qu’en fêtant la naissance de son enfant, il a soudainement perdu sa force et le verre lui a échappé de la main. Les autres examens diagnostiques et le succès thérapeutique ont confirmé la suspicion de narcolepsie.
Après évaluation de la souffrance actuelle, soit la prise en compte des caractéristiques de la fatigue ou de la somnolence, une anamnèse détaillée de type systémique et relative aux médicaments, substances, voyages, pratiques sexuelles et relations sociales, est recommandée, comme le confirment les exemples suivants, tirés de l’enquête:
Piège: Abus involontaire de diazépam.
Le patient a confondu le diazépam avec une préparation vitaminée de sa femme.
Piège: Abus secret de somnifères.
Piège: Arrêt du traitement.
Traitement de substitution interrompu en raison d’un manque de compréhension de la maladie; Etat précomateux après arrêt d’une «substitution» de la T4.
Piège: Hypothyroïdie iatrogène.
Piège: Dépendance sexuelle chez un patient âgé.
Piège: Leishmaniose viscérale.
Piège: Tuberculose miliaire intrapéritonéale.
Piège: Abcès amibien hépatique.
Fatigue prononcée chez le patient dont l’anamnèse révèle un séjour en Asie.
L’enregistrement du profil de risque cardiovasculaire permet d’évaluer s’il convient d’envisager un événement cérébral ou coronarien asymptomatique.
Piège: Infarctus thalamique bilatéral.
Une bonne implication et une collaboration des proches peuvent être utiles à l’établissement du diagnostic et au traitement. Ces éléments fournissent souvent des indications déterminantes concernant l’étiologie. Les préoccupations ou diagnostics soupçonnés émis par les proches doivent être pris en compte, mais considérés de manière critique, comme illustrés par l’exemple suivant:
Piège: Lymphome de Hodgkin en présence d’une suspicion de borréliose.
Une apprentie bouchère de 19 ans, dont le père a exigé un traitement correct de la borréliose. «Amélioration» après seulement trois doses de ceftriaxone. Pourtant, fort doute relatif à l’exactitude du diagnostic. Deux semaines après la fin du traitement, réalisation d’une radiographie thoracique en raison d’une dyspnée. Le diagnostic d’une maladie de Hodgkin a alors été établi.
Les deux questions de dépistage suivantes, destinées à identifier un trouble de l’humeur, sont recommandées: «Au cours du mois dernier, vous êtes-vous souvent senti abattu, triste et désespéré?»; «Au cours du mois dernier, avez-vous souvent ressenti peu d’intérêt ou de plaisir à pratiquer vos activités?» Ces deux questions peuvent fournir des indications relatives à une éventuelle dépression, sans toutefois pouvoir la confirmer ou l’exclure totalement. A ce sujet, nous vous renvoyons à l’article des professeurs Hell, Soyka et Brühlmann, publié dans ce numéro.
L’échelle de Somnolence d’Epworth (ESS) est un test destiné à l’évaluation d’une somnolence excessive, validée et souvent employée, mais elle ne permet pas de tirer des conclusions relatives à la maladie sous-jacente [4]. En ce qui concerne la fatigue comme sensation subjective dans la population en général, il n’existe pas encore d’outil d’évaluation globalement validé [20]. Les différentes spécialités disposent néanmoins de tests de dépistage validés et recommandés. Ainsi, le National Comprehensive Cancer Network (NCCN) recommande et utilise le score de Butt Z et coll. [15].
Piège: Hémisyndrome et télangiectasies buccales en cas de maladie d’Osler.
Hospitalisation d’un jeune coursier à vélo en raison d’une fatigue et d’une anémie. Le status neurologique montrait une hémisymptomatologie minime et des télangiectasies buccales. Le scanner crânien a mis en évidence un abcès frontal et la radiographie thoracique un petit foyer nodulaire périphérique. Preuve angiographique d’une malformation artério-veineuse.
Piège: Modifications cutanées en présence de maladie d’Addison.
Piège: Acromégalie combinée au syndrome de la selle turcique vide.
Piège: Hypotension orthostatique en cas de polymédication.
Le tableau 3 résume les anomalies possibles relatives à l’état clinique (de la tête vers les pieds).
Dans l’article synoptique de Werner sur le thème de la fatigue chronique, les analyses biologiques ne sont recommandées qu’après quatre semaines ou davantage de fatigue persistante [3]. Les électrolytes (sodium, potassium, calcium), l’albumine, la CRP (protéine C réactive), l’hémogramme (et si besoin différenciation leucocytaire, selon le diagnostic soupçonné), la vitesse de sédimentation sanguine, la créatinine, les ASAT (aspartate aminotransférases) et la TSH (thyréostimuline) semblent être utiles et sont relativement peu onéreux (au total, 44 points tarifaires selon la liste d’analyse de l’OFSP de janvier 2014 – attention, sans suppléments) [21] et peuvent donc être mesurés dès la première consultation en cas de soupçon élevé d’une cause somatique, puisque les patients souffrent souvent du symptôme de fatigue depuis longtemps déjà.
Piège: Hyponatrémie… en cas de prise de desmopressine; en cas d’insuffisance surrénale centrale isolée.
Piège: Hypernatrémie… déshydratation en présence de neutropénie fébrile.
Piège: Hypercalcémie… en présence de neurosarcoïdose.
Piège: Carence en vitamine D… examen diagnostique chez un patient inapte à travailler en présence d’un soupçon de borréliose. Les analyses biologiques ont révélé une forte carence en vitamine D.
Piège: Hypothyroïdie… en cas d’arrêt d’un traitement de substitution; inaperçue en présence d’une fibromyalgie.
Piège: Hypoparathyroïdie… iatrogène.
Si l’on suspecte une origine somatique de la fatigue, lorsqu’une dépression, un trouble anxieux, un abus de stimulants ou une cause médicamenteuse ont été exclus et que l’anamnèse, l’examen clinique et les analyses biologiques de base n’ont permis de détecter aucune maladie, la recherche d’un diagnostic doit être poursuivie. Il est nécessaire d’exclure ou de confirmer les causes les plus fréquentes, mais aussi de ne pas manquer les causes plus rares mais traitables.
Il convient de juger au cas par cas quels autres examens diagnostiques sont pertinents. Malgré les causes étonnantes de fatigue mentionnées dans cet article, il n’est pas nécessaire de mesurer le taux de cortisol à jeun ou de rechercher une neurosarcoïdose chez tous les patients. Nous considérons l’échographie abdominale et la radiographie thoracique comme utiles lorsqu’une imagerie complémentaire est envisagée.
Selon les directives DEGAM, en cas d’anamnèse et d’examen physique ne présentant aucune anomalie, la probabilité d’une maladie maligne comme cause de la fatigue n’est pas plus élevée que pour un patient non fatigué. C’est pourquoi des examens complémentaires à la recherche de ce diagnostic sont déconseillés.
Si un trouble du sommeil semble être la cause probable de la fatigue et si, malgré l’optimisation de l’hygiène du sommeil, aucune amélioration n’a pu être obtenue, il est recommandé d’adresser le patient à un spécialiste du sommeil.
D’une manière générale, lorsque la maladie somatique sous-jacente a pu être identifiée, il convient de procéder à un traitement adapté. Lorsqu’une somnolence diurne excessive est due à un SAOS, la prochaine étape est l’évaluation d’un traitement par CPAP (ventilation en pression positive continue). Si la fatigue est d’origine infectieuse, un traitement antibiotique temporaire tenant compte de la résistance peut, par exemple, apporter une nette amélioration. Si une cause pharmacologique a été découverte, une adaptation posologique ou l’arrêt total de la médication peuvent être efficaces.
Lorsque la maladie en cause est non traitable ou incurable, comme cela est souvent le cas chez les patients cancéreux ou en présence de maladies chroniques, les maladies concomitantes éventuellement curables doivent être prises en compte et traitées. Il convient d’optimiser l’alimentation chez le patient cachectique, le traitement de substitution en cas de déséquilibre électrolytique, le traitement d’une maladie psychique concomitante, d’une anémie, etc.
En cas de fatigue chronique dans le cadre de maladies graves incurables, la disponibilité des données est encore insuffisante. Il n’existe jusqu’à présent que peu d’approches thérapeutiques validées. Le tableau 4 fournit un aperçu des options thérapeutiques chez les patients atteints de maladies chroniques et se plaignant de fatigue. Il est essentiel d’envisager une approche thérapeutique multimodale.
Une bonne relation médecin-patient, ainsi que la consultation régulière chez le médecin de famille peuvent incontestablement contribuer au succès thérapeutique.
Nous souhaitons remercier cordialement les médecins-chefs pour leurs contributions intéressantes et stimulantes, issues de leur riche expérience. Nos remerciements s’adressent également au Dr Khatami pour ses données techniques.
Les auteurs n’ont déclaré aucun lien financier ou personnel en rapport avec cet article.
Comme mentionné au début de l’article, l’objectif de cette enquête n’était pas de développer, au moyen d’une analyse systématique, des recommandations complètes concernant la gestion du «patient fatigué», mais plutôt d’encourager à accorder davantage de place au symptôme quotidien de fatigue et de prendre conscience de l’étendue des causes possibles, souvent complexes, «cachées» et longtemps non reconnues, même par des spécialistes très expérimentés. Car les choses sont souvent plus compliquées qu’elles n’y paraissent.
Nous souhaitons par ailleurs souligner les points suivants:
En tête du classement des causes les plus inhabituelles de fatigue se trouve la prise erronée de médicaments. Cette cause paraît évitable grâce à une information détaillée et adaptée du patient.
La distinction entre somnolence (excessive), hypersomnie et fatigue est essentielle et permet d’établir un diagnostic ainsi qu’une évaluation correcte des options thérapeutiques.
Si la fatigue du patient ne s’améliore pas malgré le traitement de la cause apparente, d’autres diagnostics différentiels doivent être considérés. Un patient présentant une hypertrophie de la luette peut souffrir d’une narcolepsie en plus d’un SAOS.
Un potentiel de recherche considérable subsiste en termes d’options thérapeutiques, en particulier pour la fatigue chronique. Reste à espérer que ces efforts ne s’essouffleront pas dans ce domaine complexe et passionnant, que les pièges continueront d’être découverts et qu’il sera possible de faire continuellement baisser le nombre des «near missed cases».
Le tableau 5 présente le «top 5» des cas les plus inhabituels ou «near misses» de l’enquête.
Le tableau 6 établit la liste des causes somatiques les plus extraordinaires de la fatigue.