Le présent article a pour but de fournir un aperçu du traitement actuel de l’hépatite C chronique. Pour ce qui concerne l’indication et le but du traitement antiviral, nous nous référons à un autre article dans la même édition conjointe du Forum Médical Suisse et de la Revue Médicale Suisse.
L’interféron-α (IFN-α) représentait le pilier du traitement antiviral durant les 25 dernières années (figure 1) [1]. Le traitement standard pendant dix ans consistait en l’association IFN-α pégylé (PEG-IFN-α), administré par injection SC hebdomadaire et ribavirine (RBV), administrée sous forme orale le matin et le soir, pour 24 à 48 semaines. Une réponse virologique soutenue (sustained virological response SVR) a pu être atteinte avec ce traitement chez 40–50% des patients infectés par le virus de l’hépatite C (HCV) de génotype 1 et chez 70–80% des patients infectés par le génotype 2 ou 3. Les taux de guérison, particulièrement pour les patients infectés par le génotype 1, étaient donc peu satisfaisants, la durée du traitement longue et le taux d’effets secondaires élevé. De plus, de nombreux patients avaient des contre-indications à un traitement par IFN (par exemple les patients avec une cirrhose décompensée Child-Pugh B ou C).
Les premiers inhibiteurs spécifiques de la protéase virale C, le télaprévir (TVR) et le bocéprévir (BOC), ont été introduits en 2011 avec des grands espoirs. La trithérapie comprenant TVR ou BOC, PEG-IFN-α et RBV améliorait des taux de SVR de patients infectés par le génotype 1 sans traitement préalable de 25–30% à environ 70%, avec une durée du traitement raccourcie à 24 ou 28 semaines dans environ la moitié des cas [2]. Chez les patients avec un échec du traitement préalable, les taux de succès dépendaient fortement de la réponse thérapeutique préalable. Les taux de SVR étaient d’environ 80% pour les patients avec une rechute (relapse), 50% pour les patients avec une réponse partielle et 30% pour les patients sans aucune réponse préalable (null response). Les différentes réponses thérapeutiques sont illustrées dans la figure 2. Cette trithérapie de première génération était très complexe et associée à un haut «pill burden», des nouveaux effets secondaires parfois graves, un risque d’interaction médicamenteuse accrue et des coûts très élevés [3].
Une nouvelle ère a débuté en 2014 avec l’introduction de nouveaux DAA (directly acting antivirals) (tableau 1). Ces molécules ainsi que d’autres qui sont en évaluation clinique avancée révolutionnent actuellement le traitement de l’hépatite C chronique. Elles permettent à présent un traitement très efficace (taux de SVR >90%) et sans IFN de tous les génotypes avec une bonne tolérance et un traitement raccourci à 8, 12 ou 24 semaines [4, 5]. Pour certains patients et avec des associations de DAA futurs, le traitement pourra être même raccourci jusqu’à 6 semaines [6].
Une discussion détaillée de ces différentes options thérapeutiques dépasserait le cadre de cet article. En outre, les informations deviendraient vite obsolètes au vu de la rapidité des progrès en la matière. Nous nous référons donc aux recommandations de l’European Association for the Study of the Liver (EASL) ainsi que l’American Association for the Study of Liver Diseases (AASLD) et de l’Infectious Diseases Society of America (IDSA) qui sont actualisées continuellement et publiées online (www.easl.eu et hcvguidelines.org). La Swiss Association for the Study of the Liver (SASL) publie conjointement à la Société Suisse d’Infectiologie (SSI) des «Expert Opinion Statements» adaptés aux autorisations et règles de remboursement en Suisse (www.sasl.ch, www.sggssg.ch et www.sginf.ch). Nous discuterons ici des options thérapeutiques actuelles seulement dans les grandes lignes, en tenant compte des antiviraux autorisés en Suisse au 1er février 2015. Pour ce qui concerne l’inhibiteur de protéase siméprévir (SMV; Olysio®) et de l’inhibiteur de NS5A daclatasvir (DCV; Daklinza®) qui ne sont pas encore autorisés en Suisse à cette date, nous nous référons aux recommandations de l’EASL ainsi que de l’AASLD et de l’IDSA mentionnées ci-dessous. En principe – et indépendamment de l’autorisation et des règles de remboursement actuellement en place en Suisse –, un certain nombre d’options thérapeutiques est actuellement disponible pour le traitement de l’hépatite C chronique (tableau 2). Comme ces options ainsi que les autorisations et règles de remboursement sont en constante évolution, une collaboration étroite avec un spécialiste est nécessaire.
Le traitement combiné conventionnel de PEG-IFN-α (Pegasys® ou PegIntron®) et de RBV (Copegus® ou Rebetol®) peut encore être considéré chez des patients avec un fort désir d’être traités qui ne sont pas inclus dans les limitations avec les nouveaux antiviraux actuels et qui ont des bonnes chances de réponse à un traitement de 24 semaines (par exemple les patients avec une infection par le génotype 1, une virémie basse, un stade de fibrose selon Metavir ≤F2 ainsi qu’une «rapid virological respose», c’est-à-dire un HCV-RNA négatif à 4 semaines de traitement, ou des patients avec une infection par le génotype 2 et un stade de fibrose selon Metavir ≤F2).
Lors de la finalisation de cet article au 1er février 2015, le sofosbuvir (SOF; Sovaldi®), l’association de lédipasvir (LDV) et SOF (Harvoni®) ainsi que l’association de paritaprévir et ombitasvir (PTV/r et OBV; Viekirax®) et dasabuvir (DSV; Exviera®) sont approuvés en Suisse.
Le SOF est un inhibiteur nucléotidique de la polymérase virale avec une activité puissante contre tous les génotypes et un risque très faible de développement de résistance. Il est administré sous forme d’un comprimé de 400 mg/j, avec une biodisponibilité indépendante de la prise des repas. Le SOF est en général bien toléré et a un faible risque d’interaction médicamenteuse. Seule l’administration d’inducteurs puissants de la glycoprotéine-P comme la rifampicine, la carbamazépine, la phénytoïne ou le millepertuis doit être évitée. L’administration de SOF en association avec un autre DAA est déconseillée chez les patients sous traitement d’amiodarone en raison d’épisodes de bradycardies sévères observées avec cette combinaison. Le SOF ainsi que son métabolite principal sont éliminés par voie rénale. L’administration chez les patients avec une clairance de la créatinine <30 ml/min n’est donc pas recommandée pour l’instant, en attendant des données chez les patients avec une insuffisance rénale avancée, voire en dialyse. Le SOF peut aussi être utilisé chez des patients avec une cirrhose décompensée.
Le SOF est autorisé en Suisse depuis mars 2014 et remboursé depuis août 2014 avec des limitations. Sa prescription est actuellement limitée aux gastroentérologues et hépatologues, infectiologues ainsi qu’à d’autres spécialistes listés nominativement. Au vu de son coût très élevé, sa prescription est limitée aux patients avec une fibrose avancée, voire une cirrhose (stades Metavir F3 et F4, documentés par une biopsie hépatique ou une rigidité hépatique >9,5 kPa au FibroScan® à deux reprises ≥3 mois de distance), à ceux avec une manifestation extra-hépatique de l’infection HCV chronique (par exemple cryoglobulinémie symptomatique) et à ceux en attente d’une transplantation hépatique.
Les modalités d’utilisation du SOF sont résumées dans la dernière version du SASL-SSI «Expert Opinion Statements» de septembre 2014 (www.sasl.ch ou www.sginf.ch) ainsi que dans le tableau 2.
L’association de LDV, un inhibiteur de la protéine NS5A, et de SOF est autorisée en Suisse depuis décembre 2014 pour le traitement de l’hépatite C de génotype 1 et remboursée avec des limitations similaires à celles pour le SOF depuis le 1er février 2015. De plus, les patients avec une récidive de l’hépatite C post-transplantation hépatique peuvent être traités indépendamment du stade de fibrose. LDV (90 mg) et SOF (400 mg) sont coformulés en dose fixe dans un comprimé qui est prescrit une fois par jour, à nouveau sans effet avec la prise de nourriture. L’association de LDV et SOF n’est en général pas combinée avec la RBV. La durée du traitement est en général de 12 semaines. Chez les patients sans cirrhose et sans tentative de traitement préalable avec un HCV-RNA <6 × 106 UI/ml, le traitement peut être raccourci à 8 semaines. Par contre, une prolongation du traitement à 24 semaines est recommandée pour les patients cirrhotiques avec un échec du traitement préalable.
L’association de LDV et SOF est en général bien tolérée et les interactions médicamenteuses sont rares. Comme les deux sont des substrats de la glycoprotéine-P, l’administration simultanée d’inducteurs puissants de la glycoprotéine-P devrait être évitée (cf. ci-dessus). L’association de LDV et SOF est déconseillée chez les patients sous traitement d’amiodarone (cf. ci-dessus). Cette association ne doit également pas être administrée avec le tipranavir/ritonavir ou la rosuvastatine. Un avis spécialisé est recommandé pour ce qui concerne l’utilisation avec le ténofovir. L’association de LDV et SOF peut aussi être administrée chez des patients avec une cirrhose décompensée, mais est déconseillée actuellement chez les patients avec une insuffisance rénale avancée (GFR <30 ml/min) voire en dialyse.
Cette association dite «3D» comprenant le PTV/r, un inhibiteur de la protéase boosté par le ritonavir, l’OBV, un inhibiteur de la protéine NS5A, et le DSV, un inhibiteur de la polymérase non nucléosidique, est autorisée en Suisse depuis fin novembre 2014 pour le traitement de l’hépatite C chronique de génotype 1 et remboursée également depuis le 1er février 2015 avec des limitations similaires à celles pour le SOF. Le PTV/r (75/50 mg) et l’OBV (12,5 mg) ont été coformulés dans un comprimé dont deux doivent être pris le matin. Le DSV est administré matin et soir sous forme de comprimés de 250 mg. Afin d’améliorer la biodisponibilité, il est recommandé de prendre ces médicaments avec les repas. Surtout le ritonavir a un potentiel important d’interaction médicamenteuse. Il est donc recommandé de consulter des bases de données spécialisées et qui sont continuellement actualisées (par exemple www.hep-druginteractions.org).
L’association de PTV/r, OBV et DSV est combinée avec la RBV pour le traitement de patients infectés par le génotype 1a et les patients cirrhotiques. Pour les patients infectés par le génotype 1b et sans cirrhose, la co-administration de RBV n’est pas nécessaire. La durée du traitement est en général de 12 semaines. Toutefois, chez les patients cirrhotiques avec une infection par le génotype 1a et sans aucune réponse à un traitement préalable (null response), il est recommandé de prolonger le traitement à 24 semaines. L’association de PTV/r, OBV et DSV est en général bien tolérée. Une hyperbilirubinémie non conjuguée due à une inhibition réversible de l’«organic anion-transporting polypeptide» (OATP) 1B1 et OATP1B3 peut occasionnellement être observée. Les effets secondaires de la RBV, notamment l’anémie hémolytique dose dépendante et réversible, sont bien connus. L’association de PTV/r, OBV et DSV est très efficace également chez les patients cirrhotiques et ceux avec une rechute de l’hépatite C post-transplantation hépatique, mais elle est actuellement déconseillée chez les patients avec une cirrhose décompensée ou une insuffisance rénale avancée.
Ces populations comprennent traditionnellement les patients avec une cirrhose décompensée, en attente de transplantation hépatique ou avec une rechute de l’hépatite C post-transplantation hépatique, co-infectés par le VIH ou le virus de l’hépatite B, avec une insuffisance rénale avancée ou en dialyse et avec une hépatite C aiguë ou des hémoglobinopathies. Les résultats de traitement avec les nouveaux antiviraux chez les patients avec une co-infection HCV-VIH et une infection VIH bien contrôlée sont excellents et comparables à ceux chez les patients mono-infectés par l’HCV, mais de possibles interactions médicamenteuses doivent être prises en compte. Le traitement chez les patients avec une insuffisance rénale avancée, voire en dialyse, est non résolu à l’heure actuelle. En général, il est conseillé de coordonner l’indication et les modalités d’un traitement antiviral C avec un expert.
Les patients avec une cirrhose décompensée Child-Pugh B ou C ainsi qu’un carcinome hépatocellulaire doivent être évalués pour une éventuelle transplantation hépatique. La réinfection du greffon peut maintenant être prévenue de manière efficace [7] et des nouvelles perspectives se sont également ouvertes pour le traitement de la rechute post-transplantation hépatique [8, 9].
En résumé, des taux de SVR >90% peuvent être atteints aujourd’hui avec des traitements bien tolérés et simples. La situation reste peu satisfaisante pour les patients cirrhotiques infectés par le génotype 3, surtout après un échec de traitement préalable (taux de SVR 60–70%). Plusieurs DAA et associations de DAA de deuxième génération sont actuellement en évaluation clinique avancée et il est attendu que ces nouveaux antiviraux auront une activité encore plus large contre les différents génotypes, seront bien tolérés et faciles à administrer.
L’accès au traitement représente aujourd’hui un défi majeur vu son coût très élevé. De plus, les modalités de traitement (durée, rôle de la RBV) doivent encore être mieux définies chez certains patients. Une fois les traitements rendus encore plus simples et accessibles, se posera la question des moyens humains suffisants pour traiter. Dans ce contexte, la question de savoir si les médecins généralistes et internistes devraient à l’avenir aussi s’occuper du traitement de l’hépatite C chronique a été soulevée [10]. Enfin, il sera important d’examiner l’efficacité et la tolérance des nouveaux traitements en pratique clinique en dehors d’études contrôlées. Un soutien de la recherche continue et de grandes cohortes de patients telles que la «Swiss Hepatitis C Cohort Study» (www.swisshcv.ch) joueront un rôle central dans ces aspects importants.
DM has served as advisory board member for AbbVie, BMS, Gilead, Janssen, MSD and Roche; and has received research and travel grants from BMS, Gilead and Roche. BM has served as advisory board member for AbbVie, BMS, Boehringer Ingelheim, Gilead, Janssen, MSD and Roche; as a consultant for Gilead and AbbVie; and has received research and travel grants from AbbVie and Gilead.
> Les avancées dans la recherche fondamentale sur le cycle de vie du HCV ont permis le développement d’une série de DAA qui peuvent être associés dans des traitements oraux efficaces, sans IFN et avec une bonne tolérance.
> Une collaboration étroite avec un spécialiste est importante au vu des progrès très rapides dans le traitement de l’hépatite C chronique.