Au cours des dix dernières années, l’optogénétique a révolutionné les neurosciences en permettant une modélisation sans précédent des circuits impliqués dans certaines pathologies cérébrales, telles que l’addiction, la dépression, les troubles obsessionnels compulsifs (TOC) et autres troubles anxieux. Plus récemment, cette technique a également permis de proposer de nouvelles thérapies pour ces pathologies. Bien que, pour différentes raisons, l’optogénétique ne puisse encore être appliquée directement à l’homme, nous pensons qu’une étape intermédiaire pourrait consister en l’élaboration de nouveaux protocoles de stimulation cérébrale profonde (SCP) qui s’inspireraient de données prometteuses découlant de l’optogénétique sur les modèles animaux. Nous proposons ici, via des protocoles de SCP inspirés par l’optogénétique, d’affiner les approches thérapeutiques existantes et d’élaborer de nouvelles indications de traitement.
Dysfonctionnement de circuits neuronaux et pathologies cérébrales
En 2010, l’European Brain Council a publié un document de consensus sur les coûts des différentes pathologies neurologiques, qui représentent une charge très importante pour la société.1 D’après ce rapport, la migraine serait la pathologie la plus répandue, la dépression celle qui coûte le plus cher alors que les démences ont la prévalence la plus en hausse sur les dernières années. Malgré les efforts réalisés, la plupart de ces maladies reste sans traitement à l’heure actuelle parce que ni leur étiologie ni les mécanismes neuronaux sous-jacents n’ont pu être encore bien compris. Au cours d’un accident vasculaire cérébral, la paralysie est liée à l’ischémie lésionnelle des neurones contrôlant normalement les mouvements. La corrélation anatomo-clinique a, dans ce cas, pu être confirmée par les techniques d’imagerie modernes, ce qui n’est pas le cas pour la schizophrénie, les troubles anxieux ou encore les phénomènes d’addiction. Par ailleurs, un bon nombre de pathologies cérébrales ne peut pas être expliqué par une perte fonctionnelle liée à la mort neuronale, et des explications alternatives doivent être élaborées. L’hypothèse d’un dysfonctionnement de circuits neuronaux est largement évoquée pour les pathologies comportementales.2–4 Par exemple, pour la schizophrénie, un dysfonctionnement du circuit de perception sensorielle pourrait être à l’origine des hallucinations. Dans les troubles anxieux, une hyperactivité des circuits de la peur pourrait être incriminée. Ces hypothèses s’appuient maintenant sur plusieurs modèles expérimentaux (bénéficiant notamment de l’optogénétique (technique expérimentale où l’activité neuronale est contrôlée avec la lumière grâce à l’expression génétique d’une protéine photosensible, figure 1))5 dans lesquels le mécanisme physiopathologique est une altération fonctionnelle du circuit induisant un changement dans la perception sensorielle, émotionnelle ou dans la prise de décision des sujets. Notons par ailleurs que le circuit en question peut être altéré soit par une perte, soit par un excès de fonction.
De nombreuses études mettent en évidence la plasticité cérébrale :6 les circuits s’adaptent et se modifient en changeant la communication entre les neurones interconnectés. Les connexions se font via les synapses, dans lesquelles, sur une brève période, l’information encodée électriquement est transcrite en signal chimique. La grande plasticité synaptique permet un apprentissage (via le système de récompense dopaminergique), et de manière plus large, une adaptation comportementale face à un contexte. Dans le cadre d’un apprentissage physiologique, la récompense est transitoire et bien dosée. Si ce système est altéré, des symptômes peuvent apparaître. Par exemple, une stimulation excessive et répétée du circuit de la récompense par des substances addictives peut entraîner une modification comportementale poussant à la consommation compulsive d’une substance, et ainsi générer une addiction.
Cette hypothèse nous amène à penser que le traitement de ce type de comportement pathologique pourrait requérir des manipulations ayant pour but de moduler la fonction synaptique et restaurer la fonction normale du circuit atteint. Ceci est extrêmement difficile avec une approche pharmacologique classique, avec de petites molécules. En effet, une thérapie systémique viserait le cerveau dans son ensemble, et non seulement n’aurait que peu d’efficacité sur le circuit visé mais également trop d’effets indésirables. C’est là que la stimulation cérébrale profonde (SCP) devient extrêmement intéressante puisque c’est à l’heure actuelle l’unique technique permettant une modulation sélective d’un circuit donné.7 Plus de 100 000 patients ont déjà été traités par SCP dans le monde entier, en grande majorité pour une maladie de Parkinson (sujet détaillé dans l’article : Stimulation cérébrale non invasive : évolution d’un nouveau concept pour la thérapie de la maladie de Parkinson, dans ce même numéro). Bien que le mécanisme d’action précis soit encore en cours d’investigation, nous avons des indices que la SCP fonctionne, dans le cadre de la maladie de Parkinson, en inhibant la voie indirecte hyperactive du circuit interne des ganglions de la base. Les symptômes liés à la maladie de Parkinson sont dus à un dysfonctionnement de ce circuit résultant du déficit en dopamine. La SCP corrige ce dysfonctionnement sans restaurer le taux de dopamine. Cependant, le fonctionnement précis de la SCP reste encore mal connu.8 En effet, lorsque l’on cible le noyau sous-thalamique (NST), l’efficacité thérapeutique est liée à une stimulation à haute fréquence continue (130 Hz), qui ne peut être suivie par les neurones (fréquence de décharge naturelle entre 10 et 20 Hz). De plus, le champ électrique de la stimulation affecte non seulement les différents types de neurones du noyau cible mais également de nombreuses fibres passantes.
Au cours des cinq dernières années, de nombreuses études confirmant le lien existant entre l’activité neuronale et le comportement, et également avec la maladie de Parkinson, ont été publiées.9,10 Par exemple, l’existence des voies directe et indirecte du circuit des ganglions de la base (impliquant toutes deux le NST) a pu être démontrée.
L’optogénétique nous permet, sur des modèles animaux, de manipuler l’activité neuronale et les transmissions synaptiques dans des circuits précis. Via le canal ionique channelrhodopsine, une stimulation lumineuse induit la dépolarisation (ou au contraire une hyperpolarisation à l’aide d’un autre effecteur appelé l’halorhodopsine) des cellules modifiées. Grâce à cette méthode, il serait possible de mieux caractériser les circuits impliqués dans différentes pathologies cérébrales et ainsi définir de nouveaux protocoles thérapeutiques de SCP, éventuellement applicables à l’homme. La principale difficulté serait de rivaliser avec la spécificité de l’optogénétique, car même la plus élaborée des électrodes ne peut stimuler sélectivement les seuls neurones impliqués et choisis. Les structures excitables avoisinantes au circuit, qui sont touchées par le champ électrique généré par l’électrode de SCP, verront leur activité modifiée.
Les protocoles thérapeutiques liés à l’optogénétique illustrent la plasticité synaptique in vivo. Par exemple, une stimulation intermittente à haute fréquence appliquée à une souris potentialisera la transmission synaptique alors que des protocoles à basses fréquences (comme 1 Hz pendant dix minutes) réduiront cette transmission. Plusieurs groupes ont maintenant pu établir, comme preuve de principe, que cette approche pourrait être utilisée afin de rétablir une transmission normale dans des situations pathologiques.11,12 Par exemple, dans le cas de l’addiction, la boucle neuronale du cortex au striatum est renforcée. La dépotentialisation de cette dernière permet de rétablir l’état physiologique, et ainsi de supprimer le comportement d’accoutumance aux substances.
Les manipulations d’optogénétique réalisées en laboratoire ne sont pas applicables à l’homme, tout du moins pas dans un futur proche (figure 2).3 La modification de la cellule cible par des vecteurs viraux et son expression stable sur une longue période ne peuvent être réalisées avec nos moyens actuels. De plus, les techniques, utilisées pour obtenir la spécificité cellulaire chez les rongeurs, nécessitent des animaux transgéniques. Pour ces raisons, la SCP semble être une étape intermédiaire prometteuse, permettant de transposer à l’homme les connaissances apportées par les investigations en optogénétique sur les modèles animaux.
Afin de surmonter l’activation non spécifique des éléments neuronaux, limitation majeure de la SCP, il semble nécessaire de combiner la SCP à des traitements pharmacologiques afin d’affiner ses effets. Par exemple, au niveau du striatum, la transmission excitatrice disparaît dans l’addiction. En combinant la SCP avec des antagonistes des récepteurs dopaminergiques, il deviendrait possible de manipuler sélectivement la transmission glutamatergique (figure 3). Une étude récente démontre que cette SCP plus affinée tend à imiter le «traitement» optogénétique de l’addiction sur les rongeurs.13
En suivant cette technique, il devrait être possible de proposer de nouveaux protocoles de SCP en choisissant attentivement la cible de la stimulation et en connaissant précisément la fonction altérée du circuit neuronal à rétablir. Les TOC, la dépression et l’addiction (voir également l’article : Stimulation cérébrale profonde : nouvelles cibles et nouvelles indications, dans ce même numéro) pourraient être de bonnes indications à une telle thérapeutique. Au vu de ce qui précède, il fait peu de doutes que, dans les années à venir, la SCP va continuer à se développer. Elle devrait permettre non seulement de soulager les patients souffrant de ces pathologies cérébrales (actuellement sans traitement réellement efficace) mais également d’avoir une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents.
For the last decade, optogenetics has revolutionised the neurosciences by enabling an unprecedented characterisation of the circuits involved in brain diseases, in particular addiction, depression, and obsessive compulsive disorders (OCD) and other anxiety disorders. Recently, the technique has also been used to propose blueprints for novel treatments of these diseases. For many reasons, optogenetics cannot be applied to humans applications anytime soon ; we therefore argue that an intermediate step would be novel deep brain stimulation (DBS) protocols that emulate successful optogenetic «treatments» in animal models. Here we provide a roadmap of a translational path to rational, optogenetically inspired DBS protocols to refine existing approaches and expand it to novel indications.