Grâce aux progrès des neurosciences qui ont permis d’identifier des dysfonctionnements dans les réseaux neuronaux à l’origine de nombreuses maladies psychiatriques et neurologiques, et grâce à l’avènement de la stimulation cérébrale profonde (SCP) – dont le mécanisme d’action précis n’est pas encore connu mais qui agit en influençant ces réseaux par la stimulation d’une petite zone cérébrale profonde jouant le rôle de «nœud ferroviaire» – une foule de nouvelles indications est en train d’émerger, principalement dans le champ de la psychiatrie. S’il est trop tôt pour se prononcer quant à l’efficacité de la SCP pour ces nombreuses indications, il est intéressant de prendre la mesure de l’explosion de leur nombre tout en gardant à l’esprit les principes éthiques indispensables à une recherche médicale de qualité.
Depuis la réémergence de la stimulation cérébrale profonde (SCP) en 1987 avec l’équipe de Grenoble qui a développé la SCP à haute fréquence (cf. premier article de ce numéro : «SCP : passé, présent et avenir») et depuis l’avènement de trois pathologies – maladie de Parkinson (MP), tremblement essentiel (TE) et dystonie – et de trois cibles – noyau subthalamique (NST), globus pallidus interne (GPi) et noyau intermédiaire du thalamus (Vim) – avec indications reconnues (cf troisième article de ce numéro : «SCP lors de maladie de Parkinson et autres troubles du mouvement»), nous assistons actuellement à un foisonnement captivant, voire inquiétant, tant des nouvelles indications que des nouvelles cibles de SCP. Si l’on se réfère à l’excellente revue de Marwan Hariz,1 sont décrites pas moins d’une vingtaine d’indications uniquement dans les champs de la neurologie et de la psychiatrie (tableau 1) et pas moins d’une quarantaine de cibles (figure 1).
Pour la plupart, les nouvelles cibles essayées étaient, dans un passé encore proche (deuxième moitié du XXe siècle), celles utilisées par la chirurgie stéréotaxique lésionnelle, principalement la psychochirurgie, cibles qui sont actuellement remises au goût du jour pour cette technique de SCP, qui a l’avantage d’être réversible en cas d’effet indésirable. Les nouvelles indications quant à elles sont souvent issues de découvertes fortuites lors de SCP de cibles classiques ou nouvelles ; citons comme exemple une SCP de la substance grise péri-aqueductale, effectuée afin de traiter des douleurs neurogènes chroniques, qui a eu un effet direct sur la tension artérielle (TA) que l’on pouvait moduler en peropératoire tant vers le haut que vers le bas.2 Le même groupe a publié deux ans plus tard le cas d’un autre patient pour lequel à un an de la SCP, les TA systolique et diastolique étaient diminuées d’une dizaine de mmHg.3
Le détail exhaustif des cibles et des indications dépasse le but de cet article de synthèse et nous allons nous concentrer sur deux pathologies en voie d’obtenir une indication formelle pour la SCP – le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) et le trouble obsessionnel compulsif (TOC) – ainsi que sur la SCP de la dépression, en raison de son importance en termes de santé publique. Les indications «troubles mnésiques», «anorexie mentale» et «addiction» seront également mentionnées brièvement, de même que la cible «noyau pédonculopontin» (NPP).
Décrit en 1885 à la Salpêtrière par Georges Gilles de la Tourette comme une «affection nerveuse caractérisée par de l’incoordination motrice, accompagnée d’écholalie et de coprolalie», ce syndrome représente l’extrémité la plus sévère d’un spectre dont l’autre extrémité correspond à de banals tics moteurs, tels qu’un froncement des sourcils ou un reniflement. Or, ce syndrome, débutant le plus souvent dans l’enfance (et toujours avant 21 ans) et qui a la particularité d’évoluer par vagues (wax and wane), peut avoir des répercussions dramatiques sur les parcours social et professionnel d’un individu atteint. Sa prévalence est de près de 1%, touchant trois à quatre hommes pour une femme, et il est fréquemment associé à d’autres syndromes comportementaux tels que le TOC (cf. ci-après) et le trouble du déficit de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH). Les tics sont traditionnellement traités par des neuroleptiques, le TOC par des antidépresseurs sérotoninergiques, le TDAH par des psychostimulants et aussi par la psychothérapie. Mais le SGT peut être résistant à ces traitements, nécessitant une prise en charge invasive par SCP. Cette dernière émerge comme bien souvent de la chirurgie lésionnelle stéréotaxique pratiquée depuis les années 1970 dans le thalamus pour soulager le SGT. En 1999, la première SCP pour SGT est publiée dans The Lancet4 et l’on dénombre aujourd’hui presqu’une centaine de cas opérés, dans plusieurs cibles différentes, avec deux cibles nettement majoritaires : le GPi et le thalamus. La réduction des tics est estimée à près de deux tiers, quelle que soit la cible.5 Une étude de 2008,6 randomisée, en double aveugle, avec un suivi de cinq ans, décrit trois patients implantés bilatéralement à la fois dans le GPi antéromédial et dans une sous-région thalamique, avec un schéma de crossover entre les deux cibles ; elle a confirmé un effet bénéfique de chacune des deux cibles (avec le GPi semblant un peu plus efficace), sans bénéfice surajouté de la stimulation conjointe des deux cibles.
Il importe ici de préciser que si le SGT peut être sévère au point de nécessiter une SCP, il peut également disparaître au début de l’adolescence ou à l’âge adulte, d’où la nécessité d’avoir des lignes de conduite claires.7
Le TOC est une maladie caractérisée par la présence d’idées obsédantes (des impulsions, des pensées ou des images intrusives, récurrentes et persistantes) et de comportements compulsifs (des actes mentaux ou des comportements stéréotypés et répétitifs), ceux-ci identifiés comme excessifs et inappropriés par la personne qui essaie de les réprimer mais sans succès. Le TOC a une prévalence de 2-3% avec une distribution bimodale : apparition soit à l’enfance, soit au début de l’âge adulte. Le traitement habituel consiste en la combinaison de pharmacothérapie et psychothérapie, néanmoins quasiment un tiers des patients s’avère résistant et environ 10% demeurent sévèrement handicapés, avec une souffrance pouvant conduire au suicide. Différentes études mettent en évidence des altérations anatomiques et fonctionnelles aux niveaux cortical (cortex orbitofrontal et cingulaire antérieur) et sous-cortical (thalamus et noyau caudé), corrélées avec l’intensité des symptômes. En accord avec cela, différentes cibles ont été utilisées pour la SCP dans le TOC : le bras antérieur de la capsule interne, cible choisie suivant l’expérience thérapeutique des capsulotomies ; la tête du noyau caudé ; le noyau accumbens (ou striatum ventral), suivant un modèle physiopathologique considérant un dysfonctionnement du système de récompense dans le TOC ; le noyau subthalamique, cible choisie après constatation fortuite d’une amélioration des symptômes obsessionnels compulsifs chez deux patients souffrant d’une maladie de Parkinson avec un TOC associé ; et le pédoncule thalamique inférieur, cible pertinente car elle connecte le cortex orbitofrontal et le thalamus.8
Une méta-analyse récente montre des résultats qui sembleraient similaires pour les différentes cibles, avec un taux de réponses objectivé chez plus de la moitié des patients, entraînant une amélioration de près de 50% de l’intensité des symptômes ;9 néanmoins, cette comparaison est limitée car peu d’études respectent les lignes directrices de qualité des essais cliniques randomisés.10
La dépression est une maladie avec une haute prévalence (13%) sur la vie entière, touchant environ 300 millions de personnes dans le monde, avec un grand retentissement fonctionnel. La pharmacothérapie (antidépresseurs, stabilisateurs de l’humeur, neuroleptiques, etc.) et la psychothérapie sont les traitements les plus utilisés, avec l’électroconvulsivothérapie, la stimulation magnétique transcrânienne, la thérapie convulsive magnétique, comme autres alternatives thérapeutiques. Toutefois, entre 10 et 30% des patients présentent une résistance soit partielle, soit totale à ces différents traitements. L’avancée des connaissances scientifiques des réseaux neuronaux impliqués dans l’humeur et dans le système de récompense, notamment la boucle cortico-limbique-thalamo-striatale, permet une nouvelle conceptualisation physiopathologique de la dépression, ouvrant les portes à l’approche thérapeutique par SCP. Jusqu’à présent, différentes cibles ont été essayées : la partie subgénuale du cortex cingulaire antérieur, cible choisie au vu des résultats d’études mettant en évidence une implication de cette région (Cg25) dans la tristesse soudaine, corrélée avec l’amélioration clinique lors d’une diminution de l’activité de cette dernière (n = 28, 60% de répondeurs, 35% de rémissions) ; le bras antérieur de la capsule interne, au vu de l’amélioration de la symptomatologie dépressive chez des patients bénéficiant d’une SCP pour TOC (n = 17, 71% de répondeurs, 40% de rémissions) ; le noyau accumbens, selon un modèle de dysfonctionnement du système de récompense (n = 11, 45% de répondeurs) ; le faisceau médian du télencéphale (MFB), liant d’importantes structures du cerveau fronto-basal au tronc cérébral (n = 7, 86% de répondeurs, 57% de rémissions) ; le pédoncule thalamique inférieur, cible choisie selon l’hypothèse que l’interférence avec ce système de connexion thalamo-orbitofrontal, hyperactif dans la dépression, entraînerait une diminution de l’intensité des symptômes dépressifs (n = 1, rémission) ; l’habenula latérale, structure impliquée dans les processus de récompense et prise de décision émotionnelle, cible utilisée pour la SCP après des études chez l’animal mettant en évidence une diminution des comportements de type dépressif lors des lésions de cette structure (n = 1, rémission).11,12
Devant la prévalence des démences de type Alzheimer (environ 5% au-dessus de 60 ans) et la très faible efficacité de leur traitement médicamenteux, il importe de chercher d’autres solutions. L’utilisation thérapeutique de la SCP pour la démence est venue d’une observation fortuite lors d’une opération de SCP dans l’hypothalamus chez un patient obèse réfractaire afin de tenter de juguler son obésité. Or, cette cible est proche des piliers des fornix (faisceaux composant le circuit mnésique et émotionnel de Papez), et le patient a de façon inattendue décrit des sensations de «déjà vu» et a notamment reconnu sa petite amie de l’époque dans une scène qui lui était familière, scène dont les détails sont devenus plus vivaces avec l’augmentation de l’intensité de la stimulation.13 Cette observation a entraîné une étude de phase 1 de SCP des circuits mnésiques dans la maladie d’Alzheimer,14 étude qui a montré un déclin cognitif moindre en postopératoire qu’en préopératoire chez cinq des six patients étudiés, avec un déclin de 0,8 point au score MMSE (mini-mental state examination) lors des onze mois postopératoires comparé à un déclin de 2,8 points lors des onze mois préopératoires ; en outre, les auteurs ont obtenu un paramètre objectif en montrant sur les PET-scans une augmentation de l’utilisation du glucose cérébral dans différentes régions. Une autre étude de 200915 a étudié la SCP du noyau cholinergique basal de Meynert (NBM), se basant sur une première étude de SCP de ce noyau chez un patient Alzheimer en 1985. Cette fois-ci, il s’agissait d’un patient souffrant de démence parkinsonienne et qui était simultanément implanté dans le NST. Les auteurs ont noté une amélioration reproductible des tests neuropsychologiques lors de la stimulation du NBM, indépendamment de la stimulation du NST ; l’effet bénéfique cognitif était général et non spécifique de la mémoire.
Il s’agit également d’un problème de santé publique important et une étude a tenté d’objectiver l’effet de la SCP sur l’anorexie mentale.16 Les auteurs ont opéré six patients dans une cible habituellement utilisée pour la dépression (cortex cingulaire subcallosal) et ont montré à neuf mois postopération une augmentation de l’index de masse corporelle (IMC) chez la moitié d’entre eux, avec une stabilisation de l’IMC chez l’autre moitié. Les effets indésirables étaient faibles. Un biais de cette étude est que les patients ont amélioré leurs scores aux échelles de dépression, d’anxiété et de TOC. Ainsi, le mécanisme responsable de l’augmentation de l’IMC pourrait être en lien avec l’amélioration par la SCP de la comorbidité anxiodépressive plutôt qu’un effet direct sur le comportement alimentaire.
Malgré les différentes alternatives thérapeutiques à disposition, l’addiction aux substances (alcool, cocaïne, héroïne, etc.) est de nos jours un problème majeur de santé publique. Le parcours de soins de ces patients est souvent caractérisé par la chronicité avec des rechutes itératives, grevées d’autres complications qui se surajoutent comme celles de types sanitaire et judiciaire. Les premiers résultats thérapeutiques de la SCP dans l’addiction sont des résultats fortuits observés chez des patients stimulés dans le noyau accumbens pour traiter d’autres pathologies ; le premier cas était une patiente souffrant d’une dépendance à l’alcool associée à un trouble anxieux sévère qui a présenté une rémission de sa consommation avec abstinence maintenue sans autre traitement. Chez dix fumeurs stimulés dans le noyau accumbens pour une autre indication, on a observé un arrêt de leur consommation chez trois d’entre eux (l’arrêt spontané de l’addiction à la nicotine est d’environ 9%).
L’addiction à l’alcool est la première addiction aux substances à faire l’objet d’études pilotes chez l’humain, ciblant le noyau accumbens, avec une première publication en 2009 (n = 5, trois améliorations significatives, deux rémissions) et un cas rapporté en 2011 (rémission). La SCP pour traiter l’addiction à l’héroïne a été réalisée chez l’humain en 2011 avec stimulation du noyau accumbens (n = 1, rémission) et en 2012 avec stimulation des territoires frontières entre le noyau accumbens et la capsule interne (n = 1, rémission).
Pour les addictions sans substance (c’est-à-dire : jeu pathologique, troubles alimentaires), une vingtaine de patients ont été suivis après stimulation du STN. L’indication principale dans tous ces cas était une maladie de Parkinson. Dans une série de sept patients, les auteurs rapportent une résolution du comportement de jeu pathologique dans tous les cas, mais une autre série de dix-neuf patients, incluant aussi des cas de dysrégulation dopaminergique, observait des résultats divergeants sans conclusion ferme.
De manière similaire à d’autres pathologies, la discussion de la cible la plus adéquate à utiliser dans l’addiction aux substances est aussi objet de débat. Le noyau accumbens prend son sens basé sur un dysfonctionnement du système de récompense dans le modèle animal ; il reste des questions quant à la sélectivité de l’effet sur les symptômes de l’addiction. Le NST comme cible dans l’addiction se justifie par une diminution de la motivation pour l’auto-administration, notamment de la cocaïne.
Mentionnons en commentaire final que l’utilisation de la SCP pour l’addiction aux substances demeure pour l’instant principalement l’objet de recherches chez l’animal, avec peu d’études chez l’humain, ne permettant pas à l’heure actuelle de conclusions significatives sur l’efficacité de la SCP comme alternative thérapeutique.17–19
Les troubles de la marche et les chutes dans la maladie de Parkinson sont une importante cause de mortalité et de morbidité et sont souvent réfractaires aux traitements actuels tant médicamenteux que chirurgicaux. Or, la région locomotrice mésencéphalique, comprenant le NPP qui a des connexions directes avec les ganglions de la base, joue un rôle-clé dans le contrôle de la posture et de la marche ; en effet, la perte de neurones cholinergiques dans le NPP est plus grande chez les patients MP qui chutent que chez ceux qui ne chutent pas. Cette région a donc été stimulée pour tenter de résoudre ces problèmes, avec plus d’une quinzaine d’études disponibles. Les écueils sont que cette région est petite, difficile à cibler et hétérogène tant dans sa biochimie (régions cholinergiques et non cholinergiques) que dans ses fonctions (contrôle de la posture, du sommeil REM (rapid eyes movements), de l’éveil, etc.). Ceci explique peut-être l’hétérogénéité des résultats qui sont parfois très satisfaisants, parfois neutres ou encore aggravant les troubles de la marche, avec un bénéfice moteur chez la moitié des patients. Les résultats dépendent en outre des paramètres de stimulation pour lesquels l’optimum n’a pas encore pu être trouvé ; il semble cependant que la fréquence de stimulation devrait être moindre lors de la SCP du NPP que d’une cible classique comme le NST (respectivement 25 versus 130 Hz).20 La présence d’une SCP préalable d’une cible classique comme le NST ou le GPi influencerait aussi les résultats obtenus par la SCP du NPP. L’opération semble bien tolérée sur le plan cognitif.21
Le message principal de cet article est de montrer que l’on est à l’aube d’une explosion du nombre de cibles et d’indications de la SCP avec certainement de futurs succès dans quelques domaines, mais aussi un risque de glissement vers des indications éthiquement douteuses, ce qui n’est pas sans rappeler les dérives de la psychochirurgie lésionnelle lors de ses débuts à la fin du XIXe et début du XXe siècles. Ainsi, importe-t-il de continuer à élargir le champ de la SCP mais en respectant un cadre strict de recherche scientifique soumise au contrôle éthique.
> Les patients pour lesquels une stimulation cérébrale profonde est envisagée, et ce quelle que soit la pathologie à traiter, doivent tous être évalués de façon multidisciplinaire (comprenant au moins un neurologue, un psychiatre, un neuropsychologue, un neuroradiologue et un neurochirurgien) par des équipes spécialisées ; il importe donc de les référer aux centres compétents en la matière
Grâce aux progrès des neurosciences qui ont permis d’identifier des dysfonctionnements dans les réseaux neuronaux à l’origine de nombreuses maladies psychiatriques et neurologiques, et grâce à l’avènement de la stimulation cérébrale profonde (SCP) – dont le mécanisme d’action précis n’est pas encore connu mais qui agit en influençant ces réseaux par la stimulation d’une petite zone cérébrale profonde jouant le rôle de «nœud ferroviaire» – une foule de nouvelles indications est en train d’émerger, principalement dans le champ de la psychiatrie. S’il est trop tôt pour se prononcer quant à l’efficacité de la SCP pour ces nombreuses indications, il est intéressant de prendre la mesure de l’explosion de leur nombre tout en gardant à l’esprit les principes éthiques indispensables à une recherche médicale de qualité.