Récemment couronnée par le prestigieux prix Lasker, la stimulation cérébrale profonde (SCP) à haute fréquence a été utilisée pour la première fois par l’équipe de Grenoble en 1987 pour le tremblement et en 1993 pour la maladie de Parkinson. On estime à l’heure actuelle que plus de 100 000 patients ont été opérés dans le monde. Bien que son mécanisme soit encore imparfaitement élucidé, la SCP inhiberait ou modulerait l’expression des anomalies de fonctionnement de réseaux neuronaux impliqués dans un ou des symptômes donnés. Le nombre de troubles neuropsychiatriques sévères, potentiellement améliorables par la SCP, est appelé à augmenter. De nombreuses améliorations technologiques de la procédure sont en développement dans le but d’optimiser les résultats thérapeutiques.
Depuis la découverte de l’électricité au XVIIIe siècle, le vivant a été associé à des phénomènes électriques. Dès 1855, il était possible de stimuler des nerfs périphériques et d’entraîner ainsi une contraction musculaire. Le premier stimulateur électrique cardiaque fut implanté en 1958 et à la même époque de nombreuses expériences ont montré qu’une stimulation cérébrale focale pouvait changer le fonctionnement du système nerveux. Depuis le début de la neurochirurgie fonctionnelle stéréotaxique dans les années 60, la stimulation électrique était utilisée chez un patient sous anesthésie locale afin de rechercher un effet indésirable, la thermolésion n’étant alors effectuée qu’en son absence. La stimulation électrique, effectuée à diverses fréquences mais le plus souvent à 50 Hz, pouvait modifier le tremblement d’un patient éveillé, soit l’aggraver, soit l’améliorer.
C’est en 1987 que Benabid et coll. ont montré que seule une fréquence de stimulation du thalamus supérieure à 100 Hz, dite à haute fréquence, permettait de supprimer le tremblement, mimant ainsi l’effet d’une lésion dans le même site, mais avec l’avantage crucial de la réversibilité et de l’adaptabilité des paramètres électriques. Une thérapeutique lésionnelle était remplacée par une fonctionnelle, la SCP. L’avantage initial était l’amélioration de la morbidité des traitements lésionnels. Hormis le risque lié à l’implantation intracérébrale d’une électrode, il n’y avait plus de risque d’effet indésirable permanent. La première indication de la SCP a été la possibilité d’opérer bilatéralement le thalamus, ce qui était impossible auparavant à cause d’un risque majeur de dysarthrie, instabilité ou trouble cognitif entraîné par la double lésion.1 Dans le noyau Vim du thalamus, cible du traitement chirurgical des tremblements, une courbe effet-fréquence a pu être établie et a montré qu’avec une fréquence de stimulation inférieure à 50 Hz, il n’y avait pas d’effet bénéfique. Celui-ci était clair au-delà de 80 Hz, et plafonnait vers 130-185 Hz,2 limite supérieure des neurostimulateurs disponibles à l’époque et déjà utilisés dans le traitement des douleurs. En revanche, la largeur d’impulsion avait beaucoup moins d’effets, d’où la recommandation d’utiliser la largeur la plus étroite possible, à savoir 60 µs. Cette efficacité avec une telle largeur d’impulsion indique que les fibres nerveuses sont stimulées de préférence aux corps cellulaires. L’intensité électrique, délivrée en volts, doit être d’intensité suffisante, de l’ordre de 2 à 3 volts (c’est-à-dire 2 à 3 mA pour une impédance d’environ 1000 Ω) pour stimuler un volume tissulaire suffisant à provoquer l’effet clinique. Cela signifie une diffusion de l’ordre de 2 à 3 mm radialement au contact de stimulation. En utilisant des électrodes multicontacts dont le milieu de chaque contact est séparé de 2 mm des contacts adjacents, l’effet clinique est différent selon chaque contact, ce qui signifie que la précision du ciblage neurochirurgical doit être millimétrique.
Les premières indications de la SCP ont donc été le traitement chirurgical des tremblements résistant aux autres traitements. La SCP a concerné le noyau Vim du thalamus utilisé jusqu’alors pour effectuer des lésions. Avec les progrès des neurosciences à la fin des années 80, on propose que l’absence de dopamine nigro-striatale, marque de la maladie de Parkinson, entraînait une hyperactivité des structures de sortie des ganglions de la base, à savoir le pallidum interne (GPi) et surtout le noyau subthalamique (NST). Ainsi germe l’idée de réaliser une lésion ou une stimulation cérébrale à haute fréquence de ces structures pour améliorer la triade parkinsonienne, à savoir l’akinésie, la rigidité et aussi le tremblement. En 1990, Bergman et coll. ont aboli le syndrome parkinsonien de singes rendus parkinsoniens,3 et en 1992, Benazzouz et coll. ont reproduit ce bénéfice en appliquant une stimulation électrique à haute fréquence.4 La porte était alors ouverte pour proposer la SCP du NST ou du GPi dans la maladie de Parkinson. Cela a été effectué par l’équipe grenobloise en 1993. Les publications de 1995 et surtout 19985 ont initié une profusion de travaux sur la SCP dans le monde entier. Le célèbre prix Lasker a été décerné en 2014 pour la découverte de la SCP du NST.
Que sait-on aujourd’hui du mécanisme d’action de la SCP ? Le mécanisme est certainement complexe, et la stimulation à haute fréquence n’est pas simplement une inhibition locale, comme l’aurait laissé penser son mimétisme d’effet avec une lésion. De nombreuses études in vitro et in vivo, chez l’animal et chez le patient opéré, montrent qu’il existe à la fois des phénomènes d’activation et d’inhibition, et que l’effet se manifeste de façon prépondérante sur les fibres situées dans le volume de stimulation, essentiellement les fibres afférentes6 mais aussi efférentes à la structure ou des fibres de passage. La stimulation à haute fréquence brouillerait l’activité anormale des réseaux neuronaux passant dans le volume de stimulation, et empêcherait ainsi la transmission d’un message pathologique aux structures connectées dans ces réseaux. L’inhibition locale parfois enregistrée serait liée à l’activation de fibres inhibitrices gabaergiques. Surtout, le mécanisme d’action diffère selon la structure stimulée. Si l’effet global ressemble à une inhibition lorsqu’elle est appliquée aux noyaux gris, une stimulation au contact de faisceaux ou dans de la substance réticulée est clairement activatrice. On en veut pour preuve les contractions musculaires déclenchées par la SCP de la voie pyramidale, de type myoclonique à fréquence synchrone de celles de la stimulation lorsqu’elle est basse, < 10 Hz et de type spasme tonique à fréquence élevée.7 De plus, la SCP active de larges réseaux neuronaux, comme on peut le montrer avec des imageries fonctionnelles ou des moyens neurophysiologiques. C’est l’intérêt de la SCP de structures profondes, qui modulent de vastes boucles projetant sur de nombreuses aires corticales. Par exemple, la SCP d’un petit noyau comme le NST, dont le volume chez l’homme est estimé à environ 200 mm3, active de nombreuses aires corticales impliquées dans des fonctions motrices, cognitives et émotionnelles.8
Pour qu’une nouvelle thérapeutique soit approuvée par les autorités de santé, il faut au moins une dizaine d’années de recherche clinique. A ce jour, plus de 100 000 opérations de SCP ont été effectuées au monde, principalement dans les trois indications universellement approuvées, les tremblements, la maladie de Parkinson et la dystonie. Ces indications sont celles reconnues en Suisse et, au niveau romand, les opérations sont pratiquées à Genève et à Lausanne, ces deux centres universitaires œuvrant au sein d’un pôle commun. En dehors de ces maladies du mouvement, la SCP est aussi reconnue dans le traitement de rares cas d’épilepsie grave qui ne pourraient bénéficier de cortectomies neurochirurgicales classiques. Enfin, certains pays comme les Pays-Bas ont récemment validé la SCP pour le trouble obsessif compulsif. Dans toutes les indications, les patients doivent répondre à des critères stricts d’opérabilité,9 appliqués avec rigueur et un sens permanent de l’éthique par les deux centres romands de SCP.
Depuis les débuts de la SCP, on avait espéré assister à une progressive simplification de la procédure neurochirurgicale. Mais celle-ci demeure sophistiquée et complexe malgré les progrès de la robotique et de l’imagerie. Positionner une électrode au millimètre près dans un cerveau mou baignant dans du liquide sera toujours grevé d’erreurs mécaniques. C’est pourquoi, la majorité des équipes préfèrent encore opérer les patients sous anesthésie locale afin d’effectuer des enregistrements électrophysiologiques des structures neuronales visées et évaluer les effets aigus de la stimulation. Néanmoins, il n’a pas encore été démontré que l’utilisation de micro-enregistrements améliore les résultats finaux. Le bon sens voudrait que ce soit le cas, parce que de tels enregistrements confirment pendant l’opération le bon positionnement de l’électrode, corroboré par l’obtention par stimulation d’effets favorables antiparkinsoniens. De plus, on peut évaluer la fenêtre thérapeutique, c’est-à-dire la survenue d’effets indésirables à des intensités électriques bien supérieures à celles qui sont bénéfiques. L’équipe de Londres a rapporté des résultats similaires à ceux des équipes utilisant des moyens électrophysiologiques, alors que l’implantation des électrodes a été réalisée sous anesthésie générale avec contrôle du bon positionnement par IRM peropératoire.10 Une telle intervention est plus rapide et plus confortable pour le patient. L’absence d’utilisation de micro-électrodes devrait diminuer le risque de saignement. Seule une étude randomisée, utilisant différentes procédures neurochirurgicales, permettra de savoir quelle est la meilleure technique à utiliser. Il faut garder à l’esprit l’amélioration constante des outils permettant au neurochirurgien de perfectionner son ciblage : meilleure visualisation préopératoire de la cible grâce à l’amélioration de l’IRM, avec séquences spécifiques pour chaque structure, possibilité de traçage de voies neuronales, utilisation de plus hauts champs magnétiques, robotique pour l’aide au ciblage, installation d’un imageur dans la salle d’opération. Il est probable qu’à l’avenir la procédure neurochirurgicale soit adaptée au cas par cas.
Le développement de nouvelles électrodes directionnelles permettra de sculpter le volume à stimuler autour de l’électrode (figure 1). On pouvait jusqu’à présent moduler le site de stimulation seulement dans l’axe d’implantation de l’électrode par l’utilisation d’électrodes multicontacts (4 ou 8). On pourra à l’avenir diriger le courant électrique circonférentiellement à l’électrode, permettant ainsi de mieux cibler la structure dont la stimulation entraîne des effets favorables en évitant celles dont la stimulation provoque des effets indésirables.11,12 Les neurostimulateurs seront de tailles plus réduites et délivreront une plus grande énergie électrique. Il existe déjà des systèmes rechargeables très aisés d’utilisation, dont la durée de vie est estimée à 25 ans.
Un autre progrès à l’avenir sera l’utilisation de la stimulation non plus de façon continue, mais à la demande. Reste à déterminer les marqueurs permettant de savoir quand déclencher la stimulation et d’automatiser le processus. Cela exigera l’utilisation de capteurs enregistreurs du biomarqueur choisi, pourquoi pas dans l’électrode de stimulation elle-même qui servirait ainsi à la fois à l’enregistrement et à la stimulation. Rosin et coll. ont montré chez le singe parkinsonien qu’une stimulation discontinue du GPi en boucle fermée donnait de meilleurs résultats qu’une stimulation continue.13 Chez l’homme, une étude a déjà été menée avec succès mais en aigu avec une électrode de stimulation du NST qui enregistrait les potentiels de champs locaux dont la puissance dans le spectre β mettait en marche la stimulation au-dessus d’un certain seuil adapté à l’apparition du syndrome akinétorigide.14 On peut aussi envisager d’appliquer la SCP de façon plus spécifique en utilisant les données de l’optogénétique (voir article sur ce sujet dans ce même numéro), ce que vient de réaliser à Genève l’équipe de Christian Lüscher.15
La SCP a encore de beaux et longs jours devant elle, d’autant qu’elle n’entrave pas la possibilité future de traitement par transplantation cellulaire. Avec les progrès des neurosciences, notamment dans la compréhension des maladies mentales, on peut envisager de neuromoduler un réseau neuronal dont le dysfonctionnement est associé à un symptôme sévère et par ailleurs incurable. Il a déjà été proposé dans la littérature un total de 27 indications dans 41 cibles différentes. C’est pourquoi, une surveillance éthique est capitale afin de poursuivre l’utilisation de la SCP de façon mesurée et bénéfique à la qualité de vie des patients.
Le Pr Pierre Pollak a reçu des remboursements de voyage et des honoraires d’orateur de Medtronic et Boston Scientific, et des honoraires de consultant d’Aleva. Les autres auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> La stimulation cérébrale profonde (SCP), mise au point il y a plus de 25 ans, est utilisée avec succès dans le tremblement, la maladie de Parkinson et la dystonie
> Son potentiel à moduler n’importe quel circuit neuronal pourrait entraîner la SCP à être utilisée dans de nombreuses autres indications neurologiques et psychiatriques
> La technique de la SCP connaît actuellement des développements technologiques qui devraient permettre d’améliorer sa tolérabilité, sa précision et son efficacité
Récemment couronnée par le prestigieux prix Lasker, la stimulation cérébrale profonde (SCP) à haute fréquence a été utilisée pour la première fois par l’équipe de Grenoble en 1987 pour le tremblement et en 1993 pour la maladie de Parkinson. On estime à l’heure actuelle que plus de 100 000 patients ont été opérés dans le monde. Bien que son mécanisme soit encore imparfaitement élucidé, la SCP inhiberait ou modulerait l’expression des anomalies de fonctionnement de réseaux neuronaux impliqués dans un ou des symptômes donnés. Le nombre de troubles neuropsychiatriques sévères, potentiellement améliorables par la SCP, est appelé à augmenter. De nombreuses améliorations technologiques de la procédure sont en développement dans le but d’optimiser les résultats thérapeutiques.