Hier encore, il s’agissait de savoir si le médecin «disait la vérité». Aujourd’hui, il s’agit de savoir s’il «cache la vérité». C’est nouveau, et cela n’est en rien équivalent. Dans la progression de la formulation il y a, résumée, une partie de ce qui nous tracasse : la défiance progressive vis-à-vis de celui à qui l’on s’adresse pour qu’il nous dispense des soins ; l’inquiétude vis-à-vis de celui à qui l’on se dévoile (pour partie), de celui à qui l’on confie des fragments de son corps et de sa vie. Postuler que le médecin cacherait une vérité concernant son patient n’est en rien rassurant. Ni pour le premier, et sans doute encore moins pour le second. Dans les deux cas, c’est une ombre sur leur relation.
«Votre médecin vous cache-t-il la vérité ?». C’était, il y a quelques jours, la manchette du Parisien/Aujourd’hui en France. Ce quotidien avait fait alliance d’un jour avec le site Medscape France. Plus de quatre mille médecins de quarante-deux pays d’Europe et des Etats-Unis ont répondu à ce sondage. Ils expriment leur point de vue sur diverses situations en lien avec l’éthique médicale. Diverses comparaisons sont proposées. Ce travail est présenté sous la forme d’un diaporama qui se focalise sur les réponses des médecins français.1
«Tout au long de leur carrière, les médecins sont amenés à prendre des décisions parfois difficiles, rappelle-t-on. Quelle attitude adopter face au patient en fin de vie ? Faut-il céder aux exigences des proches ? Doit-on révéler toutes les erreurs médicales, même les plus bénignes ? Peut-on rompre le secret médical pour protéger autrui ?» Quelques extraits de ce travail.
«La majorité des médecins français (43%) estime qu’il vaut mieux dissimuler une erreur si elle n’est pas préjudiciable. Un avis plus souvent partagé par les praticiens hommes que par les femmes. Pour les autres pays européens, les médecins qui se positionnent ainsi représentent en moyenne 37% des répondants, tandis qu’aux Etats-Unis, où la crainte des poursuites judiciaires pousse davantage à la transparence, ils sont seulement 19%. Si certains médecins français ne voient “aucun intérêt médical pour le patient à l’informer d’une erreur” sans conséquence, d’autres mettent surtout en avant le risque d’altérer une précieuse relation de confiance. Le “risque de voir le patient arrêter son traitement” est aussi évoqué.»
«Dans l’ensemble, les médecins sont peu enclins à prescrire un traitement sans effet dans le seul but de rassurer le patient. Mais, l’analyse des réponses montre que les médecins généralistes se montrent plus souples envers cette pratique. La plupart des médecins favorables (30%) évoquent, dans leurs commentaires, les bénéfices de l’effet placebo. “Il suffit que le patient soit persuadé du bénéfice du traitement pour que je le prescrive”, indique l’un d’entre eux. Certains évoquent aussi la crainte de voir leur patient partir consulter un autre médecin. Une majorité de médecins français (46%) y sont toutefois opposés, surtout des spécialistes.»
«S’abstenir d’annoncer un diagnostic grave en situation de fin de vie pour conserver la motivation du patient est une attitude qu’une majorité de médecins français (44%) semblent disposés à adopter, en particulier les plus de 40 ans. Un taux qui se situe dans la moyenne européenne, alors qu’aux Etats-Unis, seuls 21% des médecins adopteraient cette attitude. Pour autant, le respect de la volonté du patient apparaît comme essentiel. Plusieurs médecins prêts à restreindre l’information, mais aussi ceux qui prônent à l’inverse la transparence, insistent sur la nécessité de connaître les attentes du patient envers l’équipe médicale.»
Selon ceux qui privilégient l’honnêteté, il reste fondamental de faire preuve d’empathie et d’adapter son discours au moment de l’annonce. Pour les 32% de médecins français qui préfèrent être sincères en toutes circonstances, c’est non seulement «une question de responsabilité», mais aussi un moyen de «préserver la confiance du patient».
Commenter ? Invoquer, là encore, une «exception française». Certains font référence à la loi «relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé» promulguée en 2002 (dite aussi «loi Kouchner» du nom du ministre de la Santé de l’époque). On avance souvent que cette loi «impose la transparence aux malades». En réalité, elle instaure un «droit aux patients d’accéder directement (sans passer par un médecin) et de disposer de la totalité de leur dossier médical». Ce qui, comme chaque médecin le sait, est assez éloigné de la transparence absolue.
Serait-ce si simple ? «Le médecin ne doit pas être le messager du désespoir», a expliqué au Parisien/Aujourd’hui en France le Dr Anne-Marie Merle-Béral, psychiatre, psychanalyste, ancien membre titulaire formateur de la Société psychanalytique de Paris et de l’Institut psychosomatique de Paris.
Pourquoi cet écart entre la France et les Etats-Unis (où seuls 10% des médecins cacheraient une partie de la vérité à leurs patients) ? Cet écart ne surprend pas Sylvie Fainzang, anthropologue des pratiques médicales. Selon elle, les raisons en sont assez simples : protestante, la culture américaine réprouve le mensonge (et les praticiens redoutent plus que tout les conséquences financières des poursuites en justice).
Scandale d’un manquement à la transparence et à la vérité, ou illusion d’une transparence fantasmée ? Scandale à bon marché reposant sur la régression d’une relation médecin-patient qui deviendrait équivalente à la stricte relation marchande ? Naïveté tragique dans l’espérance d’une totale transparence ? Ou dans la croyance que tout ira mieux (pour le patient) quand tout lui sera dit (par le médecin) ? Sur le refus de comprendre que le pouvoir médical non partagé peut aider ? Et que l’efficacité thérapeutique emprunte, aussi, parfois, aux plis du silence ? Et que la guérison peut dépasser les seules paroles de la rencontre ? Le confessionnal semi-vertical, le divan horizontal ont quelquefois des vertus que la raison ignore.
Terminons par deux «question-réponse».
«Seul un médecin français sur quatre (28%) signalerait un confrère qui ne serait plus en état d’exercer. Sur ce point, la France se démarque du reste de l’Europe. En moyenne, la majorité (46%) des médecins des autres pays européens donneraient systématiquement l’alerte. Encore plus aux Etats-Unis (77%). Dans leurs commentaires, la plupart des médecins français font valoir la solidarité entre confrères. “Venir en aide au médecin”, “essayer de convaincre”, accorder du temps à la discussion sont des actions présentées comme prioritaires avant d’envisager un signalement. Tout dépend également du risque encouru par les patients. Ce qui nécessite de prendre le temps d’évaluer la situation avant toute décision, soulignent certains.»
«La majorité des médecins français (52%) estiment qu’ils devraient faire l’objet de contrôles aléatoires sur leur consommation d’alcool ou de drogue. Un avis beaucoup moins partagé par leurs homologues allemands (35%) et américains (39%), mais proche de la moyenne du reste des pays européens (56%). “Prescrire sous l’emprise d’un état alcoolique est aussi dangereux que de conduire dans le même état”, commente l’un des médecins favorables à cette idée. Une telle mesure reste toutefois difficilement imaginable en pratique, notent certains, qui préfèrent des contrôles ciblés en cas de suspicion.
Pour un médecin français sur trois (35%), ce genre de contrôle inopiné reste inconcevable. “A chacun de prendre ses responsabilités” pour éviter une mesure “humiliante”, perçue par certains comme une “atteinte aux libertés”.» Là encore, est-ce si simple ?