Ces dernières années, l’oncologie est marquée par l’arrivée d’un nombre considérable de nouvelles molécules anticancéreuses. Néanmoins, en cas de récidive ou de diagnostic à un stade avancé, la guérison reste l’exception. Différentes stratégies sont donc testées pour mieux contrôler la maladie avec comme objectifs une prolongation de la survie globale (SG) et/ou une amélioration de la qualité de vie.
En situation métastatique, le nombre de cycles de chimiothérapie que le patient reçoit est le plus souvent limité par la toxicité cumulative des produits anticancéreux. Cet arrêt des thérapeutiques est-il en partie responsable des rechutes ? Si oui, faut-il donc poursuivre le traitement avec des schémas plus «légers», permettant de retarder la rechute ou l’apparition de symptômes liés à la maladie ? En d’autres termes, le traitement dit d’induction doit-il être suivi par une chimiothérapie moins agressive dite de maintenance ? Les objectifs de cet article sont de présenter les concepts de cette stratégie, d’en discuter le potentiel et d’en montrer les limites au travers de cas cliniques rencontrés dans la pratique d’une médecine générale.
Un patient, âgé de 68 ans, vient à votre consultation car il en a assez de son traitement oncologique. Après quatre cycles hebdomadaires de rituximab, une maintenance est introduite pour un lymphome folliculaire de stade III avec une faible charge tumorale. Le patient était initialement symptomatique sous forme d’une adénopathie sous-mandibulaire douloureuse. Il est actuellement en rémission clinique et radiologique complète. Il a lu sur internet et aimerait connaître votre avis par rapport à son traitement de maintenance par rituximab.
Un de vos patients vient de terminer une chimiothérapie d’induction par pémétrexed et cisplatine pour un adénocarcinome pulmonaire multimétastatique. Le bilan radiologique montre une réponse partielle. Il aimerait partir faire un tour du monde une dernière fois et hésite à accepter la proposition de l’oncologue d’un traitement de maintenance par pémétrexed toutes les trois semaines. Le patient vous demande si ce traitement «vaut vraiment la peine»…
Plusieurs approches peuvent être mises en œuvre lors de la prise en charge d’un cancer non guérissable. La plus commune, nommée stop and go, consiste en l’administration d’un nombre fixe de cycles de chimiothérapie (chimiothérapie d’induction) ayant pour objectif la réduction maximale de la charge tumorale. La phase d’induction est suivie d’une phase d’observation jusqu’à la détection d’une progression. Une deuxième ligne est alors débutée. Cette approche est le plus souvent dictée par la toxicité cumulative de la chimiothérapie qui ne permet pas son utilisation de façon continue et indéfinie.1
Une autre approche, la stratégie de maintenance, consiste à introduire ou poursuivre un traitement continu après une chimiothérapie d’induction, sur une durée déterminée ou jusqu’à progression. Cette thérapie a pour objectif de conserver le bénéfice obtenu par la chimiothérapie d’induction le plus longtemps possible. La stratégie de maintenance se base sur l’hypothèse que la poursuite d’un traitement permet de ralentir la progression tumorale et que cet effet est associé à une meilleure survie. Autrement dit, après une chimiothérapie d’induction qui a pour but de diminuer la charge tumorale, le traitement de maintenance a pour objectif de prolonger le contrôle de la maladie et d’augmenter la survie (figure1).1,2 De plus, en ralentissant la progression et l’apparition de symptômes associés, on peut espérer prolonger un état favorable de qualité de vie.
Deux modalités de maintenance sont décrites : l’une dite de continuation, consistant à poursuivre l’une des composantes du traitement d’induction, l’autre nommée switch-maintenance correspondant à l’introduction immédiate d’un agent thérapeutique différent de ceux contenus dans la chimiothérapie d’induction.
La maintenance de continuation présente des avantages. Premièrement, la tolérance et l’efficacité de l’agent thérapeutique utilisé sont connues car elles sont testées in vivo lors de la chimiothérapie d’induction. Deuxièmement, l’utilisation du médicament jusqu’à progression permet de s’assurer que le bénéfice thérapeutique est épuisé avant l’introduction d’une nouvelle ligne de traitement.3 Quant à la switch-maintenance, elle peut être considérée comme une deuxième ligne de traitement introduite de façon précoce. Cette introduction précoce évite théoriquement qu’un certain nombre de patients répondant à la chimiothérapie d’induction mais progressant rapidement après avec une détérioration de l’état général ne puisse bénéficier d’un traitement de deuxième ligne.2,4
Du point de vue des inconvénients, les deux modalités de maintenance présentent le même profil. Le patient est exposé à de potentiels effets secondaires sur une longue période pouvant mener à un épuisement physique et psychique. De plus, ces approches présentent un coût financier important au vu du prix des médicaments et de leur utilisation qui peut se poursuivre sur de longues durées.
De façon pragmatique, une maintenance de continuation semble appropriée lors d’une réponse partielle ou complète à la chimiothérapie d’induction. Il s’agit alors de poursuivre aussi longtemps que possible un médicament se montrant efficace. A contrario, une switch-maintenance est à privilégier chez les patients qui présentent une charge tumorale importante malgré la chimiothérapie d’induction et pour lesquels une progression risque d’être associée à une morbidité ou une mortalité importante.
L’application d’une stratégie de maintenance se base sur des travaux étudiant le développement et le comportement des tumeurs solides. L’hypothèse de Norton-Simon stipule que le taux de mortalité des cellules cancéreuses est proportionnel à leur vitesse de croissance au moment du traitement. Les tumeurs solides comportent des cellules à division rapide, sensibles aux traitements, et d’autres à division lente, plus résistantes. Ainsi, une efficacité antitumorale maximale est attendue avec un traitement séquentiel, sans résistance croisée, comme lors d’une switch-maintenance.5 Dans le même sens, selon Goldie et Coldman, plus le nombre de cellules tumorales augmente, plus la probabilité d’apparition de clones résistant à une molécule de chimiothérapie est importante. L’utilisation précoce de thérapies dans une phase de charge tumorale réduite, comme adoptée lors d’une maintenance, serait donc associée avec une meilleure efficacité antitumorale tout en diminuant le risque de résistances.6,7
Bien que le concept et le rationnel biologique des thérapies de maintenance soient intéressants, la question primordiale est de savoir si elles permettent un bénéfice sur une issue clinique pertinente telle que la SG et/ou la qualité de vie. Fréquemment, les essais randomisés et contrôlés comparant un groupe traité par une thérapie de maintenance (groupe expérimental) et un groupe sans traitement de maintenance (groupe contrôle) montrent une augmentation de la survie sans progression (SSP) dans le groupe expérimental sans néanmoins objectiver de bénéfice de survie.8
Un essai évaluant une stratégie de maintenance a déterminé si la poursuite d’un traitement après la chimiothérapie d’induction était associée à une meilleure survie que la reprise du traitement à la progression. L’étude RESORT illustre qu’un gain de SSP ne se traduit pas toujours par une amélioration de la SG. Cet essai a comparé une stratégie de maintenance de continuation à une approche de type stop and go chez des patients atteints d’un lymphome folliculaire avec une faible charge tumorale. Après un traitement d’induction identique, les patients répondeurs ont été randomisés soit dans un bras maintenance par rituximab, soit dans un bras traité par quatre cycles de rituximab lors de chaque progression (figure 2). Bien que la SSP soit plus longue dans le bras maintenance, que le rituximab soit utilisé en maintenance ou lors de chaque progression, le temps avant l’introduction d’un traitement de deuxième ligne et la SG étaient identiques. Le groupe maintenance a reçu presque cinq fois plus de rituximab, sans bénéfice clinique.9 Cet exemple montre qu’une amélioration de la SSP seule n’est pas toujours associée à un intérêt pour le patient. Cependant, dans certaines maladies agressives ou celles nécessitant des traitements associés à une importante toxicité, un gain de SSP peut représenter une amélioration de la qualité de vie par la prolongation d’un meilleur état de santé.
Comme déjà mentionné, lors de l’évaluation d’une approche de maintenance, on souhaite mettre en évidence à quel moment l’administration d’une thérapie est la plus efficace. Il est donc primordial que les deux bras d’une étude randomisée soient traités par la même thérapie. Dans le cas contraire, l’attribution d’un bénéfice à la stratégie de maintenance plutôt qu’au choix de molécule n’est pas possible. L’étude PARAMOUNT, par exemple, a évalué une maintenance de continuation chez des patients atteints d’un cancer non épidermoïde du poumon. Ceux présentant une réponse à une chimiothérapie d’induction par cisplatine-pémétrexed ont été randomisés dans un bras maintenance par pémétrexed, soit placebo. Le traitement de maintenance a été associé à une amélioration de la SG de trois mois. Cependant, seuls 4% des patients du groupe sans maintenance ont bénéficié de la réintroduction du pémétrexed à la progression alors même que ce traitement fait partie de la chimiothérapie d’induction permettant d’obtenir une réponse partielle ou complète chez 40% des patients.10 Cet essai ne permet donc pas de conclure à une claire supériorité de la stratégie de maintenance par rapport à une stratégie de type stop and go avec la réintroduction du pémétrexed lors de la progression.
Un autre point important dans la lecture d’études de maintenance est de vérifier que les traitements ultérieurs ont été identiques dans les deux groupes (figure 3). Une analyse critique des essais évaluant une stratégie de maintenance dans le cancer du poumon a noté qu’un grand nombre de patients dans les bras contrôles n’a pas bénéficié d’un traitement de deuxième ligne.11 Les auteurs évoquent que la différence observée dans certaines études entre les deux groupes pourrait être expliquée par un traitement sous-optimal du bras contrôle et non pas à un gain dans le bras maintenance.
La stratégie de maintenance représente une option thérapeutique intéressante pour les patients atteints d’une pathologie néoplasique non guérissable. Elle se base sur le postulat que la poursuite d’un traitement peut maintenir la maladie en dessous du niveau où elle provoque des symptômes ou même être associée à un bénéfice de survie. Cependant, en raison de l’impact sur la qualité de vie avec la possibilité d’effets secondaires sur de longues périodes, de la suppression d’une période libre de traitement, du bénéfice limité dans certaines maladies et des coûts économiques, il semble essentiel de poser l’indication à un traitement de maintenance sur des évidences solides et de façon individualisée. Cette décision doit reposer sur la réponse et la toxicité à la chimiothérapie d’induction, sur la charge et la cinétique tumorale ainsi que sur les priorités du patient. L’avènement de nouvelles thérapies et les études à venir devraient permettre de mieux sélectionner pour chaque pathologie les sous-groupes de patients pouvant réellement bénéficier d’une stratégie de maintenance.
> Une maintenance est indiquée pour prolonger la réponse à un traitement initial si elle augmente la survie globale ou améliore la qualité de vie
> La maintenance stabilise mais ne guérit pas une maladie
> Un traitement de maintenance doit être évalué pour chaque patient de manière individuelle et réévalué selon la tolérance et la réponse