En Suisse, on compte plus de 5200 nouveaux diagnostics de cancer du sein par année dont le pic d’incidence survient à la ménopause. La prévalence des survivantes est estimée pour 2015 à environ 32 000 patientes, dont 60% sont à plus de dix ans de leur diagnostic.1 75% des cancers du sein expriment des récepteurs aux œstrogènes et/ou à la progestérone. Le traitement de choix est alors l’hormonothérapie. En situation adjuvante, elle permet d’éviter entre un tiers et un quart des récidives et des décès.2,3 Elle est indiquée aussi en prévention (risque familial), et en situation métastatique, avec un taux de réponses entre 30 et 75%. L’hormonothérapie n’est pas dénuée d’effets indésirables qui, souvent mal vécus par les patientes, créent un climat propice à une mauvaise adhérence thérapeutique, voire un arrêt du traitement avec une répercussion négative sur le pronostic de la maladie. Dans cet article, nous discuterons dans un premier temps des indications et des dernières avancées dans le domaine de l’hormonothérapie. Puis nous parlerons de la gestion des symptômes de la ménopause chez les patientes sous traitement antihormonal.
Il existe plusieurs types de traitement antihormonal (tableau 1) :
Le tamoxifène est un modulateur sélectif des récepteurs aux œstrogènes (SERM, Selective estrogen receptor modulators). Il est métabolisé par les cytochromes hépatiques en endoxifène antagoniste compétitif des récepteurs.
La famille des inhibiteurs de l’aromatase (IA), qui comprennent les inhibiteurs non stéroïdiens réversibles (létrozole, anastrozole) et un inhibiteur stéroïdien irréversible (exémestane), agit en inhibant la transformation des androgènes surrénaliens en œstrogènes, dans les tissus périphériques et les cellules tumorales.
Le fulvestrant est uniquement indiqué en situation métastatique. C’est un antagoniste des récepteurs œstrogéniques (injection mensuelle).
La suppression ovarienne peut être définitive par ovariectomie ou radiothérapie pelvienne, ou temporaire par l’administration d’agonistes LHRH (hormone de libération de la lutéinostimuline) (injections mensuelles) qui agissent en hyperstimulant l’hypophyse, puis par feedback négatif entraînant une suppression de la fonction ovarienne.
Patientes ménopausées (80% des patientes) : antiaromatases ou tamoxifène (2e choix). On considère une femme comme ménopausée si elle a plus de 60 ans, si elle a subi une suppression ovarienne ou en présence d’une aménorrhée de plus de douze mois. En cas de doute, un dosage hormonal peut confirmer la ménopause. Les IA sont le traitement de choix en situation adjuvante, permettant une diminution significative du taux de récidives et un bénéfice de survie par rapport au tamoxifène, en cas d’atteinte ganglionnaire. L’efficacité des différents IA est considérée comme équivalente.4,5 Il existe différentes stratégies d’administration du traitement : en général, l’IA est proposé pour une durée de cinq ans, ou faisant suite à deux à trois ans de tamoxifène.
Patientes préménopausées (20% des patientes) : tamoxifène ou suppression ovarienne + AI/tamoxifène. En situation adjuvante, jusqu’à récemment, le standard était cinq ans de tamoxifène associé ou non à une suppression ovarienne. Deux études randomisées, récentes, semblent montrer un bénéfice du traitement de l’association des IA avec les agonistes LHRH en comparaison au tamoxifène avec agonistes LHRH, principalement chez des patientes jeunes à haut risque de récidive.6 Si un traitement d’IA est proposé, il doit absolument être associé à une suppression ovarienne.
Il existe un bénéfice à poursuivre le tamoxifène pour dix ans au lieu de cinq ans, avec une diminution significative du risque de mortalité relative au cancer (29%) au-delà de la dixième année indépendamment de l’âge.7,8 Ceci se vérifie d’autant plus pour les patientes qui présentent un mauvais pronostic, soit une atteinte ganglionnaire, grade et indice de prolifération élevés (consensus de St Gall 2015, Suisse). Cependant, la poursuite du traitement après cinq ans devra être discutée par l’oncologue avec la patiente en fonction de ses facteurs de risque oncologiques et de ses comorbidités.
Les effets indésirables prépondérants des traitements antihormonaux sont de types vasomoteurs (SVM : bouffées de chaleur, sudations nocturnes) et génito-urinaires (SGU), dont la fréquence est répertoriée dans le tableau 2.10 Le tamoxifène entraîne un risque accru d’événements thrombo-emboliques (1,5/1000/an, risque quasi similaire qu’en cas de contraception hormonale orale) et de cancer de l’endomètre (2/1000/an), soit 2 à 3 fois plus que dans la population générale pour ces deux paramètres. Les IA provoquent fréquement des poly-myoarthralgies (20 à 60%) et aggravent le risque d’ostéoporose et d’événements fracturaires (10 à 25%). L’aspect de prise ou de perte pondérale semble survenir de manière équivalente pour les deux catégories de traitement (30%). On objective aussi de manière fréquente une perte de cheveux (30%), des troubles de la vision (25%), des vertiges (18%), des céphalées (15%), de la dyspnée (15%), des nausées et une perte d’appétit (10%). Il est possible que la déprivation œstrogénique affecte les fonctions cognitives, il existe toutefois peu de données sur ce sujet.11,12 Rappelons que toute patiente sous IA doit bénéficier d’une substitution quotidienne en calcium et vitamine D3 et qu’un traitement protecteur de dénosumab doit être discuté, ceux-ci entraînant fréquemment une accélération de la déperdition osseuse. Il est nécessaire de stopper le tamoxifène une semaine avant des événements à risque thrombo-embolique (chirurgie, voyage).
Les symptômes climatériques surviennent lors de la déprivation rapide en œstrogènes qu’elle soit physiologique ou provoquée par l’arrêt d’un traitement hormono-substitutif lors du diagnostic de tumeur mammaire ou de traitements oncologiques (hormonothérapie, suppression ovarienne, chimiothérapie). En effet, il semblerait que les œstrogènes jouent un rôle dans la thermorégulation. L’hypothalamus, le système nerveux autonome et l’action de nombreux neurotransmetteurs (norépinéphrine et sérotonine) seraient impliqués dans ce processus.
Les SVM sont présents chez 80 à 95% des patientes et rapportés comme sévères par 30% d’entre elles. Ils entraînent une fatigue (20%) et des pertubations du sommeil interférant avec les activités de la vie quotidienne et diminuant significativement la qualité de vie dans 30 à 40% des cas. Les SGU sont attribuables principalement à une vaginite atrophique et on les observe chez 50 à 75% des patientes. Les IA sont le plus souvent incriminés, le tamoxifène l’est moins en raison de son activité agoniste œstrogénique partielle sur les muqueuses génitales. La sexualité est également affectée (70%) avec un impact sur l’estime de soi et sur les relations interpersonnelles.10,13
Comme lors d’une ménopause physiologique, la reconnaissance de stimuli déclencheurs (nourriture épicée, utilisation du sèche-cheveux, situations de stress) et leur éviction peut être bénéfique. Certaines mesures générales simples, conseils vestimentaires notamment peuvent être utiles.
Le traitement hormono-substitutif (œstrogénique et/ou progestatif) visant à diminuer les symptômes climatériques, qu’il soit administré de manière systémique ou en utilisation topique est contre-indiqué chez les patientes aux antécédents de cancer du sein.
En ce qui concerne les traitements symptomatiques non hormonaux, l’interprétation de la littérature est difficile, d’une part, en raison de l’absence de consensus par rapport aux paramètres mesurés et d’autre part, en raison de la qualité limitée de nombreuses études, rendant impossible leur comparaison en termes de tolérance et d’efficacité. Il existe de plus un effet placebo important de tout traitement des SVM évalué entre 30 et 70% dans certaines études.
Le tableau 3 récapitule les traitements non hormonaux des SVM.10,14
Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la norépinéphrine (ISRS et IRSN) permettent de pallier la diminution de la sérotonine liée à la ménopause. Leur efficacité est entre 40 et 60%. Leur effet antidépresseur est un avantage pour certaines patientes. Certains sont des inhibiteurs du CYP2D6 et peuvent diminuer l’efficacité du traitement de tamoxifène. Des antiépileptiques tels que la gabapentine ou la prégabaline ont montré un bénéfice similaire. La clonidine agit au niveau du système nerveux autonome avec un impact modéré sur les SVM. Elle présente de nombreux effets indésirables, raison pour laquelle on ne la recommande pas en première intention. D’autres agents pharmacologiques évoqués dans la littérature tels que la méthyldopamine, le Bellergal (mélange de belladone et phénobarbital) et la vitamine E (augmentation de mortalité globale aux doses proposées) ne sont pas recommandés.
Bien qu’utilisées par 86% des patientes, il existe peu de données fondées sur l’évidence scientifique concernant les thérapies non pharmacologiques.14 Par conséquent, on ne peut pas les recommander formellement.
Les phytoestrogènes contenus dans certains aliments tels que le soja n’ont pas montré de bénéfice significatif sur la réduction des SVM chez les patientes atteintes de cancer du sein et leur effet sur la croissance tumorale est incertain. Il n’y a pas assez de données pour conclure à l’efficacité de l’actée à grappe (Cimifuga racemosa). Son administration ne semble pas avoir d’influence négative sur le risque de récidive mais il existe quelques cas recensés d’hépatotoxicité. D’autres thérapies telles que la déhydroépiandrostérone (DHEA), les extraits de plantes (dong quai, ginseng…), la supplémentation en oméga 3, l’homéopathie ou les thérapies dites «magnétiques» n’ont pas montré de bénéfices.
L’acupuncture traditionnelle montrerait un bénéfice, celui-ci est à modérer toutefois car les études présentent de nombreux biais. Il n’a pas été démontré avec l’acupuncture dite «sham» (points de ponctions aléatoires). L’hypnose et le blocage du ganglion stellaire par bupivacaïne semblent être des options intéressantes avec une diminution des SVM de 68 à 80% et de 52% respectivement, les collectifs de ces études sont néanmoins trop faibles pour en tirer des conclusions. La thérapie cognitivo-comportementale montre de bons résultats avec une amélioration à six mois des SVM, du sommeil, de l’humeur, de la sexualité et de la qualité de vie.
D’autres prises en charge dites «comportementales» de type relaxation, réflexologie, yoga, exercices anaérobiques ont fait l’objet de séries ou de petites études, dont les méta-analyses ne permettent pas de tirer des conclusions satisfaisantes quant à leur efficacité. Un effet placebo est par contre toujours possible. Au vu de l’absence de toxicité de ces «thérapeutiques», il ne faut certainement pas décourager les patientes qui les choisissent.
La prise en charge des SGU est symptomatique. Des dérivés de l’acide hyaluronique en ovules permettent une amélioration de la sécheresse vaginale. Le recours à des gels lubrifiants ou des crèmes vaginales lors des rapports sexuels peut également s’avérer utile.
En cas d’échec, il reste possible de discuter avec l’oncologue d’un changement de traitement antihormonal (changement d’IA, passage d’IA à tamoxifène).
Avant de débuter un traitement symptomatique, il est important de comprendre les attentes de la patiente et de lui expliquer que le résultat n’est pas garanti. Les bénéfices mais également les potentiels effets indésirables doivent être explicités. La plupart des patientes estiment qu’une diminution de 50% de leur symptomatologie est acceptable mais seulement 20% d’entre elles bénéficient d’un traitement symptomatique.14
On remarque que l’adhérence thérapeutique à l’hormonothérapie diminue au fil du temps. Parmi les patientes sous traitement, 20% sont non compliantes à leur traitement, 25 à 50% arrêteront précocement leur traitement, dont 20% au cours de la première année. Les facteurs de risque d’une moindre adhésion sont le jeune âge (< 45 ans) ou l’âge très avancé (> 75 ans). La raison de l’arrêt la plus fréquemment évoquée concerne les toxicités (50 à 60%). Une mauvaise adhérence (< 80%) augmente le risque de mortalité globale. On note aussi une augmentation du risque de récidive et de mortalité relative et totale en cas d’arrêt précoce du traitement.15,16
L’hormonothérapie a une place prépondérante dans la prévention de la récidive chez les patientes atteintes d’un cancer du sein et sa durée tend à être prolongée. La majorité de ces femmes sont ménopausées et souffrent de symptômes climatériques, aggravés par le traitement antihormonal. Bien que la prise en charge de ceux-ci ne soit pas facile, au vu des conséquences d’une mauvaise adhérence thérapeutique sur le pronostic, il est recommandé d’encourager au maximum les patientes à prendre leur thérapie de manière régulière et de leur proposer des traitements symptomatiques afin de diminuer l’impact des effets indésirables de l’hormonothérapie sur leur qualité de vie. Nous espérons vous avoir donné quelques clés afin d’y parvenir.
> L’hormonothérapie diminue considérablement le risque de récidive de cancer du sein, les données montrent qu’une mauvaise adhérence thérapeutique compromet le bénéfice du traitement et augmente le risque de mortalité globale
> Les traitements hormono-substitutifs systémiques ou topiques sont formellement contre-indiqués en cas d’antécédents de cancer du sein
> Les symptômes climatériques ont un impact sur la qualité de vie des patientes et bien que limitées, les options thérapeutiques symptomatiques non hormonales doivent leur être proposées