C’est un événement dans l’histoire de l’institution onusienne en charge de la santé mondiale : un groupe d’experts indépendants mandatés par l’ONU a, lundi 11 mai, publiquement dénoncé dans un rapport officielle les retards et les défaillances de l’OMS dans la gestion de «l’épidémie sans précédent» d’Ebola. Le groupe des experts «ne comprend toujours pas pourquoi des avertissements précoces, lancés de mai à juin 2014, n’ont pas abouti à une réponse adéquate et sérieuse». C’est ce que l’on peut lire dans une version intérimaire du rapport.1
C’est le 8 août 2014 que l’OMS a déclaré que l’épidémie ouest-africaine d’Ebola constituait «une urgence de santé publique de portée mondiale». Les premiers cas documentés avaient été publiés le 16 avril dans The New England Journal of Medicine. Six mois d’atermoiements. En août, la déclaration avait été faite au terme d’un meeting de deux jours organisé à Genève. Le comité des experts de l’organisation onusienne2 réclamait alors «une réponse internationale coordonnée», seule et unique manière de stopper puis de «faire reculer la propagation internationale d’Ebola».
Pour l’OMS, l’émergence et la progression de cette épidémie constituaient un «événement extraordinaire». En août, on recensait déjà (officiellement) plus de 1700 cas d’Ebola en Guinée, Liberia, Nigeria et Sierra Leone. «Les conséquences possibles de la propagation internationale sont particulièrement graves en raison de la virulence du virus, des densités de population, des modes de contamination et de la faiblesse des institutions sanitaires dans la plupart des pays les plus exposés au risque» faisait valoir l’OMS après de longs mois d’atermoiements.
«Ce n’est pas une maladie mystérieuse mais bien une maladie infectieuse qui peut être contenue et le virus ne se propage pas par l’intermédiaire de l’air» insistait l’OMS. Le Pr David Heymann (London School of Hygiene and Tropical Medicine), spécialiste reconnu de la lutte contre Ebola, estimait alors que ces recommandations correspondaient pleinement à la situation épidémiologique du moment. Personne (ou presque) n’osait alors dénoncer le retard de l’OMS. A l’heure où ces lignes sont écrites, l’épidémie d’Ebola a touché 26 000 personnes (dont 11 000 morts) en Guinée, Liberia et Sierra Leone.
Devant les lenteurs de l’OMS à réagir, des Etatsmembres de l’organisation avaient, en mars dernier, demandé à un groupe d’experts d’examiner les raisons des dysfonctionnements. «Il y a un consensus fort pour dire que l’OMS n’a pas une capacité et une culture suffisamment fortes pour mener des opérations d’urgence, accuse le rapport. Il y a eu de graves lacunes dans les contacts avec les communautés locales au cours des premiers mois de l’épidémie (…). Il est surprenant qu’il ait fallu attendre jusqu’en août ou septembre pour reconnaître que la transmission de l’Ebola ne pourrait être sous contrôle que si des mesures de surveillance, de mobilisation des populations et la distribution des soins étaient mises en place de manière simultanée.»
La riposte internationale n’a pris de l’ampleur qu’en septembre 2014, quand l’ensemble du système de l’ONU a réagi et qu’une autre structure a été créée, la Mission des Nations Unies pour la lutte contre Ebola (UNMEER), relève encore le groupe d’experts. Soit la reproduction accélérée de ce qui s’est passé avec l’épidémie de sida et la création de l’Onusida.3
Pour Ebola, c’est le 23 mars 2014 que l’OMS avait officiellement notifié l’existence d’une épidémie de fièvre Ebola en Afrique de l’Ouest. Soit trois mois après la découverte des premiers cas suspects. Que s’est-il passé durant ce premier trimestre ? Et, compte tenu de la dynamique infectieuse et contagieuse, que ce serait-il passé si ce temps n’avait pas été perdu ? Des historiens des épidémies enquêteront un jour sur le sujet. Pour sa part, Médecins sans Frontières (MSF) – qui fut courageusement présent en temps et en heure – avait rendu public un document accusateur le 23 mars 2015. «C’est un rapport qui fait un bilan des actions déployées, en revenant sur l’inefficacité première de la communauté internationale, précisait-on alors chez MSF. Il aborde aussi un certain nombre de questions que nous nous sommes posés en interne.» On y parlait d’une «coalition de l’inaction» et on revenait sur les différentes critiques qui avaient été faites à l’encontre de l’OMS notamment – OMS qui, depuis son siège de Genève, s’était défaussée sur les responsables africains de l’organisation onusienne.
Trois mois entre le premier décès suspect, en décembre 2013, et une notification administrative sans mobilisation immédiate. «Nous étions bien conscients que quelque chose de différent se passait en mars et en avril 2014 et nous avons tenté d’attirer l’attention de l’OMS mais aussi des gouvernements des pays concernés, avait déclaré à la BBC Henry Gray, coordinateur d’urgence MSF. Bien évidemment, il était frustrant de constater que nous n’avons pas été entendus, ce qui a probablement conduit à l’ampleur de l’épidémie que nous voyons aujourd’hui.»
«De manière rétrospective, il apparaît maintenant évident que la période de décembre à mars a été essentielle pour ce qui est de la diffusion du virus en plusieurs endroits de Guinée orientale puis sur la capitale Conakry» déclarait pour sa part, toujours à la BBC le Dr Derek Gatherer (Université de Lancaster). Et lorsque le 8 août l’OMS décrète une «urgence de santé publique mondiale» et demande une «réponse internationale coordonnée», plus d’un millier de personnes étaient déjà mortes.
Alertés dès le premier trimestre, les médias d’information générale (africains, européens, américains) auraient-ils pu précocement (en mobilisant l’opinion) débloquer les rouages onusiens et gouvernementaux, antiques et grippés ? C’est là, désormais, une question pour école de journalisme et communicants de crise. On pourra alors comparer les retards coupables face à Ebola et face au sida. Il faudra y ajouter l’analyse des incohérences de l’OMS dans la gestion des épidémies de virus A(H5N1) et A(H1N1).
Faiblesse structurelle pour répondre aux situations d’urgence, dit aujourd’hui, en substance, le groupe d’experts mandés par l’ONU. Faiblesse structurelle dramatique chronique, pourrait-on ajouter. Le groupe recommande notamment de renforcer la capacité opérationnelle de l’OMS. Les Etatsmembres sont invités à mettre sur pied un fonds d’urgence ainsi qu’une force internationale d’intervention sanitaire qui pourrait être mobilisée immédiatement. Une structure de commandement claire, unique au sein de l’agence devrait être créée aussi rapidement que possible. Les experts recommandent de plus que le Conseil exécutif prenne une décision à cet égard en janvier 2016.
Résumons : des fautes graves ont été commises qui ont été la cause de contaminations virales et de morts prématurées. A quand le procès ? Faut-il au contraire redouter qu’après un éclair de lucidité publique on retombera dans les insondables ornières administratives et diplomatiques d’une machinerie onusienne sans tête ni mémoire ? L’affaire devrait être abordée lors de l’Assemblée mondiale de la santé qui se tient du 18 au 26 mai à Genève.