Les patients se déshabillent-ils encore comme ils le faisaient jadis dans les cabinets médicaux ?
Aujourd’hui on quitte à coup sûr (tout ou partie de) ses vêtements chez les esthéticiennes. Elles aussi font profession du «corps des autres», pour reprendre le titre d’un ouvrage aussi bref que passionnant.1 Soit la descente d’un historien (Ivan Jablonka) chez ces professionnelles qui nous rendent un peu moins laids, un peu plus belles.
Qui sont-elles ? Elles campent aux frontières de la médecine générale, de la psychologie, de la dermatologie ; jamais très loin de la sexologie ou de l’infirmerie. C’est le boudoir de l’épilage, le salon du massage. On se confie, on s’accorde un moment à soi. On fait relâche. Certes, mais pourquoi une enquête sur les esthéticiennes ? La question ne se pose plus une fois le livre reposé. Le lecteur a pris la mesure de leurs «instituts de beauté», une mesure qui dépasse celle des «fabriques de la beauté moderne».
Rien n’est rose. La «masseuse» n’échappe pas aux lois du genre et de la rentabilité productiviste. Elle aussi entend ce qu’il peut en être, via les corps, de cette tyrannie moderne qu’est celle de la beauté. Il lui faut encore, c’est immanquable, faire avec les clients impudiques (les corps ont leurs raisons…) ainsi qu’avec les demandes de finitions. Et puis, bien évidemment, il y a le jargon. Le Corps des autres décrypte le langage cosmétique – repulper, velouter, restructurer – la pulpe, le velours, la structure revisités. Caricaturée comme futile ou stupide (une forme de shampouineuse du corps en somme) l’esthéticienne retrouve, sous la plume de l’historien du présent, ses véritables formes, sa véritable place. Justice leur est faite.
La vie, une oxygénation forcée ? Un groupe de chercheurs européens vient, à sa manière, de nous le confirmer dans la revue Nature. Ils annoncent avoir découvert une nouvelle forme de vie, un nouveau et formidable chaînon manquant : un micro-organisme d’une structure génétique jusqu’alors inconnue et qui ne rentre dans aucune des classifications établies pour identifier et comprendre le fonctionnement de la vie sur notre Terre. Cette découverte pourrait aussi aider à résoudre l’une des énigmes de la biologie contemporaine.
On sait (ou on a su) que tous les organismes vivants terrestres sont, depuis longtemps, classés en deux immenses catégories fondamentales. D’un côté les procaryotes : leur structure cellulaire ne comporte pas de noyau. De l’autre, les eucaryotes, caractérisés précisément par la présence d’un noyau cellulaire. Les eucaryotes comprennent tous les organismes multicellulaires (animaux, plantes et champignons) ainsi que certaines formes de vie unicellulaires. Le reste appartient aux procaryotes.
Il est généralement acquis que les eucaryotes ont évolué à partir d’un ancêtre procaryote. Et les spécialistes s’accordent pour estimer que les premiers procaryotes étaient présents il y a près de quatre milliards d’années. En réalité, cette évolution comporte de nombreuses zones d’ombre. Elles pourraient être éclairées avec l’annonce faite dans Nature2 par un groupe de dix chercheurs suédois, norvégiens et autrichiens. Dirigé par Thijs J. G. Ettema (Université d’Uppsala), ce groupe explique avoir découvert le pont qui, reliant les procaryotes aux eucaryotes, fournit la pièce manquante à l’édifice de la biologie contemporaine.
Ces chercheurs ont déjà baptisé la nouvelle forme de vie qu’ils ont découverte : Lokiarchaeota, en référence au Loki’s Castle, célèbre fissure-cheminée géothermique située entre le Groenland et la Norvège. Leur découverte a été faite dans les sédiments marins de l’Arctique, à proximité immédiate de cette fenêtre entrouverte sur les entrailles de la Terre.
Or voilà que les auteurs ont découvert que le patrimoine génétique de Lokiarchaeota contient des gènes qui codent pour des protéines que l’on ne trouve que chez les eucaryotes : des protéines du «cytosquelette», matrice assurant leur forme et leurs mouvements. Dans le même temps, cette nouvelle entité ne possède pas de mitochondries en son sein, ce qui ne peut la faire entrer chez les eucaryotes.
«Ainsi donc les Archées et les eucaryotes sont des groupes cousins, partageant un ancêtre commun» explique aujourd’hui Thijs J. G. Ettema. La radiographie génétique de la dernière arrivée dans l’arbre du vivant est riche d’enseignement. Elle laisse penser aux chercheurs que l’ancêtre commun il y a environ deux milliards d’années disposait d’un «kit génétique de démarrage» assez riche pour assurer la complexité du vivant eucaryote telle qu’elle existe aujourd’hui.
Le fait que les mêmes gènes existent chez Lokiarchaeota et chez les eucaryotes ne signifie pas qu’ils aient la même fonction dans les deux camps. Quelle est, alors, la signification de cette similitude ? Répondre à cette question éclairera d’un jour nouveau la compréhension des mécanismes de l’évolution de la vie. Ajoutons que cette découverte a été faite dans des conditions physico-chimiques extrêmes : les rares organismes vivants présents doivent développer des stratégies sophistiquées pour survivre et se développer à des rythmes d’une extrême lenteur. C’est le cas de Lokiarchaeota qui offre un nouveau modèle de compréhension du génie biologique. Mais ce modèle est aussi, du fait même de ses caractéristiques, extrêmement difficile à étudier. Certains des micro-organismes retrouvés dans ces sédiments marins ne se divisent qu’une fois tous les dix ans, ce qui n’est pas compatible avec les recherches menées à partir de cultures en laboratoire.
La nouvelle quête ne fait que commencer. Ces biologistes sont désormais à la recherche de «Loki-like» dans d’autres endroits de la planète, comme les sources d’eau chaude du parc national de Yellowstone, aux Etats-Unis ainsi que sur certains sites de Nouvelle-Zélande. «Nous pourrons peut-être trouver des “Loki” qui ont une ascendance plus récente avec les eucaryotes, explique Thijs J. G. Ettema. Nous pourrons tenter de reconstruire leurs génomes et trouver des pièces supplémentaires au puzzle complexe de la vie et de son origine.»
Du rêve à coup sûr. Et quelques nouvelles espérances : la vie est infiniment plus plastique qu’on nous l’avait dit. Celle d’avant-hier comme la future – et même celle d’aujourd’hui.
Ebola peut encore intéresser les médias occidentaux. Il faut pour cela un cas clinique qui marque l’imagination. Il vient d’être rapporté dans The New England Journal of Medicine.3 Soit le Dr Ian Crozier, médecin américain de 43 ans. Infecté en septembre 2014 en Sierra Leone où il travaillait pour l’OMS. Rapatrié aux Etats-Unis. Prise en charge intensive (Emory University Hospital, Atlanta), multiples défaillances d’organes, traitements antiviraux expérimentaux (TKM-100802, Tekmira Pharmaceuticals ; plasma de convalescent), retour à domicile, asthénie marquée, troubles de la cognition, symptômes neurologiques, puis ophtalmologiques unilatéraux. Changement – transitoire – de la couleur de l’iris – du bleu au vert. Et découverte de la présence du virus Ebola dans l’humeur aqueuse alors que la virémie avait disparu.
«Ses médecins ont été stupéfaits. Ils avaient envisagé la possibilité que le virus ait envahi son œil, mais ils n’avaient pas vraiment prévu le trouver» rapporte le New York Times. Et les médias sont comme sidérés de la découverte de cette cartographie virale. Plus encore que lorsqu’on avait fait état, il y a quelques mois que le virus Ebola pouvait être présent dans le sperme des survivants. Mais encore ? Il faut ici revenir aux fondamentaux de la virologie.
«Ce type de séquelles ophtalmologiques est un fait bien connu, a expliqué au Figaro le Pr Eric Delaporte (Institut – français – de recherche pour le développement) responsable d’une étude en Guinée de suivi à long terme des survivants d’Ebola. Ce qui est très intéressant est que les médecins ont pu faire des prélèvements. L’œil comme les testicules, le système nerveux central et les cartilages sont des lieux dits “de privilège immun”. La réponse immunitaire est différente dans ces sites, pour ne pas les détruire. Mais ils peuvent alors constituer des réservoirs pour Ebola, qui pourra s’y répliquer silencieusement, entraînant parfois des séquelles. Cela pose un certain nombre de questions.»