Les cancers colorectaux et gastriques sont respectivement les quatrième et troisième causes principales de décès par cancer dans le monde. Malheureusement, le cancer gastrique est habituellement diagnostiqué à un stade avancé avec des métastases à distance, c’est pourquoi, les traitements palliatifs sont la pierre angulaire du traitement. Des progrès majeurs dans la compréhension de la biologie tumorale, le développement de biomarqueurs et de thérapies ciblées ont amélioré les options thérapeutiques et le pronostic de ces deux cancers ces dernières années. Dans cet article, nous passons en revue le traitement standard des cancers colorectaux et gastriques avancés et métastatiques, et mettons en lumière les perspectives futures.
L’adénocarcinome colorectal est la seconde cause de décès par cancer dans les pays développés, et le cancer gastrique la troisième plus fréquente cause de décès au monde.1 Des progrès majeurs dans le développement des thérapies ciblées mais aussi de biomarqueurs ont été faits récemment pour ces deux maladies.
L’adénocarcinome colorectal (CCR) est le troisième cancer le plus fréquent chez l’homme et le deuxième chez la femme dans le monde. Tous stades confondus, le taux de survie à cinq ans est d’environ 60%. Au moment du diagnostic initial, 25% des patients ont une maladie métastatique, et environ 50% des patients développeront des métastases pendant l’évolution de la maladie.
Nous développons ci-après les progrès accomplis ces dernières années dans la prise en charge multidisciplinaire des CCR métastatiques, la sélection des patients pour les traitements ciblés, et la découverte et le développement de nouvelles molécules venues augmenter notre arsenal thérapeutique.
Une prise en charge multidisciplinaire de chaque patient atteint d’un CCR métastatique est indispensable. Lors du diagnostic initial, la discussion de la stratégie thérapeutique se fait obligatoirement dans le cadre d’une réunion multidisciplinaire, avec au minimum un oncologue médical, un radio-oncologue, un chirurgien et, si possible, un radiologue interventionnel. L’extension de la maladie, l’état général et les comorbidités du patient déterminent si l’ensemble des lésions tumorales sont :
Si la maladie métastatique est limitée au foie et que toutes les lésions sont opérables, un traitement de chimiothérapie à base d’oxaliplatine avant et après la prise en charge chirurgicale a montré un bénéfice en termes de survie sans progression.2
Les patients potentiellement opérables (groupe 1) reçoivent le traitement le plus actif possible (double chimiothérapie associée à un agent ciblé, triple chimiothérapie). L’objectif est une réponse tumorale maximale pour réaliser une résection chirurgicale secondaire. Les patients non opérables (groupes 2 et 3) sont traités par une chimiothérapie palliative, éventuellement associée à un traitement ciblé.
La chimiothérapie standard du CCR métastatique associe le 5-FU à l’oxaliplatine ou à l’irinotécan. Ces dernières années, des thérapies ciblées, les inhibiteurs de l’EGFR (cétuximab, panitumumab) et les traitements antiangiogéniques (par exemple, le bévacizumab), ont été développées et font partie de la prise en charge standard du CCR métastatique. Combinées à la chimiothérapie, elles améliorent significativement le taux de réponses et la survie des patients. Pour les inhibiteurs de l’EGFR (cétuximab, panitumumab), des biomarqueurs prédictifs de l’efficacité ont été identifiés. Il s’agit des mutations des exons 2, 3 ou 4 des gènes KRAS et NRAS. Elles doivent être recherchées chez tous les patients ayant un CCR métastatique avant l’introduction d’une thérapie ciblée. En effet, les inhibiteurs de l’EGFR n’apportent pas de bénéfice en présence d’une mutation d’un de ces gènes et peuvent même être délétères.3 Lorsque ces mutations sont présentes, la thérapie ciblée proposée est par exemple le bévacizumab, en l’absence de contre-indication. Le développement de ces biomarqueurs est donc un premier pas majeur vers une prise en charge personnalisée du CCR métastatique. Pour promouvoir la recherche et faciliter l’accès aux études cliniques basées sur un biomarqueur, en tenant compte de l’hétérogénéité moléculaire, pour lequel le design classique n’est plus adapté, l’EORTC (Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer) a développé un programme nommé SPECTACOLOR (Screening Platform for Efficient Clinical Trial Access, http://spectacolor.eortc.org/) qui permet de faciliter l’accès aux études cliniques basées sur l’analyse des biomarqueurs, et dans lequel les patients peuvent être inclus au CHUV et aux HUG.
Une thérapie ciblée du cancer est un traitement qui bloque le développement et la dissémination d’un cancer en interférant avec des molécules spécifiques impliquées dans la croissance tumorale.
L’augmentation des taux de réponses à 60% avec la combinaison des traitements ciblés et de la chimiothérapie, ainsi que les progrès de la chirurgie permettent une prise en charge à visée curative avec alors une chance de survie à cinq ans de 20 à 30% chez les patients présentant un CCR métastatique opérable.
Une étude de phase III récente (étude FIRE3) a comparé, en traitement de première ligne, l’association à la double chimiothérapie (5-FU et irinotécan) soit de bévacizumab, soit d’un inhibiteur de l’EGFR (cétuximab) chez les patients avec CCR métastatique non opérable. Les résultats de cette étude très attendue ont montré, en l’absence de mutation KRAS/NRAS, une amélioration de la survie de presque huit mois avec un inhibiteur de l’EGFR (25,6 versus 33,1 mois ; HR : 0,77 ; IC 95% : 0,62-0,96).4 Pour cette raison, ce traitement est privilégié en l’absence de mutation des gènes KRAS/NRAS. Une autre étude récente de phase III (étude TRIBE) a démontré que l’association d’une triple chimiothérapie (5-FU, irinotécan et oxaliplatine) avec le bévacizumab améliorait la réponse tumorale mais également la survie en comparaison avec la double chimiothérapie (5-FU et irinotécan) associée au bévacizumab, au prix d’une toxicité plus importante. C’est une option de traitement lorsqu’une excellente réponse tumorale est nécessaire rapidement.5
Une survie médiane de plus de 30 mois a été observée dans plusieurs grandes études randomisées pour des patients non opérables démontrant les progrès réalisés ces dernières années.
Le développement récent de nouvelles molécules permet d’élargir le panel des traitements qui peuvent être proposés au patient. Notamment, le régorafénib (inhibiteur de multiples tyrosine kinases) a montré un bénéfice de survie modéré mais significatif chez les patients réfractaires aux traitements standards.6 Une nouvelle molécule, le TAS-102 (association du trifluridine, un nouveau nucléotide, et d’un inhibiteur de thymidine phosphorylase) a montré, dans une récente étude de phase III, un effet comparable au régorafénib dans la même population de patients mais avec une meilleure tolérance. Ce traitement n’est actuellement pas encore disponible.
L’adénocarcinome gastrique est le cinquième cancer le plus fréquent et la troisième cause de décès par cancer dans le monde. En Europe, jusqu’à 75% des patients atteints d’un cancer gastrique présentent une maladie métastatique au moment du diagnostic.
Nous développons ci-après les différentes avancées réalisées ces dernières années dans la prise en charge du cancer gastrique métastatique : le bénéfice de la chimiothérapie, la prise en charge des cancers gastriques avec surexpression de HER2, le ramucirumab et les perspectives d’avenir (notamment l’immunothérapie).
Le pronostic des patients avec un cancer métastatique est sombre. La chimiothérapie de première ligne améliore la survie mais aussi la qualité de vie comparée aux soins de support exclusifs.7 Il n’y a pas de consensus international sur le meilleur régime de chimiothérapie à proposer. Des associations de 5-FU et de sels de platine, éventuellement combinés à l’épirubicine ou au docétaxel ou une combinaison de 5-FU et d’irinotécan sont des options possibles.
Comme en première ligne, l’objectif est d’améliorer la survie et de contrôler les symptômes cliniques de la maladie oncologique, au prix d’une toxicité la plus faible possible. Plusieurs études cliniques de phase III récentes (en particulier avec une monothérapie d’irinotécan ou de docétaxel) ont démontré un bénéfice de survie modeste mais significatif, et une amélioration des symptômes chez les patients en bon état général. Une méta-analyse publiée en 2013 confirme ces données.8 Pour cette raison, une chimiothérapie de seconde ligne devrait être offerte à tous les patients motivés et avec un état général conservé. En pratique clinique, le problème est que seule la moitié des patients présente un état général permettant de proposer une chimiothérapie de deuxième ligne.
Le récepteur HER2 (Human Epidermal Growth Factor Receptor 2) est surexprimé dans environ 20% des cancers gastriques. Cette surexpression du HER2 est systématiquement recherchée pour les adénocarcinomes gastriques métastatiques en raison de ses implications thérapeutiques. Cet examen est effectué sur une biopsie ou une pièce opératoire, par examen immunohistochimique, éventuellement complété par une analyse FISH (hybridation in situ).
Le trastuzumab est un anticorps humanisé ciblant le récepteur HER2 qu’il bloque, initialement développé il y a plus de dix ans pour traiter le cancer du sein. Le traitement standard de première ligne des adénocarcinomes gastriques métastatiques HER2 positifs est une combinaison de chimiothérapie (cisplatine et 5-FU ou capécitabine) et de trastuzumab. Cette association a démontré une amélioration statistiquement significative du taux de réponses et de la survie dans une grande étude de phase III (étude ToGA).9 La survie médiane des patients recevant ces traitements dans cette étude était de 13,8 mois (comparée à 11,1 mois sans le trastuzumab ; HR : 0,74).
Le pertuzumab est un anticorps monoclonal humanisé inhibant la formation de dimères HER. Une récente publication rapporte un bénéfice d’environ seize mois en termes de survie dans le cancer du sein HER2 positif en ajoutant le pertuzumab au traitement standard. Une étude de phase III comparant l’adjonction de pertuzumab ou d’un placebo à une combinaison de chimiothérapie et de trastuzumab dans le cancer gastrique métastatique HER2 positif est actuellement ouverte à l’inclusion au CHUV (NTC01774786).
Actuellement, le bénéfice des thérapies anti-HER2 dans les cancers gastriques a été démontré uniquement chez les patients avec des métastatases. Dans le cancer du sein HER2 positif, l’utilisation d’un traitement adjuvant de trastuzumab apporte un bénéfice de survie significatif. Pour cette raison, une étude internationale randomisée de phase II de l’EORTC (étude EORTC 1203, NTC02205047) va prochainement débuter et sera ouverte au CHUV. Elle comparera l’adjonction du trastuzumab seul ou associé au pertuzumab, au traitement de chimiothérapie périopératoire dans les cancers gastriques HER2 positifs.
L’angiogenèse favorise la croissance tumorale et la métastatisation. Dans le cancer gastrique, l’expression du VEGF-A est corrélée à un mauvais pronostic. Le ramucirumab, un anticorps monoclonal ciblant le VEGFR-2, a été récemment étudié dans les cancers gastriques métastatiques ayant échappé à une première ligne de chimiothérapie. Dans deux études de phase III (en monothérapie comparée au placebo (étude REGARD) et en association avec une chimiothérapie de paclitaxel (étude RAINBOW)), ce traitement a montré un bénéfice de survie significatif.10
A noter que dans cette dernière étude, la survie moyenne des patients après progression oncologique sous la chimiothérapie de première ligne est supérieure à neuf mois. Cela correspond aux survies observées il y a quelques années encore chez les patients au moment du diagnostic initial et démontre les progrès en termes de survie achevés récemment dans la prise en charge de cette maladie – même s’il s’agit d’une population sélectionnée dans le cadre des études.
Initialement développée dans le traitement du mélanome malin, l’immunothérapie du cancer, notamment les «checkpoint inhibitors», permet aujourd’hui d’obtenir des réponses durables dans des maladies auparavant rapidement mortelles. Actuellement, ces traitements sont de plus en plus étudiés pour d’autres tumeurs solides. Des résultats préliminaires avec le pembrolizumab suggèrent un potentiel thérapeutique dans le cancer gastrique. Une étude de phase III avec cette molécule débutera prochainement et sera ouverte au CHUV.
L’intégration des traitements ciblés, ainsi que le développement des biomarqueurs prédictifs (mutation KRAS/NRAS dans le CCR, surexpression HER2 pour le cancer gastrique), en parallèle de l’amélioration des options de traitements interventionnels et chirurgicaux des CCR ont permis des progrès majeurs dans la prise en charge de ces maladies. De nombreuses études avec des molécules prometteuses sont actuellement en cours.
Le Dr A. D. Wagner est consultante pour Lilly, Mercks, Roche et Taiho. Les autres auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> La prise en charge des carcinomes gastrique et colorectal métastatiques doit être réalisée par des équipes multidisciplinaires spécialisées, avec au minimum un oncologue médical, un radio-oncologue, un chirurgien et un radiologue interventionnel
> Dans le traitement du cancer colorectal métastatique, l’association de chimiothérapies et de thérapies ciblées apporte le plus grand bénéfice aux patients potentiellement opérables chez lesquels une bonne réponse au traitement permet d’envisager par la suite une prise en charge chirurgicale
> Le développement de biomarqueurs valables (mutations KRAS/NRAS) permet de sélectionner les patients qui bénéficieront d’un traitement par inhibiteur de l’EGFR
> Chez les patients atteints d’un cancer gastrique métastatique, la recherche d’une surexpression du récepteur HER2 est impérative en raison de ses implications thérapeutiques. Cet examen est effectué sur une biopsie de la tumeur ou des métastases, par méthode immunohistochimique éventuellement complétée par une analyse FISH (hybridation in situ)
Les cancers colorectaux et gastriques sont respectivement les quatrième et troisième causes principales de décès par cancer dans le monde. Malheureusement, le cancer gastrique est habituellement diagnostiqué à un stade avancé avec des métastases à distance, c’est pourquoi, les traitements palliatifs sont la pierre angulaire du traitement. Des progrès majeurs dans la compréhension de la biologie tumorale, le développement de biomarqueurs et de thérapies ciblées ont amélioré les options thérapeutiques et le pronostic de ces deux cancers ces dernières années. Dans cet article, nous passons en revue le traitement standard des cancers colorectaux et gastriques avancés et métastatiques, et mettons en lumière les perspectives futures.