Troublant. Des chercheurs travaillant à l’Ecole normale supérieure de Lyon et au sein de la société de biotechnologie «Kallistem» viennent d’annoncer ce qu’ils présentent comme une «première mondiale». Ils expliquent en substance être parvenus à «produire in vitro des spermatozoïdes humains». L’information est datée du 5 mai mais le résultat aurait été obtenu «fin 2014».
«Kallistem est parvenue fin 2014 à produire en laboratoire des spermatozoïdes humains complètement formés, à partir de biopsies testiculaires de patients ne contenant que des cellules germinales immatures (spermatogonies). Plusieurs équipes dans le monde tentent depuis plus de quinze ans de réaliser une spermatogenèse humaine in vitro, explique cette firme. C’est un processus physiologique extrêmement complexe dont la durée est de soixante-douze jours. Pour parvenir à cette première mondiale, Kallistem s’appuie sur deux technologies innovantes brevetées qui pourront répondre aux normes réglementaires en vigueur.» Aucune publication scientifique n’est toutefois annexée à ce communiqué de presse qui évoque par ailleurs «l’affirmation de la position de leader mondial dans le domaine de la spermatogenèse in vitro» de cette société – une firme qui «est à la recherche de partenaires pour assurer son développement aux Etats-Unis».
A l’évidence nous sommes clairement, ici, dans la très désagréable situation où la presse n’est qu’un tambour pouvant aider à la récolte de fonds. Reste toutefois le résultat annoncé – et les hypothétiques perspectives quant aux nouvelles thérapeutiques de l’infertilité masculine. «Aujourd’hui, notre équipe est la première au monde à avoir mis au point la technologie nécessaire pour obtenir des spermatozoïdes complètement formés in vitro avec un rendement suffisant pour envisager une injection intracytoplasmique de spermatozoïdes» explique la firme. Quant au Pr Hervé Lejeune (Service de médecine de la reproduction, hôpital «Femme Mère Enfant» du CHU de Lyon), il ajoute : «la réalisation de l’ensemble de la spermatogenèse in vitro, depuis les spermatogonies jusqu’au stade ultime de spermatozoïdes, dans des espèces animales, mais aussi dans l’espèce humaine, représente un véritable exploit biotechnologique».
A partir d’une biopsie testiculaire, il serait donc désormais possible d’obtenir des spermatozoïdes qui seront cryo-conservés «jusqu’au désir de paternité» et alors utilisés en fécondation in vitro avec micro-injection. Kallistem dit mettre actuellement en place un projet de développement thérapeutique pour les patients dont la fertilité est menacée. Les études précliniques devraient durer jusqu’en 2016, puis les études cliniques commencer en 2017. L’objectif de la société à cinq ans est de commercialiser ses technologies sous forme de licence auprès des industriels du marché de l’assistance médicale à la procréation (AMP), et également de les commercialiser en direct auprès de centres de reproduction privés et publics.
«L’équipe scientifique des Drs Marie-Hélène Perrard et Philippe Durand est la seule à avoir mis au point un bioréacteur qui permette de réaliser une spermatogenèse in vitro totale à partir de tissu testiculaire prélevé par biopsie» précise Isabelle Cuoc, la PDG de Kallistem. Cette dernière annonce aussi la publication, le 23 juin, «du brevet sur le procédé». Ce brevet est déjà nommé Artistem. C’est une «thérapie cellulaire» qui bénéficiera à ceux qui ont des cellules souches germinales mais qui ne produisent pas de spermatozoïdes. Soit certains enfants prépubères (soumis à des traitements gonado-toxiques ; opérés pour une cryptorchidie bilatérale ; atteints de drépanocytose sévère nécessitant une greffe de moelle osseuse). Soit les hommes adultes atteints d’une azoospermie non obstructive liée à une «déficience somatique».
«Nous avons obtenu, sur la base du prélèvement de quelques millimètres cubes de tissu testiculaire, assez de spermatozoïdes pour donner naissance à un enfant par fécondation in vitro» a déclaré au Figaro Mme Cuoc. Une phase clinique est prévue pour 2017. Cette phase sera «précédée de tests précliniques visant à vérifier le bon état des spermatozoïdes, notamment sur le plan génétique, mais aussi épigénétique». «Nous respecterons toutes les contraintes réglementaires», souligne Isabelle Cuoc qui dit viser l’infertilité des 120 000 Français atteints d’azoospermie non obstructive.
Les spécialistes français interrogés par les médias reconnaissent généralement la qualité professionnelle de l’équipe «Perrard- Durand». Il faut toutefois replacer cette information dans son contexte. On dispose pour ce faire d’un récent travail d’experts belges et néerlandais qui a fait la synthèse des travaux menés sur ce thème à travers le monde chez l’animal.1 Les auteurs concluent qu’avant de songer à des applications cliniques dans l’espèce humaine les plus grandes précautions devront être prises compte tenu des enjeux éthiques et des prises de risque. Pour sa part, le Pr Israël Nisand, gynécologue-obstétricien (CHU de Strasbourg) estime qu’il n’y a pas, ici, de difficultés éthiques.
C’est également le cas du Pr Jacques Lansac, ancien président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français et ancien président de la Fédération française des Cecos (Centres d’études et de conservations du sperme). «Beaucoup d’équipes cherchent, dans ce sens, une méthode qui, après l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI), supprimerait (en cas de succès) les demandes d’insémination avec sperme de donneur (IAD) pour les hommes azoospermiques, explique le Pr Lansac. Les Cecos ne feraient plus, alors, que de l’autoconservation avant traitement stérilisant. En créant les Cecos il y a quarante ans, notre collègue Georges David pensait que le don de sperme avait vocation à disparaître si on trouvait le moyen de faire fabriquer des spermatozoïdes aux azoospermiques. Je ne perçois pas de problèmes éthique supérieurs à ceux vécus pour la FIV puis pour l’ICSI : il ne s’agit que de maturation d’un cellule reproductive. C’est un pas de plus dans la médecine de la reproduction – et il s’agit bien de médecine puisqu’il y a pathologie. Nous ne sommes pas, ici, confrontés à des problèmes du type de ceux soulevés par les techniques de procréation médicale assistée mises en œuvre pour des couples homosexuels.»
L’affaire n’est pas sans précédent. Il y a près de vingt ans (août 1995) une publication dans The New England Journal of Medicine2 avait posé clairement les termes de l’équation. L’équipe du biologiste Jacques Testart avait alors entrepris de relever un pari que beaucoup jugent éminemment dangereux. Il s’agissait, déjà, de fournir une solution thérapeutique aux hommes qui souffrent d’azoospermie. Le groupe initial des patients volontaires comportait douze hommes azoospermiques, dans le sperme desquels des spermatides furent identifiés, puis isolés. Pour sept des couples concernés, des embryons purent être obtenus après micro-injections de spermatides au sein des ovules féminins, ces derniers étant activés par une vigoureuse micro-aspiration au moment de l’injection. Quatorze des trenteneuf ovules ainsi injectés donnèrent lieu au développement d’un embryon humain, et «au moins un embryon» fut implanté dans l’utérus des sept femmes.
Les auteurs évoquèrent l’obtention de la première naissance historique d’un humain ainsi conçu : un garçon sain de 3,5 kg. A priori aucune anomalie dans la morphologie ou dans le patrimoine génétique. Jacques Testart reconnut alors qu’il ne pouvait «évidemment pas garantir a priori que tous les enfants qui naîtront d’ICSI avec spermatides seront indemnes de toute affection induite ou héritée du père». Pour sa part, le généticien Axel Kahn estimait que cette expérience aurait dû être menée sur des primates non humains avant d’être entreprise sur l’homme. Il eut alors cette formule : «il ne s’agit plus, ici, d’un essai sur l’homme, mais d’un véritable essai d’homme.