Dans un réseau autour d’une jeune patiente en réinsertion, la responsable soulignait les progrès à faire, d’autant que cette jeune, disait-elle, «n’avait pas de problème psychologique». Dans les situations de conflit, elle répond de façon trop brutale à ses interlocuteurs et surtout, lâche quelquefois tout, quittant son lieu de travail sans plus donner de nouvelles. C’est ce qui a déjà provoqué plusieurs ruptures de formation et mené son médecin traitant à me la référer. Nous avions conclu tous trois qu’elle viendrait nous trouver sitôt qu’une telle crise se produirait.
La jeune femme a grandi au Brésil dans une famille aisée (puis ruinée), au cadre plus que lâche. Elle se rappelle de soirées organisées par ses parents où elle attendait avec sa fratrie que tous les hôtes soient tombés sous l’effet de l’alcool pour plonger dans la piscine récupérer les pièces égarées… En Suisse depuis son adolescence, habitant seule un petit studio, elle voit son père lorsque celui-ci n’a plus de domicile et vient s’installer un temps chez elle. Elle est plus proche de sa mère, qui souffre d’une grave dépendance à l’alcool et met sa fille en position de devoir la protéger.
Quant à sa dernière rupture – après six mois où elle nous était apparue si heureuse et fière de travailler – elle en décrit le scénario récurrent : une collègue dit un mot qui la blesse et lui semble injuste ; elle quitte son lieu de travail. Mais elle s’en va en fait pour éviter le pire : «démolir» la personne qui lui fait tant de mal (elle s’est déjà battue à plusieurs reprises). Elle sait qu’elle devrait revenir et reprendre le contact, mais elle n’y arrive pas ; elle se sent coupable et ne sait comment se justifier – ce qui bien sûr aggrave sa faute aux yeux de ses employeurs et d’elle-même.
Toute cette problématique psychopathologique1 mobilisant les affects brutaux, la tentative de les contenir, leur décharge plus ou moins explosive, leur transformation en forces socialisées positives, est aussi répandue dans le quotidien de la clinique qu’elle est méconnue dans le grand public, si ce n’est dans les cas de violence avérée – comme lors du drame récent de l’ Airbus précipité au sol par son pilote – où tout le système répressif se met en branle sans que l’on n’ait l’impression que la reconnaissance de la problématique et la prévention s’en trouvent améliorées.
Par malchance, la dernière rupture de notre jeune patiente s’est produite le jour où je partais en vacances ; son médecin traitant était également en congé. A notre retour, et en l’absence de certificat médical, elle a été informée de son renvoi. Les référents sont excédés de ses disparitions attestant un manque de professionnalisme, où ils peinent à percevoir une dimension de souffrance et d’impuissance psychiques. La patiente, à nouveau marginalisée et désœuvrée, se désespère ; «Je ne sais plus quoi faire, je fais tout sauter ou j’obéis comme un mouton ?» Je l’encourage à garder espoir dans le fait qu’elle arrivera bien, à force de ténacité, à trouver sa place dans notre société. La Suisse représente en effet déjà, à mon sens, un modèle d’intégration de ses jeunes, en promouvant le modèle d’un apprentissage précoce dans le monde professionnel et en proposant une série de passerelles remettant ceux et celles qui ont décroché sur la voie d’une appartenance socio-professionnelle. Puisse notre société mieux reconnaître encore les vulnérabilités psychiques du type de celles de notre jeune patiente et apporter sa contribution à leur prise en charge – pour atténuer tant le malheur que la violence.