Les troubles du rythme sont des pathologies fréquentes qui se manifestent souvent de façon intermittente, ce qui peut rendre leur diagnostic compliqué, tout particulièrement dans le contexte ambulatoire. Ces dernières années, les progrès technologiques ont facilité l’accès du grand public à des applications de santé.Cet article passe en revue les technologies disponibles et analyse leur utilité pour le diagnostic des arythmies dans le cadre de la pratique clinique quotidienne.
Alors que la prise en charge des arythmies a progressé grâce au développement des stimulateurs cardiaques et des traitements par ablation, le diagnostic de ces pathologies reste souvent un défi, particulièrement dans deux contextes : chez les patients qui présentent des symptômes de façon sporadique et chez ceux qui sont asymptomatiques mais atteints d’arythmies potentiellement dangereuses.
Plusieurs moyens sont recommandés par les sociétés scientifiques afin de mettre en évidence les arythmies. En premier lieu, simplement par la prise de pouls (recommandation de niveau IB selon les guidelines de la Société européenne de cardiologie),1 l’électrocardiogramme (idéalement à douze pistes) et l’enregistrement en continu (Holter) ou en boucle avec un enregistreur externe. Le Holter peut effectuer un enregistrement en continu durant 24-48 heures, et plus rarement jusqu’à sept jours (ce qui prolonge considérablement la lecture et l’interprétation des données), et peut être effectué avec trois ou douze dérivations (ce dernier permet non seulement de compter les événements mais aussi de localiser l’origine anatomique de certaines arythmies). Les enregistreurs externes en boucle autrement dénommés External Loop recorder (ELR) en anglais (par exemple, R-test, Novacor Ltd, United Kingdom) enregistrent une dérivation en boucle pendant huit jours avec l’enregistrement ponctuel automatique d’événements prédéfinis (par exemple, brady ou tachycardie, fibrillation auriculaire (FA)) et permettent aussi le déclenchement manuel d’enregistrements par le patient en cas de symptômes. Le Holter s’est révélé utile dans le diagnostic d’arythmies chez 15 à 39% des patients symptomatiques sous forme de palpitations,2 mais son rendement est limité par une durée d’enregistrement relativement courte.
Au cours de ces dernières années, des nouvelles technologies vouées au diagnostic d’arythmies ont vu le jour. Le but de cet article est de les décrire et d’en évaluer leur utilité et leur fiabilité dans le contexte clinique.
La quasi-totalité de nos patients possèdent actuellement un Smartphone et/ou une tablette. De multiples applications relatives à la santé, y compris pour le diagnostic d’arythmies, sont apparues. Le médecin traitant commence donc à être confronté à des données enregistrées par son patient, ce qui rend impératif la connaissance de l’utilité de ces moyens diagnostiques. La première possibilité consiste à analyser le rythme cardiaque par l’intermédiaire de l’appareil photo et de la lumière LED qui sont incorporés dans le dispositif, et avec une application téléchargeable, comme par exemple, Cardiograph (MacroPinch Ltd, Sofia, Bulgarie). Il s’agit donc d’un pulsomètre, dont le signal est affiché sous forme d’un «pseudo-ECG» alors qu’aucun signal électrique n’est enregistré. Selon notre expérience, ces applications sont peu fiables et des artéfacts liés au mouvement du doigt appliqué contre la source de lecture peuvent être faussement interprétés comme des arythmies. Par ailleurs, des extrasystoles, ne générant pas un pouls efficace, ne seront pas visualisées par cette méthode.
D’autres possibilités plus évoluées consistent en des dispositifs incorporant une paire d’électrodes qui peuvent être couplées aux téléphones (comme un boîtier) afin d’enregistrer un ECG d’une dérivation (ressemblant à DI). Deux dispositifs sont actuellement disponibles pour le grand public, l’AliveCor (AliveCor, San Francisco, Etats-Unis) pour iPhone/Android et l’ECG Check (Cardiac Designs, Round Rock, Etats-Unis) pour l’iPhone. Le dispositif AliveCor a été validé dans le cadre de la détection d’une FA et approuvé par la Food and Drug Administration (FDA). Il enregistre un tracé de qualité suffisante pour permettre le diagnostic d’une FA (sensibilité 98%, spécificité 97%, précision globale de 97%).3 Son utilisation a également été étudiée dans le dépistage de la FA.4 Finalement, des dispositifs externes, comportant des électrodes, peuvent être connectés au Smartphone via Bluetooth afin de transmettre les données sur une plateforme web. Des exemples de ce type de dispositif sont l’eMotion ECG (Mega Electronics Ltd, Kuopio, Finlande) et le CardioSecur (Personal MedSystems GmbH, Berlin, Allemagne). Cette technologie est certes intéressante pour dépister des arythmies, mais le rendement diagnostique va dépendre de l’interprétation des données. Nous n’avons pas trouvé d’étude de validation pour ces dispositifs.
Il existe à présent plusieurs petits dispositifs disponibles pour le grand public, ressemblant à des stylos ou clés USB qui permettent l’enregistrement d’une dérivation d’ECG. C’est le cas du ME 80 (Beurer Medical, Colmar, France) ou du MyDiagnostick (Applied Biomedical Systems BV, Maastricht, Pays-Bas). Ces dispositifs peuvent être tenus entre les deux mains pour enregistrer une seule dérivation correspondant à DI, ou appliqués contre la région précordiale pour enregistrer un tracé correspondant à V5. MyDiagnostick enregistre une seule dérivation DI pendant une minute et effectue un diagnostic automatique de FA, dont le résultat est communiqué au patient sous forme de lumière verte ou rouge. Dans une étude avec 192 patients, dont 28% avaient une FA à l’ECG 12-dérivations, le diagnostic automatique par le dispositif a montré une sensibilité de 100% et une spécificité de 96%.5 Les tracés enregistrés peuvent être chargés sur un PC pour être analysés par le médecin afin de confirmer l’arythmie.
Le port d’un enregistreur externe pendant plusieurs jours est encombrant et limite les patients dans leurs activités. Ceci a motivé le développement d’enregistreurs de plus petite taille qui s’appliquent avec un adhésif (comme un sparadrap) directement sur la peau. Ces dispositifs sont disponibles à l’heure actuelle seulement aux Etats-Unis, mais le seront prochainement aussi en Europe. Le Zio Patch (iRhythm Technologies Inc., San Francisco, Etats-Unis) est un patch étanche mesurant 12 x 5 cm qui se colle directement sur la peau et permet un enregistrement en continu pendant quatorze jours. De plus, un bouton peut être activé par le patient en présence de symptômes afin de signaler un épisode sur l’enregistrement. Au terme de la période d’enregistrement, le dispositif est envoyé par courrier à un centre d’interprétation. Cette méthode s’est démontrée supérieure au Holter de 24 heures pour la détection d’arythmies, pour autant que le patch soit porté pendant une période supérieure à 48 heures.6 Néanmoins, ce dispositif fonctionne avec une seule dérivation, ce qui a des désavantages par rapport au Holter trois dérivations, notamment en ce qui concerne le changement d’axe et de durée des QRS, ainsi que l’évaluation de la présence d’ondes P. Un autre dispositif semblable est le SEEQ MCT (Medtronic Inc.) aussi adhésif, avec une durée de monitorage jusqu’à 30 jours. L’enregistrement n’est pas continu, mais fonctionne sous forme de boucle avec des enregistrements automatiques en cas d’événements rythmiques prédéfinis, ou de déclenchement manuel par le patient en cas de symptômes. Les données sont ensuite transmises à un central via un transmetteur porté par le patient, afin d’éviter une surcharge de la mémoire.7
Les enregistreurs en boucle implantables sont autrement connus en anglais comme Implantable Loop Recorder (ILR). A l’instar des ELR (comme par exemple, le R-test), les enregistrements sont déclenchés par des événements préprogrammables (brady ou tachycardie, FA) ou par l’activation du patient au moyen d’un boîtier externe qu’il applique contre le dispositif en cas de symptômes. Actuellement, trois modèles principaux d’ILR sont disponibles sur le marché suisse (figure 1 et tableau 1). Un grand avantage de ces enregistreurs est leur longue durée de vie qui permet de diagnostiquer des arythmies qui se manifestent moins fréquemment, mais dont les conséquences ne sont pas pour autant moins graves. De ce fait, ils constituent un moyen de plus en plus recommandé dans certaines situations cliniques que nous avons résumées dans ce document.
Il est important que ces appareils soient contrôlés par télémédecine pour deux raisons. La première est la détection plus rapide d’arythmies potentiellement dangereuses (mais cela implique une infrastructure et un personnel qui évalue les messages d’alerte, et d’y répondre dans des délais raisonnables). La deuxième est que cela évite le débordement de la mémoire avec «l’écrasement» de données plus anciennes potentiellement importantes, puisque les données sont transmises sur un serveur en ligne.
Les indications pour les ILR et les ELR selon les recommandations de l’European Heart Rhythm Association (EHRA) sont résumées dans le tableau 2. Des exemples de diagnostics apportés par des ILR sont illustrés dans la figure 2.
La syncope est une pathologie fréquente avec de nombreuses étiologies possibles. Dans beaucoup de cas, l’évaluation clinique est suffisante pour établir le mécanisme à l’origine de la syncope. L’étalon or est la corrélation des symptômes à un ECG simultané. Les dernières recommandations8 préconisent l’utilisation des enregistreurs implantables au début de la démarche diagnostique. Pour cela, la connaissance de la probabilité de récidive de la syncope pendant la durée de vie de l’enregistreur est importante. Chez les patients ayant présenté une syncope inexpliquée et une récidive au cours du suivi, l’enregistreur implantable a révélé ou a contribué à établir le mécanisme de la syncope dans la grande majorité des cas.9
L’étude Crystal-AF,10 randomisant 441 patients atteints d’un AVC cryptogénique (sans cause apparente) à un ILR versus un suivi conventionnel, a montré au terme de trois ans de suivi, qu’une FA était détectée chez 30% des patients implantés avec un ILR comparés à seulement 3% des patients suivis de manière conventionnelle (p < 0,001). Toutefois, si des études (actuellement en cours) viennent à démontrer qu’une anticoagulation orale empirique chez les patients avec un AVC cryptogénique permet de diminuer les AVC, des moyens perfectionnés pour dépister la FA ne seront plus indiqués.
L’ablation par cathéter est devenue un traitement établi de la FA. Au-delà des six premières semaines après l’intervention (blanking period), et afin d’évaluer le succès de celle-ci, il est important de connaître les récidives d’événements arythmiques qui peuvent être sous-estimées en l’absence de symptômes.11 Dans ce contexte, l’implantation d’enregistreurs a été étudiée avec succès12 mais pour l’instant cette indication reste limitée au domaine de la recherche, car la poursuite à long terme de l’anticoagulation orale est indiquée à partir d’un score thromboembolique CHADS-VASc ≥ 2.1
Les palpitations sont un symptôme et un motif de consultation très courants. Souvent, chez les patients avec des symptômes peu fréquents, le diagnostic est difficile à établir au moyen d’un Holter et d’un ECG. L’implantation d’un ILR dans ce contexte est une recommandation de type IIa (niveau d’évidence B) chez des patients avec des symptômes sévères et rares quand les moyens non implantables n’ont pas été contributifs (tableau 3).
Les pacemakers et défibrillateurs cardiaques contemporains sont tous dotés d’une mémoire qui permet d’enregistrer l’ECG en cas de détection d’arythmie et de rapporter de manière précise et fiable le moment de survenue, le nombre, la durée et la charge d’arythmies. Ainsi, il est en général plus utile d’interroger la mémoire du dispositif implanté que de faire un enregistrement Holter pour évaluer la présence d’arythmies. Ces dispositifs doivent toutefois être équipés d’une sonde atriale pour établir le diagnostic d’une FA (ainsi, un pacemaker simple chambre ventriculaire VVIR en est pour l’instant incapable).
Des nouveaux moyens diagnostiques d’arythmies ont vu le jour, dont certains sont disponibles pour le grand public, et restent à être validés correctement pour un usage clinique. Les Holters et les enregistreurs en boucle externes restent les moyens diagnostiques non invasifs les plus utilisés pour un monitorage de quelques jours. Des nouveaux enregistreurs sous forme de patchs autocollants seront disponibles dans un futur proche et permettront un suivi allant jusqu’à un mois. Les enregistreurs en boucle implantables, qui effectuent un suivi rythmique sur une période de plusieurs années, constituent une percée. Toutefois, leurs indications doivent être posées de manière réfléchie, en tenant compte des répercussions thérapeutiques et des coûts.
Le Pr Haran Burri a reçu des honoraires dans le cadre de programmes éducatifs menés par Biotronik et Medtronic. Le deuxième auteur de l’article n’a déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> Le médecin praticien risque d’être confronté à de nouveaux moyens diagnostiques d’arythmies disponibles pour le grand public, comme par exemple des applications sur Smartphones, dont la fiabilité reste à être démontrée
> Les méthodes classiques non invasives des arythmies sont le Holter (enregistrement en continu) et les enregistreurs en boucle externes, qui permettent un suivi durant plusieurs jours
> Les enregistreurs en boucle implantables permettent de surveiller le rythme cardiaque durant plusieurs années et sont indiqués principalement dans les syncopes d’origine indéterminée et les accidents vasculaires cérébraux cryptogéniques
Cardiac arrhythmias are common conditions that often manifest themselves intermittently, thus complicating their diagnosis, particularly in the ambulatory setting. Recently, technological advances have facilitated public access to health applications and devices. This article reviews the available technologies and analyses their usefulness for the diagnosis of arrhythmias in the context of everyday clinical practice.