L’ablation par cathéter est devenue une modalité de traitement de premier choix dans le traitement de la fibrillation auriculaire (FA), en raison des effets secondaires associés aux médicaments antiarythmiques et à leur efficacité limitée. Cependant, il n’existe actuellement aucune recommandation concernant la prophylaxie des événements thromboemboliques (TE) à plus de deux ans de suivi. Le but de notre étude était d’évaluer le risque TE, ainsi que le résultat de l’ablation de la FA après > 5 ans de suivi. Pendant un suivi moyen de neuf ans, 68% des patients ont retrouvé un rythme sinusal stable sans médicament antiarythmique. Le taux d’événements TE a été de 0,41 pour 100 patients/année. Notre étude suggère cependant que les patients ayant un risque élevé pour un événement TE (CHA2DS2-VASc ≥ 2) devraient rester sous anticoagulation orale à long terme.
La fibrillation auriculaire (FA) reste l’arythmie la plus fréquente de par le monde.1 Elle touche plus de 33 millions de personnes, selon les données de 2010, et son incidence tend à s’accroître.2 La prévalence de cette arythmie augmente considérablement avec l’âge3 et son incidence croît de presque vingt fois, entre 40 et 80 ans, avec un pic de 15 à 20/1000 par an, après 80 ans.
La FA est classifiée selon sa durée de présentation : paroxystique si elle est inférieure à sept jours, persistante si la durée est supérieure à sept jours ou si une cardioversion électrique ou médicamenteuse est nécessaire pour restaurer un rythme sinusal ; persistante de longue durée si la durée est supérieure à une année ; et enfin permanente si la FA est devenue chronique.4
D’un point de vue physiopathologique, il s’agit de différencier la FA isolée de celle associée à une pathologie sous-jacente. La FA isolée serait plutôt liée à un dérèglement électrophysiologique dans une oreillette structurellement normale, et qui serait expliqué par un phénomène de microréentrée, ou de réentrée fonctionnelle, par la présence de foyers de décharge ectopiques et/ou par un déséquilibre du système nerveux autonome, avec une prédominance vagale.5 Des mécanismes liés aux conductions circulaires (de réentrée) à travers des «gaps excitables», associées à des ondelettes, ainsi qu’une réentrée aléatoire et fonctionnelle (rotors) ont été proposés comme des moteurs de la FA isolée, en tant que source d’impulsions rapides.6 L’âge avancé et l’hypertension sont les deux facteurs fortement liés à une FA sans pathologie sous-jacente.
Récemment, plusieurs facteurs génétiques favorisant le développement de la FA ont été mis en évidence.7 En général, une cause génétique doit être suspectée chez les jeunes patients, lors d’une présentation précoce de l’arythmie et/ou dans le contexte d’une prédisposition familiale.
Une association entre la FA et un entraînement intense et régulier en endurance a aussi été bien décrite dans la littérature. Le diamètre et le volume de l’oreillette gauche, ainsi que les modifications fonctionnelles liées à la surcharge du travail chronique de l’oreillette gauche, augmentent le risque de FA.8
Enfin, il a été démontré que la présence d’un trouble de la conduction atrioventriculaire multiplie par quatre le risque de survenue d’une FA, en raison probablement du développement précoce d’une fibrose endocavitaire.9
Le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) est cinq fois plus élevé chez les patients en FA que chez les patients sans arythmie. De plus, les AVC secondaires à la FA sont souvent de plus grande taille, associés à des déficits neurologiques plus importants et nécessitant une hospitalisation plus longue.10
Vanassche et coll. ont récemment décrit que le type de FA était un facteur prédictif indépendant du risque d’AVC. Les patients atteints d’une FA permanente ont un risque d’AVC plus important que les patients avec une FA paroxystique ou persistante.11 De ce fait, pour chaque patient en FA, il est important d’évaluer le risque-bénéfice d’un traitement d’anticoagulation orale (ACO), qui reste à ce jour le seul moyen prouvé afin de réduire le taux de mortalité.
L’ablation par radiofréquence comme traitement de la FA a été introduite en 1998.12 De nombreuses études ont montré la supériorité de l’ablation par rapport au traitement antiarythmique (TAA) pour le maintien du rythme sinusal à un an de suivi (taux de succès de l’ablation estimé entre 70 et 90%) et pour l’amélioration de la qualité de vie.13–15
Selon les dernières guidelines européennes de 2012, l’ablation de la FA paroxystique symptomatique chez les patients sous TAA est considérée comme une recommandation de classe I, avec un niveau d’évidence A. Concernant la FA persistante symptomatique, résistant au TAA, l’indication à l’ablation est classifiée comme IIa, avec un niveau d’évidence B.16 Cependant, le taux de succès dans le maintien du rythme sinusal à plus de cinq ans reste incertain à cause d’un manque de données disponibles, ceci en raison d’un suivi rythmique à long terme difficile et de récidives souvent silencieuses.17 Par ailleurs, il n’existe actuellement aucune recommandation proposée par les guidelines européennes de cardiologie, concernant le maintien du traitement d’ACO ou le suivi rythmique à long terme.16,18,19
L’objectif de notre étude20 était d’évaluer le devenir des patients ayant bénéficié d’une ablation de FA, il y a plus de six ans.
Tous les patients ayant eu une première ablation de FA dans notre centre entre 2002 et 2005 ont été recontactés.
Un questionnaire a été envoyé à chacun afin de recueillir leurs symptômes, des renseignements concernant de possibles complications survenues après l’intervention ainsi que l’état de leur médication actuelle. Leur dossier médical aux HUG a été revu, et leur médecin traitant recontacté, pour vérifier les événements cardiologiques apparus pendant le suivi.
Les examens suivants ont été demandés : 1) une évaluation du rythme cardiaque par enregistrement continu de 24 heures, de 48 heures, par R test de sept jours, ou encore par contrôle de pacemaker ou de défibrillateur quand cela était possible. 2) Une échocardiographie transthoracique.
Tous les patients ayant refusé de participer à l’étude et les patients sans suivi n’ont pas été inclus.
Sur un total de 264 patients, 48 ont refusé de participer, 38 ont été perdus dans le suivi et 14 sont décédés. Finalement, 164 patients ont été inclus dans l’étude.
Concernant les caractéristiques de base, 81% des patients étaient de sexe masculin, 72% ont été traités pour une FA paroxystique et 63% avaient un score CHADS-VASc < 2. Le suivi moyen était de neuf ans (7,7-10,5 ans).
La technique d’ablation par radiofréquence consistait en une isolation électrique des quatre veines pulmonaires par ablation segmentaire, avec des lésions linéaires supplémentaires dans l’oreillette gauche pour les patients en FA persistante.21,22
Après la procédure, le traitement d’ACO a été repris et chaque patient a bénéficié d’une surveillance rythmique à 1, 3, 6 et 12 mois. Le suivi au-delà d’une année a été effectué à discrétion par le médecin ou le cardiologue traitant.
Le succès de l’ablation a été défini par l’absence de récidive d’arythmie atriale (FA, flutter ou tachycardie atriale) de plus de 30 secondes, trois mois après ablation (blanking period).
L’évaluation du rythme cardiaque a été principalement effectuée avec un enregistrement Holter de 24 heures (chez 60% des patients), et avec un enregistrement Holter de sept jours dans 30% des cas.
Nos résultats ont démontré que 111 patients (68%) étaient en rythme sinusal stable lors du dernier suivi (figure 1), et parmi eux, 68% n’avaient bénéficié que d’une seule intervention, alors que 5% avaient eu besoin de ≥ 3 ablations. Lors du suivi, 89% des patients ont arrêté leur traitement d’ACO et 94% leur TAA.
Dans notre population, la dyslipidémie (OR : 2,95 ; IC 95% : 1,49-5,94 ; p = 0,003), un score CHA2DS2-VASc ≥ 2 (OR :3,22 ; IC 95% : 1,63-6,39 ; p = 0,001), ainsi que le traitement avec l’amiodarone (OR : 5,64 ; IC 95% : 2,34-13,6 ; p < 0,001) ont été identifiés comme des facteurs prédictifs de récidive d’une arythmie. Par contre, lors d’une analyse multivariée, seuls le score CHA2DS2-VASc ≥ 2 et l’utilisation de l’amiodarone ont été identifiés comme des facteurs prédictifs de récidive d’arythmie. Le type de FA, le nombre d’ablations, l’âge, le sexe, l’hypertension ou la taille initiale de l’oreillette gauche n’ont pas été prédictifs de récidives durant le suivi à long terme de notre étude.
Concernant les 53 patients en récidive d’arythmie au suivi final, 37 étaient initialement en FA paroxystique, et 19 d’entre eux ont vu leur FA progresser vers une FA persistante. Cependant, aucun facteur spécifique n’a été identifié comme prédicteur de la progression de l’arythmie.
Durant le suivi à très long terme, sept événements thromboemboliques (TE), comme un AVC ou un AIT (accident ischémique transitoire), ont été rapportés (taux de 0,41 événements pour 100 patients/année).
Six de ces patients étaient considérés comme étant en rythme sinusal et avaient arrêté leur traitement d’ACO. Deux sont décédés des suites d’un AVC. Le score CHA2DS2-VASc moyen de ces sept patients a été calculé à 3,1 ± 1,7 (tableau 1). Enfin, parmi les treize patients qui avaient un antécédent TE avant l’ablation, dix n’ont pas eu de récidive d’arythmie lors du suivi, seulement un a eu un AVC, mais sans évidence de récidive d’arythmie (patient en rythme sinusal), et huit étaient sans traitement ACO. Il est à noter que le score CHA2DS2-VASc moyen était de 3,2 ± 1, mais aurait été seulement de 1,2 ± 1, si l’antécédent TE préablation n’avait pas été pris en compte.
De plus, dans notre étude, sur quatorze décès rapportés pendant le suivi à long terme, uniquement deux ont été associés à la FA (précédemment cités). Ce qui correspond à 0,58 décès pour 100 patients/année.
Notre étude représente le plus long suivi rapporté dans la littérature de patients ayant bénéficié d’une ablation de FA. Ce travail a montré que l’ablation par radiofréquence reste une technique relativement sûre même à long terme (absence d’augmentation de la mortalité corrélée avec l’intervention) avec un suivi moyen de neuf ans. Dans notre étude, le risque TE après ablation de FA est estimé à 0,41 pour 100 patients/année. Ce taux relativement faible pourrait être expliqué par la sélection de nos patients, 63% d’entre eux ayant un score CHA2DS2-VASc < 2. Cependant, selon une étude de Go et coll.,23 le risque TE pour un groupe de patients en FA, traités avec TAA et ACO et avec un score CHA2DS2-VASc < 2, a été estimé à 0,72 pour 100 patients/année.
Le mécanisme protecteur de l’ablation reste encore inconnu, mais plusieurs hypothèses peuvent être avancées : un effet positif sur le remodelage cardiaque, un suivi des patients plus rigoureux après l’ablation, ou une sélection de patients avec peu de comorbidités pourraient expliquer les effets préventifs d’événements TE de l’ablation.
Par contre, chez les patients avec un score CHA2DS2-VASc ≥ 3, nos résultats ont montré une augmentation importante du risque TE, et cela malgré une ablation réussie.24,25
Notre étude est en concordance avec les recommandations des guidelines européennes :16 chez les patients avec un score CHA2DS2-VASc ≥ 2, le traitement d’ACO devrait être poursuivi à long terme, et cela même si l’ablation est réussie.
Enfin, il est à noter que dans le contexte de la FA, seulement la moitié des AVC ischémiques est d’origine cardioembolique, l’autre moitié, d’origine non cardioembolique, est généralement associée à la progression des facteurs de risque cardiovasculaires (par exemple, rupture d’une plaque athéromateuse). Il est de ce fait important d’évaluer le risque global d’incidents TE avec le score CHA2DS2-VASc. Au vu d’une population vieillissante qui présente de multiples comorbidités, il reste impératif d’évaluer le risque hémorragique d’un traitement d’ACO à long terme. Le score HAS-BLED (Hypertension, Abnormal renal and liver function, Stroke, Bleeding, Labile INR, Elderly, Drug or alcool, avec un point par item) a été développé afin de stratifier le risque de saignement.26 Généralement, le bénéfice de la prévention de l’AVC avec les ACO surpasse encore le risque hémorragique, lorsque le score HAS BLED est ≥ 3.27,28
Les mécanismes de récidives de FA à long terme sont certainement liés à la progression de la maladie rythmique et au remodelage cardiaque, et ceci en corrélation avec l’augmentation des comorbidités liées à l’âge croissant des patients.
Dans notre étude, la majorité des récidives de FA sont survenues dans les vingt premiers mois après l’ablation. Comme certaines études l’ont déjà rapporté, la récidive de FA durant les deux premières années suivant l’ablation est principalement due à une reconnexion des veines pulmonaires. Cependant, à long terme, seule une nouvelle intervention invasive avec un «mapping» électrique de l’oreillette gauche et des veines pulmonaires permettrait de mieux comprendre le mécanisme de la récidive de FA. Nos résultats montrent que les récidives sont en corrélation avec un score CHA2DS2-VASc élevé et avec une dyslipidémie. De plus, l’amiodarone a été associée à un taux de récidives plus élevé et pourrait de ce fait être un indicateur d’une FA associée à un substrat plus avancé, comme par exemple, une fibrose atriale étendue.
Notre étude est limitée en raison du nombre restreint de patients (uniquement 62% d’entre eux ont terminé l’étude) et les résultats reflètent l’expérience d’un seul centre (HUG). Evidemment, des données prospectives restent nécessaires pour confirmer ces résultats.
Le suivi de l’ablation de la FA à long terme rapporté dans notre étude apparaît comme favorable, mais reste encore à être évalué prospectivement.
Selon notre pratique actuelle, nous recommandons d’effectuer un contrôle clinique à un mois incluant un électrocardiogramme (ECG) et un enregistrement rythmique de 24 heures au minimum, ainsi qu’à trois mois avec un ECG, un enregistrement rythmique, une échocardiographie transthoracique et un test d’effort. Un contrôle rythmique à six mois et à une année est aussi conseillé. Après cette période, nous préconisons une surveillance rythmique annuelle (tableau 2).
Le TAA pourrait être arrêté après 1-3 mois chez les patients ayant subi une ablation d’une FA paroxystique ; en revanche, en cas d’une FA persistante ou permanente, le TAA devrait être stoppé seulement trois à six mois après ablation, en l’absence de récidive.
Le traitement d’ACO devrait être par contre poursuivi chez les patients avec un score CHA2DS2-VASc ≥ 2.
Les ressources et articles utilisés pour l’élaboration de cette revue ont pu être identifiés grâce à une recherche Medline. Les articles inclus dans la liste de références sont des travaux originaux qui ont été utilisés pour couvrir les sections principales de la revue, à savoir : la pathophysiologie et le traitement de la fibrillation auriculaire, le risque thromboembolique à long terme après ablation, le traitement anticoagulant à long terme et la prise en charge après l’ablation de la fibrillation auriculaire.
> Après une ablation de fibrillation auriculaire, nous recommandons un suivi clinique à 1, 3, 6 et 12 mois, puis annuellement
> Le traitement d’anticoagulation orale (ACO) devrait être poursuivi chez les patients avec un risque élevé d’événements thromboemboliques (score CHA2DS2-VASc ≥ 2)
Catheter ablation (CA) has emerged as an increasingly popular treatment option for selected patients with atrial fibrillation (AF) because drugs are frequently limited by side effects and poor effectiveness. However, very little data is available regarding outcomes of CA of AF beyond 5 years. Guidelines’ recommendations are not clear regarding long-term oral anticoagulation (OAC) after 2 years. We assessed thromboembolic events (TE) and AF ablation outcomes at very long-term follow-up (> 5 years) after CA. During a mean follow-up of 9 years after CA, 68% patients were in stable sinus rhythm without anti-arrhythmic drugs and the TE event rate was 0.41 per 100 patients/year. Our data suggests that patients post ablation with a high risk for stroke (CHA2DS2-VASc ≥ 2) should however continue OAC treatment.