Le diabète de type 2 est une pathologie fréquente, présente chez 6,4% de la population mondiale.1 Sa prévalence ne cesse d’augmenter et suit de près celle de l’obésité. Actuellement, 80% des patients diabétiques de type 2 sont en surpoids ou même obèses. Ces deux pathologies représentent des facteurs de risque cardiovasculaires indéniables. La plupart des traitements antidiabétiques actuels mènent à un «hyperinsulinisme» endo ou exogène. Cela conduit généralement à une prise pondérale, puis à une augmentation de la résistance à l’insuline et, en conséquence, à une majoration du traitement antidiabétique, créant ainsi un cercle vicieux. Il est admis qu’une perte pondérale, même modeste (5-10% du poids), est associée à une amélioration significative du contrôle glycémique, lipidique, et tensionnel.2 Les analogues du GLP-1 (Glucagon-like peptide-1) et les inhibiteurs du SGLT-2 (cotransporteur sodium/glucose de type 2) présentent un intérêt particulier en ce sens, avec leur impact sur le poids, permettant d’éviter cette spirale infernale prise pondérale-augmentation de la résistance à l’insuline. Cet article a pour but de passer en revue les caractéristiques et impacts de ces deux nouvelles classes thérapeutiques, quand les introduire et pour quel patient.
L’Association américaine du diabète et l’Association européenne pour l’étude du diabète ont établi de nouvelles recommandations de la prise en charge du diabète en 2015.3 Cette révision était nécessaire, compte tenu des multiples antidiabétiques oraux mis sur le marché depuis 2012. Elles recommandent toujours une approche personnalisée, avec une cible d’hémoglobine glyquée (HbA1c) à adapter en fonction des comorbidités, de l’espérance de vie, des complications vasculaires, des attentes et de l’adhérence du patient. La première étape de la prise en charge reste les mesures hygiéno-diététiques. Si cela s’avère insuffisant, la metformine est l’antidiabétique oral (ADO) de premier choix. En cas de contre-indications ou d’intolérance à la metformine, un autre ADO peut être introduit en monothérapie (sulfonylurée, thiazolidinedione, inhibiteur de la DPP-4 (dipeptidyl peptidase 4) ou inhibiteur du SGLT-2). Si l’objectif thérapeutique n’est pas atteint, il est admis de faire une escalade thérapeutique en commençant par combiner deux ou trois ADO, et en finissant par l’introduction d’insuline seule ou avec au moins un ADO ou un analogue du GLP-1. Chez un patient diabétique et obèse, une attention particulière est portée à la perte pondérale. Des modifications hygiéno-diététiques et, en cas d’échec, l’introduction d’antidiabétiques permettant une réduction du poids sont préconisées. Les deux classes thérapeutiques ayant cet effet sont les analogues du GLP-1, connus maintenant depuis plusieurs années, et les inhibiteurs du SGLT-2 qui font leur apparition depuis 2013 avec une première autorisation en Suisse en janvier 2014.
L’effet incrétine est décrit par trois équipes entre 1964 et 1967, qui mettent en évidence une réponse insulinique plus importante à une charge glucidique donnée per os par rapport à la même quantité donnée par voie intraveineuse. Les incrétines sont des hormones du tractus digestif sécrétées en réponse à un apport glucidique oral (repas contenant des hydrates de carbone). Les deux hormones les mieux connues sont le GLP-1 et le GIP (glucose-dependent insulinotropic peptide). Elles sont désactivées en une minute après leur sécrétion par l’enzyme DPP-4 (d’où l’intérêt des inhibiteurs de la DPP-4, non discuté dans cet article).4 Ces incrétines stimulent la sécrétion d’insuline, inhibent celle du glucagon et ralentissent la vidange gastrique. Dans le diabète de type 2, le GIP perd son activité insulino-sécrétante en réponse à une charge glucidique alors que la GLP-1 la conserve. Les analogues du GLP-1 permettent d’améliorer l’équilibre glycémique par les effets précités, ainsi qu’en diminuant la motilité gastrique, l’appétit, et en augmentant la satiété. Ces effets sont décrits dans la figure 1.
Les analogues du GLP-1 disponibles en Suisse sont les suivants : l’exénatide (Byduréon, Byetta) et le liraglutide (Victoza). De nouveaux analogues devraient être bientôt disponibles sur le marché (lixisenatide et albiglutide).
Les analogues du GLP-1 sont séduisants par leurs effets pléiotropes (tableau 1). De par la diminution de la vidange gastrique et leur action centrale sur la satiété, ils diminuent la prise calorique et permettent donc une perte pondérale. Celle-ci est variable selon les individus (en moyenne 2,9 kg),6 non prévisible, mais proportionnelle au poids de départ. Des études ont montré que ces molécules permettent une diminution de l’HbA1c de 1%.7 Contrairement à certains traitements antidiabétiques, ces médicaments ne provoquent pas d’hypoglycémies ; la sécrétion d’insuline est dépendante de la glycémie et la stimulation des récepteurs du GLP-1 avec une glycémie normale ou basse ne provoque pas de réponse insulinique. Ces molécules ont un impact bénéfique sur le bilan lipidique, avec une diminution modeste du LDL-c (en moyenne 0,2 mmol/l), du cholestérol total et des triglycérides, sans impact sur le HDL-c.8 Le mécanisme n’est pas encore compris et peu d’études ont été réalisées. Les agonistes du GLP-1 ont un effet modeste sur la diminution de la tension artérielle, avec une réduction de 2 à 4 mmHg de la tension artérielle systolique.9 Ses effets vasodilatateurs et centraux ainsi que la perte pondérale semblent jouer un rôle sur la tension artérielle, mais le mode d’action n’est pas connu. Pour finir, des études sont actuellement en cours pour déterminer si les analogues du GLP-1 ont un impact sur les complications macrovasculaires (LEADER,10 EXSCEL11) ou microvasculaires (EGOFIP12).
Ces molécules possèdent certains inconvénients (tableau 1), comme des effets gastro-intestinaux (nausées, vomissements) variables selon les patients (20-50%)13 et s’atténuant dans les semaines qui suivent l’introduction du traitement. Pour des questions de pharmacocinétique, l’administration de ces peptides est sous-cutanée, ce qui peut mener à certaines réactions aux sites d’injections. Les agonistes du GLP-1 sont à éviter (sans que cela soit formellement contre-indiqué) lors d’insuffisance rénale modérée à sévère, de pathologies gastro-intestinales et d’antécédents de pancréatite, bien que l’avènement de pancréatite sous ce traitement reste controversé. Ces traitements sont bien plus chers que les ADO conventionnels.
Les agonistes du GLP-1 peuvent être prescrits en association à la metformine, aux sulfonylurées ou aux thiazolidinediones, ainsi qu’à l’insuline.2 L’usage en première intention n’est pas recommandé en Suisse.
Les reins filtrent et réabsorbent quotidiennement environ 180 g de glucose. Les récepteurs SGLT-2 se trouvent dans les tubules rénaux proximaux et permettent la réabsorption de 90% du glucose filtré par le glomérule (le reste est réabsorbé par les récepteurs SGLT-1). Lorsque la glycémie franchit un certain seuil (environ 11 mmol/l, mais variable d’un individu à l’autre), la capacité de réabsorption des SGLT est dépassée, ce qui mène à une glycosurie. Chez les patients diabétiques, le nombre de récepteurs SGLT-2 augmente, ce qui accroît la réabsorption du glucose et favorise l’hyperglycémie. Les inhibiteurs du SGLT-2 permettent donc de diminuer la réabsorption du glucose filtré en provoquant une glycosurie (figure 2).
Les inhibiteurs du SGLT-2 existant en Suisse sont, dans l’ordre de commercialisation, la canagliflozine (Invokana), la dapagliflozine (Forxiga) et l’empagliflozine (Jardiance). D’autres molécules sont en cours de développement, telles que la luséogliflozine.
Cette classe d’ADO a un mode d’action complètement différent des molécules conventionnelles, ce qui lui confère de nombreux avantages (tableau 2) et la rend complémentaire aux autres traitements existants. Ayant une action indépendante de l’insuline, les inhibiteurs du SGLT-2 peuvent être utilisés lorsque la sécrétion d’insuline endogène est abaissée, à un stade avancé du diabète. Il existe un bénéfice sur le contrôle glycémique, avec une baisse de l’HbA1c de 1% en moyenne.15 Le risque d’hypoglycémie est équivalent au placebo.13 Une perte pondérale est également retrouvée et expliquée par la perte calorique de glucose dans l’urine. Les patients perdent en moyenne 2 kg, et il s’agit d’une perte de masse grasse essentiellement.16 Ce traitement semble intéressant chez les patients très résistants à l’insuline ; les gliflozines permettent une diminution drastique des besoins en insuline, ce qui confère un intérêt certain contre la prise pondérale.17 Une diminution de la tension artérielle est également observée dans plusieurs études, avec une moyenne de 4 mmHg sur la tension systolique.15 Ceci s’explique probablement par la diurèse osmotique liée à la glycosurie. Une diminution de l’acide urique plasmatique et de l’albuminurie a été observée, mais leur implication clinique n’est pas connue.18 L’action diversifiée (poids, contrôle diabétique, tension artérielle…) de ce traitement pourrait diminuer le risque cardiovasculaire, de façon indirecte. Il n’existe toutefois pas d’étude permettant de conclure à cela. Des études de longue durée sont en cours pour déterminer les bénéfices des inhibiteurs du SGLT-2 sur les risques cardiovasculaires (CANVAS19 et EMPA-REG Outcome20).
Les inhibiteurs du SGLT-2 présentent quelques inconvénients (tableau 2), tels que le risque d’infection du tractus urinaire, particulièrement chez la femme, de balanites et de candidoses vaginales. Les infections décrites sont des infections basses et semblent s’amenuiser tout au long du traitement.15 Une augmentation (réversible) de la créatininémie est attendue en début de traitement.21 D’ailleurs, ces traitements sont moins efficaces chez les patients avec une insuffisance rénale. Pour assurer leur effet, la dapagliflozine peut être utilisée jusqu’à une clairance > 60 ml/min/1,73 m2 et les deux autres molécules jusqu’à 45 ml/min/1,73 m2. La prescription chez les patients âgés ou des patients avec un status intravasculaire précaire doit être prudente, car ils présentent plus souvent des effets indésirables, tels qu’une hypotension orthostatique, une diminution de la clairance rénale et une susceptibilité aux hypoglycémies. De plus, une légère augmentation d’incidence de fractures est rapportée chez les patients traités par canagliflozine ou dapagliflozine.22 Pour le moment, il n’existe pas d’explication à cette trouvaille et il convient d’être prudent lors de la prescription de ces traitements chez les patients ostéoporotiques. Certaines études montrent une augmentation du LDL-c d’environ 5% en moyenne,23 surtout pour la canagliflozine. L’implication clinique est à étudier. Le coût de ces médicaments est élevé par rapport aux molécules plus anciennes.
La place exacte des gliflozines dans l’algorithme de prise en charge du diabète reste à déterminer. Depuis 2012, les guidelines internationales proposent l’introduction de ce traitement en monothérapie, si la metformine est contre-indiquée ou mal supportée. En Suisse, les trois gliflozines sont acceptées en monothérapie d’emblée selon Swissmedic. Les patients qui, a priori, bénéficieraient le plus des inhibiteurs du SGLT-2 sont ceux avec un surpoids, sensibles aux hypoglycémies ou avec une hypertension artérielle mal contrôlée. L’enthousiasme de ce nouvel ADO doit être balancé avec le faible recul sur sa sécurité.
Les analogues du GLP-1 et les inhibiteurs du SGLT-2 sont deux traitements récents du diabète, avec des cibles différentes et complémentaires. Les premiers ciblent les systèmes digestif et nerveux central, les seconds le rein. Leur utilisation est séduisante chez les patients en surpoids et/ou sensibles aux hypoglycémies. Chacun d’entre eux présente des caractéristiques différentes, résumées dans le tableau 3. Il n’y a pas encore d’étude disponible associant ces deux molécules. Toutefois, au vu des mécanismes d’action de chacune d’entre elles, il semblerait que leur utilisation commune permettrait une approche complémentaire et élégante sur le contrôle glycémique, particulièrement chez les patients en surpoids. Dans un avenir proche, des études d’association de ces deux traitements chez les diabétiques en surpoids ou obèses devraient commencer. L’utilisation des inhibiteurs du SGLT-2 sera probablement aussi discutée pour traiter le diabète de type 1.
A l’heure des épidémies de maladies chroniques telles que l’obésité associée au diabète de type 2, des options thérapeutiques récentes s’axant sur plusieurs cibles surgissent, comme les analogues du GLP-1 et les inhibiteurs du SGLT-2. Ces molécules ont des effets pléiotropes enrichissant la thérapeutique actuelle, avec notamment une perte pondérale associée, permettant un meilleur contrôle du diabète. Cette approche s’inscrit dans la démarche de lutte validée contre les divers facteurs de risque cardiovasculaires, afin de diminuer la mortalité. Le choix entre ces deux molécules doit prendre en considération plusieurs aspects comme la glycémie ciblée par le traitement, le poids, la voie d’administration, les effets secondaires, le terrain et les comorbidités de chaque patient, ainsi que les contre-indications de chaque classe thérapeutique, sans oublier leur différence de coût. Il convient toutefois de rester prudent lors de l’utilisation de ces nouvelles molécules, n’ayant ni le recul nécessaire ni des études à large échelle portant sur la morbi-mortalité cardiovasculaire.
> Les agonistes du GLP-1 (Glucagon-like peptide-1) et les inhibiteurs du SGLT-2 (cotransporteur sodium/glucose de type 2) permettent une perte pondérale, un bon contrôle glycémique avec peu de risques d’hypoglycémies, et même un léger effet bénéfique sur la tension artérielle
> Il s’agit de traitements coûteux
> Les inhibiteurs du SGLT-2 peuvent être utilisés en monothérapie en première intention et aux stades avancés du diabète
> Ces traitements peuvent s’associer à une insulinothérapie, les agonistes du GLP-1 pouvant remplacer une insuline prandiale et tous deux permettent de diminuer les besoins en insuline en limitant la prise pondérale in fine
> L’association agonistes du GLP-1 et inhibiteurs du SGLT-2 n’est pas autorisée, car non étudiée, mais serait intéressante de par leurs mécanismes complémentaires