La cigarette électronique est un dispositif conçu pour fournir de la nicotine sans fumée de tabac en produisant de la vapeur absorbée par inhalation comme en fumant. La cigarette électronique comprend une batterie produisant de l’énergie pour activer une résistance qui chauffe un liquide contenu dans un réservoir et qui est à base de propylène-glycol et/ou glycérine pour produire de la vapeur inhalée par l’utilisateur ou «vapoteur» (figure 1).
Les liquides et la vapeur des cigarettes électroniques contiennent plusieurs types de substances :1,2
propylène-glycol et/ou glycérine qui représentent 95% du contenu et qui n’ont pas d’effet toxique connu ;
nicotine à différentes concentrations pour les modèles avec nicotine ;
arômes : tabac, menthol, cannelle, fruits, café, vanille, chocolat, etc. ;
impuretés du tabac : nitrosamines, formaldéhyde, acroléine, hydrocarbures, métaux lourds, dont les taux sont jusqu’à 450 fois plus bas que dans la fumée du tabac ;
additifs comprenant parfois des médicaments.
Comme il n’y a pas de combustion, la vapeur de la cigarette électronique ne contient ni goudrons ni monoxyde de carbone ni particules fines.
Le vapoteur est clairement exposé aux substances ci-dessus mais on ignore quelle est l’exposition réelle à ces substances et leurs effets en cas d’inhalation passive. La grande variabilité du contenu entre les marques augmente encore l’incertitude.2 L’éventuelle nocivité de l’exposition passive à la vapeur de cigarette électronique est certainement bien inférieure à l’exposition passive à la fumée du tabac.
La cigarette électronique permet de fournir de la nicotine avec des pics plasmatiques de nicotine plus rapides et généralement plus hauts que ceux obtenus par les substituts nicotiniques. En moyenne, ces pics plasmatiques de nicotine sont plus bas et moins rapides que ceux obtenus avec une cigarette combustible mais certains fumeurs parviennent à obtenir des taux similaires. Ces propriétés suggèrent que la cigarette électronique entraînerait moins d’addiction et pourrait être une substitution nicotinique pour aider à l’arrêt du tabac. La cigarette électronique avec nicotine permet de réduire en 1 à 5 minutes l’envie de fumer et reproduit le «hit nicotinique», qui est une sensation agréable au fond de la gorge lors d’inhalation de nicotine suivie rapidement du plaisir et le soulagement du sevrage. En raison de ces caractéristiques pharmacocinétiques, les vapoteurs trouvent en général plus satisfaisant l’apport en nicotine par la cigarette électronique que par les substituts nicotiniques.3,4
Soixante à 86% des vapoteurs estiment que la cigarette électronique les aide à réduire leur consommation de cigarettes combustibles5,6 et améliore leur sentiment d’efficacité personnelle pour contrôler le tabagisme. Parmi les vapoteurs qui ont arrêté de fumer, 42 à 99% estiment que les cigarettes électroniques les ont aidés.5,6
L’usage de la cigarette électronique a explosé au cours de ces dernières années. En Suisse, l’enquête du monitorage des addictions montre qu’en 2013, 6,7% de la population avaient utilisé au moins une fois une cigarette électronique.7 Cependant, cet usage reste largement expérimental et occasionnel puisque 5,6% l’avaient utilisée plus de 30 jours avant l’enquête alors que 1,1% l’avait utilisée dans les 30 derniers jours et 0,1% quotidiennement.7 L’usage de cigarette électronique est plus répandu chez les hommes (8,3%), les adolescents de 15 à 19 ans (15,8%) et les jeunes adultes de 20 à 24 ans (16,1%).7 La très grande majorité des consommateurs de cigarette électronique sont des fumeurs quotidiens et occasionnels, aussi bien pour l’usage expérimental que régulier. Ainsi, 28,5% des fumeurs rapportent l’avoir utilisée il y a plus de 30 jours, 5,5% dans les 30 derniers jours et 0,4% quotidiennement.7 L’utilisation de la cigarette électronique par des non-fumeurs est extrêmement faible puisque 1,7% l’a expérimentée, 0,4% l’a utilisée au cours des 30 derniers jours et aucun ne rapporte d’usage quotidien.7 Dans une autre étude suisse, 89,2% des vapoteurs étaient des fumeurs de cigarettes combustibles, 8,8% des ex-fumeurs et 2% n’avaient jamais fumé.8 Une écrasante majorité (96,5%) des utilisateurs employent une cigarette électronique avec nicotine, qui est considérée comme plus plaisante et avec un plus grand potentiel d’aide à la réduction et à l’arrêt du tabac.9
Les raisons motivant l’usage de cigarette électronique sont multiples : réduction du tabagisme sans projet d’arrêt (28%) ou en vue d’un arrêt (27%) ; ne pas exposer ni déranger autrui à cause de la fumée (21%), arrêt du tabac ou prévention de la rechute du tabagisme (20%).7
Les données présentées proviennent d’études qui utilisaient des cigarettes électroniques de première génération (cigalikes). Elles ont des batteries plus faibles, des réservoirs plus petits, délivrent la nicotine moins vite et avec des pics plasmatiques plus bas que les modèles de deuxième génération (pen type ou tank type). Les études sur ces nouveaux modèles sont en cours et ils pourraient être plus efficaces que les anciens, vu la pharmacocinétique plus rapide de la nicotine.1
Dans un essai clinique, parmi 657 sujets motivés à cesser de fumer, la cigarette électronique de première génération avait une efficacité similaire au patch de nicotine sans différence significative sur l’abstinence de tabac à six mois : 7,3% avec une cigarette électronique contenant de la nicotine, 5,8% avec un patch de nicotine et 4,1% avec une cigarette électronique sans nicotine.10 Cependant, cette étude n’avait pas la puissance statistique suffisante pour détecter un effet réaliste par rapport aux deux groupes contrôles.
Un autre essai clinique sur 300 sujets non motivés à cesser de fumer a permis d’obtenir des taux d’arrêt du tabac à un an un peu plus élevés avec deux dosages de nicotine (9-13%) que sans nicotine (4%) mais sans différence statistiquement significative.11 Selon la même étude, 9-12% des sujets ont diminué leur consommation de tabac de plus de 50%, suggérant que la cigarette électronique avec ou sans nicotine pourrait aider à réduire le tabagisme. Malgré quelques différences en faveur de la cigarette électronique à certains points à court terme, il n’y a globalement pas de différence significative au-delà de trois mois chez les sujets qui ont continué à fumer.11 Cependant, le modèle de cigarette électronique utilisé dans cette étude était très peu performant en ne délivrant que des faibles doses de nicotine et avec de nombreuses dysfonctions.
Dans une méta-analyse combinant les deux essais cliniques précédents, la cigarette électronique avec nicotine augmente significativement le taux d’arrêt du tabac à six mois ou plus, par rapport à la cigarette électronique sans nicotine (RR : 2,29 ; IC 5% : 1,05-4,96) mais pas face au patch de nicotine (RR : 1,26 ; IC 95% : 0,68-2,34).12 La même méta-analyse démontre que la cigarette électronique avec nicotine a un effet significativement supérieur sur la réduction du tabagisme comparativement à la cigarette électronique sans nicotine (RR : 1,31 ; IC 95% : 1,02-1,68) et au patch de nicotine (RR : 1,41 ; IC 95% : 1,2-1,67).12
Dans une étude de cohorte d’un an, 46% des sujets qui étaient initialement vapoteurs et fumeurs avaient cessé de fumer, alors que seulement 6% des ex-fumeurs vapoteurs avaient rechuté dans le tabagisme.13
Dans une grande étude de cohorte anglaise chez des fumeurs qui tentent de cesser de fumer sans aide professionnelle, le taux d’abstinence du tabac est significativement supérieur chez les usagers de la cigarette électronique avec nicotine en comparaison des sujets utilisant des patchs de nicotine (RR : 1,63 ; IC 95% : 1,17-2,27) ou aucune aide pharmacologique (RR : 1,61 ; IC 95% : 1,19-2,18).14
Ces résultats suggèrent mais ne permettent pas de conclure avec certitude à l’efficacité de la cigarette électronique sur l’arrêt et la réduction du tabagisme. En effet, les données actuelles disponibles n’apportent qu’un bas niveau de preuves scientifiques en raison de l’effet modéré ainsi que du type, du petit nombre et des limites méthodologiques des études.12
Chez les fumeurs qui n’ont pas l’intention d’arrêter de fumer, les cigarettes électroniques favorisent les arrêts complets du tabac ou la réduction validée biologiquement d’au moins 50% de la consommation sur une période de 24 mois.11 On ne connaît aucune autre méthode pour produire des diminutions de tabagisme aussi fréquentes et aussi durables chez des fumeurs non motivés à cesser de fumer. Il est possible qu’une grande partie de l’effet motivationnel vienne de l’amélioration de l’efficacité personnelle et d’une forme de prétraitement par un substitut nicotinique.15
Les fumeurs qui consomment à la fois une cigarette électronique et des cigarettes combustibles tendent à baisser leur consommation de tabac, confirmée par la réduction du monoxyde de carbone expiré.11 Comme les fumeurs vapoteurs inhalent approximativement la même quantité de nicotine mais nettement moins de substances toxiques, la cigarette électronique apparaît comme un instrument intéressant pour la réduction des risques.
Les études prospectives n’ont rapporté aucun effet indésirable sévère lié à l’usage de la cigarette électronique. Les effets rapportés sont légers ou modérés et incluent une irritation buccale et pharyngée, une toux et des palpitations.1,10–12,16
Les données à disposition suggèrent que les risques liés à l’exposition au propylène-glycol et à la glycérine sont faibles.17 Cependant, on ne peut exclure un risque à long terme dû à l’usage répété et prolongé par inhalation.
La nicotine de la cigarette électronique n’entraîne probablement aucune toxicité importante, notamment sur le système cardiovasculaire, par extrapolation des études et de la pharmacovigilance qui ont démontré que les substituts nicotiniques étaient des produits sûrs.16
Des rares cas de pneumonie lipidique chez des vapoteurs ont été rapportés et pourraient être causés par l’inhalation d’huile qui ne devrait pas se trouver dans les liquides de remplissage.18 Ce risque pourrait être plus important pour certains consommateurs qui fabriquent leurs propres mélanges de liquides en utilisant des huiles.
Un risque potentiel de la cigarette électronique est l’intoxication à la nicotine par ingestion des liquides de remplissage, qui peut être accidentelle, notamment par des enfants, ou intentionnelle à but suicidaire.19 Même s’ils ont augmenté depuis l’avènement de la cigarette électronique, ces événements sont très rares, n’ont presque jamais eu de conséquences majeures même à des doses très élevées avec un seul rapport de cas mortel.20 La dose létale de nicotine en prise aiguë serait de 500 à 1000 mg, soit plus élevée que l’on croyait précédemment. Ce risque n’existe pas pour la consommation par inhalation avec la cigarette électronique en raison du phénomène de titration de la nicotine par le vapoteur.21
Chez des individus dits «sensation seekers» qui recherchent plus de sensations que la moyenne des individus, il existe plus d’expérimentation de cigarettes combustibles dans l’adolescence.22 Par extrapolation, il est plausible que ces adolescents expérimentent davantage de cigarettes électroniques que les autres. On ignore si l’expérimentation de cigarettes électroniques détournerait ces adolescents d’autres consommations toxiques ou si elle s’ajouterait à celles-ci. L’usage expérimental de cigarettes électroniques est documenté chez les adolescents depuis quelques années déjà et il a augmenté progressivement.23
L’impact sur le développement d’un tabagisme n’est pas démontré mais il est probablement nul ou faible.1,24 En effet, la cigarette électronique attire beaucoup plus les fumeurs et ex-fumeurs que les non-fumeurs, vue que plus de 80% des adolescents utilisant la cigarette électronique sont déjà des fumeurs de cigarettes combustibles.7,23
Enfin, l’exposition passive à la cigarette électronique pourrait augmenter significativement l’envie chez des exfumeurs et favoriser la rechute dans la consommation de cigarettes combustibles.25
Au cours de ces dernières années, on a observé un parallélisme entre la chute des ventes de tabac et l’augmentation de la consommation de cigarettes électroniques, notamment celles de deuxième génération. Cette observation ne suffit pas à prouver un lien de causalité mais il est plausible que la cigarette électronique puisse accélérer le déclin de la consommation des cigarettes combustibles, ce qui serait un gain majeur de santé publique.1,26
En Suisse, la cigarette électronique se trouve dans un vide juridique sans législation ni régulation, ce qui en fait un produit de consommation courante. Cette situation implique de prendre des mesures de santé publique concernant la cigarette électronique, notamment sur les points suivants : régulation du produit, usage dans les lieux publics, vente aux mineurs, publicité.
Utilisant la méthode Delphi, un groupe d’experts suisse a émis en 2014 des recommandations sur la cigarette électronique, incluant des mesures de santé publique27 (tableau 1).
Tout conseil sur la cigarette électronique par un soignant devrait se faire avec les mêmes précautions que le conseil d’un traitement pour lequel il n’y a pas d’indication officiellement reconnue (traitements hors indication, hors liste ou off-label). Dans cette situation, le médecin est censé informer qu’il ne s’agit pas d’un traitement reconnu pour l’arrêt du tabac, qu’il existe des incertitudes quant à ses effets secondaires et que son efficacité n’a pas été démontrée. Il est recommandé de justifier le choix de cette méthode. Les recommandations du tableau 2 permettent aux soignants de répondre dans les situations cliniques les plus fréquentes.
La cigarette électronique est un nouveau dispositif produisant de la vapeur inhalée comme en fumant. Elle contient du propylène-glycol et/ou de la glycérine, des arômes et, dans la plupart des cas, de la nicotine délivrée plus lentement que dans la cigarette mais plus vite qu’avec les substituts nicotiniques. Moins de 7% de la population, surtout des fumeurs, ont expérimenté la cigarette électronique mais seulement 0,1% l’utilise quotidiennement. Les études suggèrent avec un niveau de preuves bas que la cigarette électronique pourrait permettre de cesser de fumer et de réduire la consommation de tabac. La sécurité à court terme de la cigarette électronique est bien démontrée mais pas encore à long terme ; si elle existe, sa toxicité devrait être très largement inférieure à celle du tabac. La cigarette électronique est utilisée par les adolescents mais très peu par les non-fumeurs. Les données actuelles suggèrent qu’elle ne constitue pas une porte d’entrée vers le tabagisme. Des mesures de santé publique sont nécessaires et recommandées par des experts : régulation du produit avec contrôle de qualité, interdiction d’usage dans les lieux publics, de vente aux mineurs et de publicité. La recherche sur la cigarette électronique est une priorité pour mieux définir sa place dans la prévention du tabagisme, son utilité pour l’arrêt du tabac et décider les mesures de santé publique adéquates.
> La cigarette électronique pourrait être efficace pour cesser de fumer ou réduire la consommation de tabac mais le bas niveau de preuves empêche une conclusion définitive et une recommandation pour la pratique clinique
> La sécurité à court terme de la cigarette électronique est bien démontrée mais pas encore à long terme ; si elle existe, sa toxicité est probablement très largement inférieure à celle du tabac
> Les mesures de santé publique recommandées sont la régulation du produit avec contrôle de qualité ainsi que l’interdiction d’usage dans les lieux publics, de publicité et de vente aux mineurs