L’Association française pour l’étude du foie (AFEH ou Société française d’hépatologie) vient de publier des recommandations essentielles.1 Elles permettront de prendre date dans l’un des chapitres les plus prometteurs de la lutte contre les maladies infectieuses chroniques d’origine virale. Ces recommandations s’inscrivent dans une stratégie globale de prise en charge de l’hépatite C chronique, avec pour objectif son éradication, précisent les responsables de cette société savante. Impensable il y a encore deux ans, on sait que cet objectif est rendu possible par l’arrivée de nouveaux médicaments, des antiviraux d’action directe (AAD) ; de nouvelles molécules qui, en association, permettent de guérir la très grande majorité des patients.
«Nous sommes passés de traitements lourds et longs avec des effets indésirables importants et des taux de guérison de l’ordre de 70% à des traitements simples, courts, bien tolérés et qui assurent des taux de guérison de plus de 95% le plus souvent en seulement trois mois, explique le Pr Victor de Ledinghen secrétaire général de l’AFEF et chef du Service d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive, du CHU de Bordeaux. C’est la première fois dans l’histoire de la médecine qu’une maladie chronique peut disparaître grâce à un traitement médical».
Outre les recommandations officielles des autorités sanitaires françaises, l’AFEF recommande désormais de traiter tous les patients infectés par un virus de l’hépatite C (VHC) de génotype 3, ceux qui sont en attente de transplantation – ou qui ont eu une transplantation, mais aussi ceux qui souffrent d’une fatigue invalidante et les sujets les plus à risque de transmettre le virus – et ce «quel que soit le stade de gravité de la maladie».
Cette société savante rappelle au plus grand nombre qu’en France métropolitaine la prévalence du VHC est estimée à 0,84% : plus de 360 000 personnes sont porteuses d’anticorps contre le VHC, dont les deux tiers ont une infection chronique active (avec réplication du virus dans le sang, «ARN VHC+»), soit 230 000 personnes. Elle rappelle encore que cette maladie évolue le plus souvent silencieusement et que le dépistage de l’infection est généralement tardif, ce qui explique que seule la moitié des sujets infectés connaît son statut virologique. Cette infection est l’une des principales causes de cirrhose, de carcinome hépatocellulaire et de transplantation hépatique. Le nombre de morts prématurées associées avait, en France, été estimé à plus de 3600 en 2001.
«Aujourd’hui, et malgré la politique nationale de réduction des risques, le principal mode de contamination par le VHC est l’usage de drogues par voie injectable avec partage de matériel (seringue, cuillère, filtre, eau, coton…). Dans l’enquête "Coquelicot", menée en 2011 auprès d’une population d’usagers de drogues, la prévalence des anticorps anti-VHC était estimée à 44%, avec une nette différence en fonction de l’âge (9% chez les moins de 30 ans), rappelle la société savante. Chez les détenus, la prévalence des anticorps anti-VHC est cinq fois plus élevée que dans la population générale, selon les données de l’enquête officielle "Prévacar", réalisée en 2010. Etant donné que près de la moitié de ces personnes avaient une infection chronique active, la prévalence de l’hépatite chronique C serait donc de 2,5% dans les prisons françaises. En revanche, le risque de transmission par transfusion sanguine est aujourd’hui extrêmement faible, de l’ordre d’un don infecté tous les trois à quatre ans. La transmission sexuelle du VHC chez les couples hétérosexuels stables est également très rare, mais le risque peut être augmenté en cas de multi-partenariat ou de co-infection par le VIH.»
On sait désormais que le VHC correspond à six génotypes dont la connaissance est essentielle pour ce qui est du traitement. En France, le génotype 1 est majoritaire (57 à 61%), dont 28 à 31% de génotype 1b et 17 à 25% de génotype 1a, suivi par le 3 (19 à 21%), le 2 (9 à 12%), le 4 (9%), le 5 (2 à 3%) et le 6 (< 1%).
«En 2011, les premiers antiviraux d’action directe – les inhibiteurs de la protéase du VHC mis à disposition chez des patients infectés par un VHC génotype 1 – ont permis d’augmenter de façon significative le pourcentage d’éradication virale, en association avec l’interféron pégylé et la ribavirine, avec néanmoins un profil de tolérance très médiocre, souligne la société savante française. Une nouvelle étape décisive a été franchie en 2014 avec l’arrivée de nouveaux AAD, qui agissent en trois sites différents sur les enzymes de réplication du VHC, les inhibiteurs de protéase (siméprévir, paritaprévir), les inhibiteurs du complexe de réplication NS5A (daclatasvir, lédipasvir, ombitasvir) et des inhibiteurs de la polymérase NS5B (sofosbuvir, dasabuvir). Nous disposons donc aujourd’hui de sept molécules qui, en association, permettent d’obtenir le plus souvent en douze semaines (parfois 24 semaines), une éradication virale chez plus de 90 ou 95% des patients – et ce y compris chez les sujets en échec de traitement par interféron et ribavirine, chez les malades ayant une cirrhose ou présentant une récidive après une transplantation et chez les personnes co-infectées par le VIH. Ces traitements, administrés par voie orale en un ou deux comprimés par jour, sont simples à utiliser et sans effets indésirables majeurs.»
Les choix des associations thérapeutiques ont évolué très rapidement ces derniers mois au fil de la publication des résultats des essais cliniques, de l’accessibilité des nouvelles molécules et de l’obtention de leur autorisation de mise sur le marché. C’est ce qui explique la publication des recommandations actualisées de l’AFEF destinées aux praticiens qui prennent en charge ces malades.
Mais les avancées thérapeutiques sont telles que le sujet prend aujourd’hui une dimension politique. «La question aujourd’hui n’est pas seulement de savoir avec quelle association traiter tel patient en fonction de l’avancée de sa maladie hépatique, du génotype VHC ou des traitements antérieurs, mais de savoir comment éradiquer l’hépatite C, puisque les molécules capables de traiter et de guérir l’ensemble des patients sont aujourd’hui disponibles, explique le Pr de Ledhingen. Les instances sanitaires ont défini les indications dans lesquelles ces nouveaux AAD sont remboursés, le rôle des sociétés savantes, comme l’AFEF, est de proposer une stratégie globale de prise en charge des personnes infectées par le VHC. La France est pionnière en la matière. Nous avons à notre disposition l’ensemble des molécules, et avons la chance d’avoir pu traiter un grand nombre de patients. Nous sommes en avance dans la campagne d’éradication de l’hépatite C, car aujourd’hui l’enjeu est bien l’éradication de la maladie. Il faut un véritable plan pour définir comment et en combien de temps nous arriverons à cet objectif. L’AFEF s’engage donc pour que l’hépatite C soit éradiquée dans les dix ans à venir, soit en 2025».
Le constat français est clair : entre 100 000 et 150 000 personnes attendent depuis des années le traitement qui leur permettra de guérir de cette maladie potentiellement mortelle. En 2014, 14 000 patients ont été traités et guéris par ces nouvelles molécules, en 2015, ce seront sans doute plus de 15 000 patients qui en bénéficieront, soit, en deux ans, 30 000 personnes au total, dont les plus sévèrement atteints. Ainsi, d’ici peu, tous les patients au stade de cirrhose ou de fibrose avancée auront été traités. Les autres, tous les autres, pourront-ils progressivement en profiter ?
Ces traitements ont aujourd’hui un coût élevé (50 000 euros et plus par patient) et les sociétés savantes comme l’AFEF n’interviennent pas, en France, dans la régulation des prix. «Les responsables de la mise à disposition de ces médicaments, le ministère de la Santé et les laboratoires pharmaceutiques doivent continuer à travailler ensemble pour définir des prix qui permettent de traiter tous les patients», estime le Pr de Ledinghen. C’est dire qu’il sera du plus grand intérêt de suivre, dans les dix ans, ce qu’il adviendra de ce combat, médical économique et éthique.