Deux découvertes récentes témoignent de la richesse des approches contemporaines de la compréhension du vivant, normal ou pathologique. La première – une lettre publiée dans Nature 1 – pourrait pratiquement être présentée comme une «bombe anatomique». La seconde – publiée dans Journal of Virology2 – concerne les mécanismes d’attaque d’un pathogène émergent.
Une bombe anatomique, la lettre publiée par Nature ? Sans doute et à plusieurs égards. C’est aussi la démonstration que le corps humain demeure, pour (une bonne) partie à découvrir. La vulgarisation (avec schéma éclairant) de cette découverte est disponible sur le site mental floss.3 Le premier signataire de ce travail est un chercheur français, Antoine Louveau, post-doctorant à l’Université de Virginie dans l’équipe du Pr Jonathan Kipnis. Cette découverte a quelque chose de proprement renversant. C’est l’équivalent, dit le site mental floss, de tomber sur une licorne vivante. C’est, pour le dire plus prosaïquement, une nouvelle configuration neuro-immunologique, un chaînon entre deux mondes que l’on tenait pour ne pas communiquer, du moins pas aussi directement : le système lymphatique fait corps avec le cerveau. Ce système inconnu du grand public (à l’exception des ganglions et des célèbres drainages) est en contact plus qu’étroit avec cette galaxie encore largement inexplorée qu’est le système nerveux central. C’est là une forme de révolution copernicienne corporelle. La démonstration (via la biologie moléculaire) des impasses où se sont égarés au fil du temps les plus fins des anatomistes.
C’est aussi une fenêtre désormais entrouverte sur un mystère médical : la découverte que le système nerveux central est ouvert sur l’extérieur et non emprisonné, muré, derrière l’antique barrière hémato-encéphalique. Jonathan Kipnis ne cache pas son enthousiasme. «Nous pensions que ceci n’existait pas, ne pouvait exister dans le cerveau, confie-t-il. Lorsque nous avons vu ce résultat, j’ai complètement flippé…». Il dit aussi qu’il faut raison garder, que le cerveau humain est beaucoup plus complexe que le cerveau de la souris (sur lequel ces premières observations ont été faites) et qu’il reste bien du travail avant de tirer la substantifique moelle scientifique et thérapeutique de cette découverte. L’existence, démontrée, d’une connexion entre le système nerveux central et le système lymphatique lui laisse néanmoins espérer des avancées dans le domaine des maladies neurodégénératives (sclérose en plaques, maladie d’Alzheimer) ou dans celui des syndromes autistiques. «Le plus important reste à découvrir» dit-il.
Nous avons, pour la Revue Médicale Suisse, demandé quelques précisions à Antoine Louveau.
Il avait été démontré (et accepté) qu’il existait une communication entre le système immunitaire et le système nerveux central – et ce du fait de l’innervation des organes lymphoïdes ainsi que des effets sur le cerveau de molécules produites par le système immunitaire. Et il était aussi accepté que le cerveau restait un organe privilégié d’un point de vue immunitaire, que la présence de cellules immunitaires au sein du parenchyme cérébral était un signe pathologique. L’une des raisons avancées était l’absence de système lymphatique dans le système nerveux central. Des voies alternatives pour compenser l’absence de système lymphatique ont été avancées depuis les années 1970.
Notamment via une structure dénommée la plaque cribriforme, située en amont des bulbes olfactifs cérébraux où le liquide céphalorachidien atteint le réseau lymphatique de la cavité nasale. Jusqu’ici, cette voie était perçue comme étant celle du drainage du liquide céphalorachidien vers le système immunitaire.
La découverte de ce réseau lymphatique a été fortuite. Notre objectif premier était d’étudier les voies de circulation des cellules du système immunitaire au sein des méninges. Et c’est via l’étude de la localisation des cellules lymphocytaires T que nous avons découvert ce réseau de vaisseaux.
D’après notre étude, le réseau lymphatique cérébral est similaire à celui observé dans les autres organes où il sert la même fonction de drainage des fluides, macromolécules et cellules immunitaires vers le ganglion drainant.
Les prochaines étapes de notre travail sont doubles, la première est de confirmer la présence d’un réseau équivalent chez l’homme. Notre publication a été réalisée en grande majorité chez la souris. Nous avons toutefois déjà publié des indices de sa présence chez l’homme. La seconde étape est d’étudier sa possible implication dans certaines maladies neurologiques, notamment la sclérose en plaques et la maladie d’Alzheimer. Il est beaucoup trop tôt pour parler de potentiel thérapeutique… la route sera encore longue avant que nous puissions y parvenir. Mais il est vrai que cette découverte apporte de nouvelles bases pour comprendre le déclenchement, le développement ainsi que la persistance de certaines de ces maladies.
Ceux qui ne font pas profession de virologue ne connaissent pas (encore) le «virus zika». Ce pathogène doit son nom à celui d’une forêt d’Ouganda où il a été identifié pour la première fois en 1947. Présent dans les régions tropicales d’Asie et d’Afrique, il a été, en 2007, à l’origine d’une épidémie massive en Micronésie. Il est, depuis, considéré comme «un virus émergent» au même titre que ceux de la dengue et du chikungunya. Depuis l’épidémie de 2007, il a sévi en Polynésie à la fin de 2013 (55 000 personnes infectées) et atteint aujourd’hui le Brésil. Les spécialistes redoutent son passage à plus ou moins brève échéance dans les Antilles (notamment françaises).
Un groupe franco-thaïlandais vient pour la première fois de décrire comment ce virus infecte l’homme (suite à une piqûre de moustique) puis comment il se propage chez le malade. Ce travail vient d’être publié dans Journal of Virology. Il a été mené par des chercheurs de l’Institut de recherches pour le développement (IRD), de l’Inserm, de l’Institut Pasteur et leurs partenaires thaïlandais (Mahidol University, Bangkok ; Prince of Songkla University, Songkla).
On sait que le virus zika est transmis par les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus . «Lorsque l’insecte pique un humain, sa pièce buccale tâtonne à la recherche d’un vaisseau sanguin, résument les chercheurs. Ce faisant, elle dépose des particules virales dans l’épiderme et le derme de la victime.» Pour simuler en laboratoire l’infection, ils ont inoculé un isolat du virus zika (collecté lors de l’épidémie 2013 en Polynésie française) à trois types de cellules de peau humaine : les kératinocytes (qui se trouvent dans l’épiderme), les fibroblastes et les cellules dendritiques (situées dans le derme). On sait que ces dernières sont des cellules immunitaires qui jouent un rôle clé dans la fabrication des anticorps spécifiques.
En 72 heures, la totalité des fibroblastes étaient infectés, les autres cellules étant également touchées, notamment les kératinocytes. L’imagerie électronique a montré que pour se répliquer, ce virus a recours à l’autophagie : un mécanisme qui consiste en la dégradation partielle du cytoplasme par la cellule elle-même. Ce phénomène entraîne à terme une apoptose cellulaire (mort par éclatement favorisant la dissémination du pathogène). L’équipe a aussi identifié le récepteur cellulaire qui permet l’entrée du virus dans les fibroblastes : la protéine «AXL». L’efficacité des anticorps contre cette protéine a été vérifiée, de même que celle de petits ARNsilencing – qui «éteignent» les gènes-cibles.
L’ensemble de ces travaux (une première quant à la biologie du virus zika) ouvre des pistes pour l’identification de cibles thérapeutiques et l’élaboration d’un traitement, aujourd’hui inexistant.