L’un des objectifs premiers en médecine aiguë est d’assurer une oxygénation adéquate des tissus souffrants afin de rétablir le métabolisme aérobie. L’oxygène est ainsi fréquemment administré dans des situations d’urgence, que ce soit en médecine préhospitalière, aux urgences ou aux soins intensifs. Cependant, son indication est parfois relative et son monitoring insuffisant.1 La concentration d’oxygène transporté dans le sang artériel (CaO2) dépend principalement de la quantité d’hémoglobine chargée en oxygène (oxyhémoglobine) et de la pression partielle en oxygène (PaO2).CaO2 = (1,34 x Hb x SaO2) + (0,003 x PaO2)
Précisons que le suffixe -oxémie correspond au taux d’oxygène circulant dans le sang, contrairement au suffixe -oxie qui signifie la quantité d’oxygène dans les tissus. En situation physiologique et sans prendre en compte les âges extrêmes, la normoxémie est définie par une PaO2 entre 11 et 12 kPa.2 L’hyperoxémie est donc définie par une PaO2 > 12 kPa, et l’hypoxémie par une PaO2 < 11 kPa. La SaO2 correspond au degré de saturation de l’hémoglobine (Hb) en oxygène dans le sang artériel, et ne dépend pas de la PaO2. Elle peut être estimée de manière non invasive par une oxymétrie pulsée (SpO2). Cette estimation peut être faussée par de nombreux paramètres médicaux ou techniques, tels que la présence de carboxyhémoglobine (HbCO) ou simplement en cas de mauvaise perfusion périphérique. En situation physiologique, la SaO2, comme la PaO2, diminue avec l’âge, de même qu’en décubitus.3,4 Il est important de rappeler enfin que le rapport entre la SaO2 et la PaO2 est une fonction sigmoïde : la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine.5
Lors d’un état de choc ou d’une ischémie localisée, les apports en oxygène (DO2) sont insuffisants pour couvrir les besoins métaboliques (MRO2). Trois mécanismes permettent d’augmenter la DO2 : majorer le débit cardiaque (Q), augmenter la quantité d’hémoglobine (Hb), ou amplifier les apports en oxygène pour obtenir une PaO2 (et donc une SaO2) plus importante, mais également pour augmenter la part d’oxygène libre dissout dans le sang (inférieure à 2% en situation normale).2DO2 = Q x (Hb x SaO2 x 1,34) + (PaO2 x 0,003)
Dans une situation d’urgence, notamment en médecine préhospitalière, seule l’augmentation de l’apport en oxygène peut être rapidement mise en œuvre par les soignants. On pense ainsi que l’induction d’une hyperoxémie pourrait engendrer un état d’hyperoxie salvatrice. Pour cette raison, l’oxygène est administré dans de nombreuses situations d’urgence, fréquemment sans tenir compte de la valeur initiale de la SaO2.
L’oxygénothérapie normobare peut avoir des effets délétères souvent peu connus. En effet, l’hyperoxémie peut provoquer une vasoconstriction coronarienne et cérébrale, de même qu’une diminution du débit cardiaque.6,7 Chez certains patients souffrant de BPCO, et lors de prise d’un agent dépresseur du système respiratoire (comme par exemple les opiacés) chez ces mêmes patients, l’administration d’oxygène conduit à une détérioration clinique sévère.8 L’oxygène peut favoriser la production de radicaux libres, tels que des anions superoxydes (·O2-), des peroxydes (·O2–) comme le peroxyde d’hydrogène (H2O2), des radicaux hydroxyles (·OH) ou des anions hydroxyles (OH-), regroupés sous le nom de Reactive Oxygen Species (ROS), et dont les propriétés cytotoxiques peuvent conduire à une augmentation de la zone d’ischémie.9,10 Enfin, lors de l’administration d’oxygène à haute concentration, la pression partielle alvéolaire d’oxygène (PAO2) très élevée peut provoquer des atélectases par absorption, ainsi que des troubles du rapport ventilation-perfusion (V/Q).11
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le syndrome coronarien aigu (SCA), l’accident vasculaire cérébral (AVC) et la BPCO, pathologies conduisant systématiquement à l’administration d’oxygène en situation aiguë, figurent parmi les cinq maladies les plus mortelles de ces quinze dernières années. Notre objectif est d’examiner la littérature relative à l’administration d’oxygène normobare dans la prise en charge initiale de ces pathologies, ainsi que dans l’arrêt cardiorespiratoire (ACR) et l’état de choc hémorragique.8 Notre article ne concerne que la thérapie normobare.
Les douleurs thoraciques sont une plainte fréquemment retrouvée en médecine d’urgence, et le SCA est l’une des pathologies redoutées résultant d’une ischémie myocardique. Il semble donc logique d’administrer une oxygénothérapie, en espérant ainsi diminuer la zone de nécrose. Actuellement, l’European Society of Cardiology (ESC) recommande l’administration d’oxygène entre 2 et 4 l/min pour les patients présentant des signes d’ischémie cardiaque associée à une dyspnée ou une clinique d’insuffisance cardiaque (œdème aigu du poumon).12 Les guidelines de l’American College of Cardiology et de l’American Heart Association (ACC/AHA) proposent d’administrer de l’oxygène, sans précision sur le débit, à tous les patients souffrant d’un angor instable ou d’un NSTEMI (non-ST segment elevation myocardial infarction) durant les six heures après le début des symptômes,13 mais présentent une certaine retenue chez les patients souffrant d’un STEMI (ST segment elevation myocardial infarction) avec une oxygénothérapie entre 2 et4 l/min (administration aux lunettes) s’il y a des signes d’insuffisance cardiaque, de dyspnée, ou si la SaO2 est < 90%.14 Ces recommandations résultent toutefois principalement d’un consensus d’experts (niveau de preuves «C») et non d’une analyse de données de haute qualité. De plus, la majorité des patients souffrant d’un SCA sont rarement hypoxémiques et ne nécessitent donc pas d’oxygénothérapie. Rappelons enfin que la dyspnée en tant que telle n’est pas une indication à une oxygénothérapie.8
L’hyperoxie, comme cela a été démontré chez les patients souffrant d’un SCA ou d’une insuffisance cardiaque, diminue le débit cardiaque et provoque une vasoconstriction des artérioles périphériques systémiques (figure 1).15 Ces modifications pourraient donc potentiellement provoquer une hypoperfusion supplémentaire de la zone ischémiée.6 La PaO2 est en effet un élément déterminant du tonus coronarien, et l’hypoxémie un puissant vasodilatateur. Indépendamment de la SaO2, chaque modification de la PaO2 induit donc une modification du flux coronarien.15,16
Les travaux de McNulty et coll. ont démontré que l’hyperoxie provoque une vasoconstriction significative également au niveau coronarien. En coronarographiant des patients respirant de l’oxygène au masque haute concentration durant 10-15 minutes avant l’intervention, les auteurs ont constaté que le débit coronarien diminuait de 20 à 30%, avec une majoration des résistances locales de 23 à 40%.17 Cet effet est décrit jusqu’à 20 minutes après le traitement. Le diamètre des coronaires reste cependant inchangé, confirmant ainsi que ces modifications résultent d’une vasoconstriction au niveau de la microcirculation.18 Ceci résulte du fait que les cardiomyocytes, dans une situation d’hypoxémie, produisent de l’adénosine, qui provoque elle-même une diminution du tonus vasculaire et permet ainsi une augmentation du débit sanguin. En revanche, en cas d’hyperoxie, il est démontré que ces mêmes cellules sécrètent de l’angiotensine I qui, une fois convertie en angiotensine II, stimule la production d’endothéline et provoque alors une vasoconstriction (figure 2).19
Pour pallier cela, l’administration de dérivés nitrés permet une vasodilatation coronarienne par libération de NO (monoxyde d’azote), soulageant souvent les douleurs liées à l’ischémie. Mais, il est actuellement suspecté que les ROS, produits par l’état d’hyperoxie, induisent une dégradation oxydative du NO endogène au niveau de l’endothélium coronarien, phénomène par ailleurs déjà démontré in vitro. In vivo, on peut également constater une élévation des peroxynitrites (ONOO−) en situation d’hyperoxie, dosés sous la forme de nitrotyrosine, ce qui témoigne ainsi du stress oxydatif accru dans ce cas.18
Lors de la levée de l’obstruction coronarienne, la restauration du flux sanguin dans la zone ischémiée est susceptible de provoquer des arythmies ventriculaires, une dysfonction systolique transitoire (myocardial stunning), ou encore une majoration de la zone de nécrose, phénomènes regroupés sous le nom de «syndrome de reperfusion». Ce dernier résulte directement du stress oxydatif (ROS) induit par la réoxygénation des tissus ischémiés lors de la reperfusion, et qui est péjoré par l’état d’hyperoxie.16,20
Une ancienne étude randomisée en double aveugle, comparant l’administration d’oxygène normobare versus air ambiant chez des patients souffrant d’un SCA, a démontré une augmentation du nombre de tachycardies sinusales dans le groupe oxygène (22%) et une majoration du taux d’alanine aminotransférase (ALAT), témoignant d’une possible aggravation de l’ischémie.21 Très récemment, The AVOID Study a retrouvé des résultats similaires chez des patients souffrant de STEMI, avec une augmentation de la taille de la zone ischémiée dans le groupe avec une hyperoxygénation normobare (8 l/min d’O2 au ventimasque), sans qu’il n’y ait cependant d’effet sur les sentiments d’angoisse ou de dyspnée.22 Enfin, une revue systématique et une méta-analyse rapportent une augmentation de la mortalité en cas d’hyperoxémie chez ces patients.23,24
En résumé, les études et recommandations actuelles s’accordent sur la nécessité d’administrer de l’oxygène supplémentaire dans toute situation de détresse cardiorespiratoire associée à un SCA. En revanche, en cas de SCA d’évolution simple, le bénéfice comme les effets délétères d’une administration de routine restent à démontrer. Les recommandations 2013 ACCF/AHA Guidelines (American College of Cardiology Foundation)14 restant peu précises, l’approche pragmatique proposée par la British Thoracic Society (BTS)8 devrait être retenue, avec une oxygénothérapie prudente et ciblée sur les besoins physiologiques du patient tout en suivant attentivement la SaO2, avec une cible entre 94 et 98% pour les patients souffrant d’un SCA, ou entre 88 et 92% s’ils présentent également un risque d’insuffisance respiratoire hypercapnique. Cependant, chez des patients instables et en choc cardiogène, nous continuons à recommander l’hyperoxygénation afin de maintenir une DO2 adéquate.
Le cerveau est le premier organe à manifester les conséquences d’une hypoxémie, avec l’apparition de troubles de l’état de conscience à partir d’une SaO2 < 80% chez le sujet sain. Si la DO2 chute durant quelques minutes, des lésions ischémiques s’installent rapidement, suivies d’une nécrose neuronale responsable des complications à long terme.8
L’apparition de troubles neurologiques focaux fait généralement suspecter un AVC. En attendant qu’une imagerie cérébrale puisse être effectuée, une oxygénothérapie est souvent initiée dans le but de limiter l’extension de la zone ischémiée. En cas d’AVC ischémique, trois zones peuvent être distinguées : l’oligémie, zone où la réduction du débit sanguin ne manifeste aucune conséquence clinique ; la pénombre, région ischémiée avec perte de ses fonctions, mais toujours viable et potentiellement récupérable ; et la zone d’infarctus, où le parenchyme est nécrotique et irrécupérable. Ces trois territoires distincts sont en réalité en continuité avec le tissu cérébral sain, et, avec le temps, la zone de nécrose s’étend sur la pénombre, augmentant ainsi l’importance des séquelles (Time Is Brain) (figure 3).25,26 L’oxygénothérapie et la thrombolyse visent à limiter la taille de l’infarctus et à améliorer le pronostic. Une oxygénation normobare (NBO) de même qu’hyperbare (HBO) ont été investiguées durant de nombreuses années avec l’idée que l’augmentation de la PO2 tissulaire pourrait limiter le volume de la zone infarcie, et permettre ainsi de retarder le temps jusqu’à la thrombolyse.27
Plusieurs études animales, notamment chez le rat, ont démontré que la NBO ainsi que l’HBO permettent de diminuer significativement le volume infarci28 et de retarder le délai de reperfusion par thrombolyse29 en augmentant la PO2 localement. En revanche, les travaux de Flynn et coll. ont constaté qu’une PaO2 > 26,6 kPa, atteignable par NBO, ne présente aucun avantage sur le devenir de la lésion ou le pronostic des rats.30 Ce travail pose la question de l’efficacité d’une HBO chez l’être humain. Certains travaux ont d’ailleurs même démontré un effet délétère de l’HBO, notamment chez l’être humain, avec une évolution défavorable à trois mois atteignant jusqu’à 53% des patients.31
Bravata et coll. ont mis en évidence que le traitement de l’hypoxémie, définie par une SaO2 < 90% ou une PaO2 < 7,9 kPa, fait partie des trois éléments déterminants d’une évolution clinique favorable pour un AVC ischémique (avec la surveillance des troubles de la déglutition et la prophylaxie antithrombotique).32 En effet, jusqu’à 52% des patients souffrant d’un AVC et présentant une SaO2 normale durant la journée développent des épisodes de désaturation (SaO2 < 90%) pendant la nuit.33
Des travaux utilisant une spectroscopie par résonance magnétique cérébrale (MRS) ont démontré qu’une NBO diminue la lactatémie au sein de la zone de pénombre et maintient le taux de N-acétyl-aspartate, marqueur de l’intégrité neuronale et de la fonction mitochondriale, ce qui signifie que l’oxygénation est bien bénéfique au niveau cellulaire.34
Cependant, une petite étude pilote randomisée, comparant une NBO à flux élevé (45 l/min) introduite indépendamment de la SaO2 et débutée dans les douze heures après l’apparition des symptômes avec un maintien à l’air ambiant, a décrit une amélioration transitoire du NIHSS (National Institute of Health Stroke Score), une diminution du volume de la lésion ischémiée et une augmentation de la taille de la zone de pénombre à l’IRM de diffusion (DWI) durant l’oxygénothérapie (maximum des effets à quatre heures), mais pour une durée des effets constatée jusqu’à une semaine uniquement. Aucun bénéfice n’est en effet retrouvé à trois mois.35 Ce travail laisse donc suspecter qu’une NBO serait bénéfique en améliorant précocement la phase de récupération neuronale, si elle est appliquée dans les douze heures après le début de l’ischémie, mais qu’elle n’aurait finalement aucun effet à long terme. Curieusement, la phase 2 de cette même étude a été interrompue prématurément en 2009 en raison de la mortalité élevée dans le bras hyperoxémie, laissant craindre un effet néfaste de ce traitement.36
Par ailleurs, une étude cas-témoins (intention-to-treat), comparant une NBO à 3 l/min durant 24 heures avec l’absence de NBO chez les patients souffrant d’un AVC ischémique, a démontré que l’oxygénothérapie administrée à tous les patients, indépendamment de leur SaO2, ne présentait pas de bénéfice et pourrait même augmenter la mortalité.7 Pour les AVC mineurs à modérés (Scandinavian Stroke Scale ou SSS < 40) dans le groupe NBO, la mortalité à un an est même doublée. De plus, un essai randomisé contrôlé comparant une NBO (O2 à 2 l/min si SpO2 < 93%, ou 3 l/min si SpO2 ≥ 93% durant 72 heures) à un traitement standard (O2 si SpO2 < 90%, ou si autres indications) n’a retrouvé aucun effet bénéfique ou néfaste à six mois.33 Ces deux travaux, qui se rapprochent progressivement des valeurs physiologiques, tendent à démontrer que l’hyperoxémie, de même que l’hypoxémie, sont des situations pathologiques et néfastes pour le pronostic.
Plusieurs études animales ont démontré que l’HBO diminue le débit sanguin cérébral (CBF), et il est également suspecté qu’une PaO2 élevée provoque une vasoconstriction au niveau des artérioles superficielles du cortex. Avec les techniques de doppler transcrânien, plusieurs équipes ont pu démontrer une diminution du CBF en situation de HBO chez l’être humain.37 Cependant, un papier de 1983, étudiant les effets de la NBO sur le CBF, décrit une diminution du CBF en cas d’hyperoxémie, qui est nettement péjoré en cas d’HBO.38 Ce travail évoque une probable décharge sympathique concomitante liée à une élévation des pressions artérielles systémiques, induisant ainsi une libération locale de prostacyclines et inhibant la libération de NO. Ces modifications physiologiques du CBF diminueraient d’ailleurs avec l’âge, avant de disparaître complètement au-delà de 80 ans. Chez des patients souffrant d’un AVC ischémique, paradoxalement, non seulement ce phénomène vasoactif lié à l’hyperoxémie disparaît dans le territoire ischémié, mais une vasodilatation s’y installe. Cela résulte probablement d’une importante dérégulation locale et du manque d’oxygène localement lié à la présence du thrombus, et serait en partie responsable de l’œdème vasogénique qui suit l’événement aigu de l’AVC.
Enfin, l’hyperoxie cérébrale provoque la formation de ROS qui, dans la situation d’un AVC ischémique, peuvent majorer l’œdème périlésionnel, augmenter secondairement le volume de la zone nécrotique, et également provoquer des lésions hémorragiques par action directe sur l’endothélium.27,39
La littérature actuelle reste donc partagée entre deux tendances, l’une en faveur de l’hyperoxygénation, l’autre pour un usage plus restrictif. La BTS guideline for emergency oxygen use in adult patients, ainsi que les sociétés de références pour l’AVC ischémique (NICE (National Institute for Health and Care Excellence), Royal College of Physicians, ESO (European Stroke Organisation)) proposent une surveillance stricte de la SpO2, et l’administration d’une oxygénothérapie pour une SpO2 < 95% uniquement.
La BPCO est caractérisée par une limitation persistante du flux dans les voies aériennes et par des épisodes de péjoration soudaine de la fonction respiratoire que sont les exacerbations. Lors d’une exacerbation, on observe une augmentation du mismatch V/Q, ce qui induit une hypoxémie.
L’oxygène fait partie du traitement d’urgence lors d’exacerbation de BPCO et l’hyperoxygénation a même été longtemps le traitement standard, en raison d’une forte culture du more is better, ignorant son potentiel nocif.40 Toutefois, chez les patients avec une insuffisance respiratoire hypercapnique chronique et avec une ventilation indépendante de la PaCO2, l’hyperoxygénation augmente le taux d’oxygène dans le sang, mais aussi le risque d’hypercapnie et d’acidose respiratoire.
Les premiers case reports d’ACR chez des patients souffrant d’une hypertension pulmonaire chronique (cœur pulmonaire) et mis sous oxygène à haute concentration ont été publiés en 1949.41 L’hypothèse est alors émise que l’hypercapnie résulte de l’hypoventilation liée à la baisse du stimulus hypoxique, car le drive respiratoire chez les BPCO est lié à la PaO2.
Une étude chez des patients souffrant de BPCO sévère s’est intéressée aux changements de PaCO2 avant et après avoir respiré 100% d’O2 pendant vingt minutes.42 Elle démontre que la ventilation diminue transitoirement, en corrélation avec le degré d’hypoxémie préexistante ; quant à la PaCO2, elle augmente de façon significative indépendamment de la ventilation. Les mécanismes imputés sont les suivants : d’une part, l’hyperoxygénation entraîne la baisse du drive respiratoire hypoxique, ce qui conduit à l’hypoventilation alvéolaire. D’autre part, elle favorise le mismatch V/Q en augmentant la ventilation de l’espace-mort, ainsi que la perfusion de zones pulmonaires faiblement ventilées (par la levée de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique). Finalement, suite à l’effet Haldane sur les globules rouges, lorsque la PaO2 et la proportion d’Hb oxygénée augmentent (avec une faible capacité de liaison au CO2), la conséquence est un déplacement de la courbe de dissociation de l’hémoglobine vers la droite avec une augmentation de la PaCO2. Comme les patients avec une BPCO sévère sont incapables d’augmenter leur ventilation en réponse à l’hypercapnie, il en résulte une élévation jusqu’à 25% de la PaCO2 totale.41
Le risque lié à l’hyperoxygénation étant bien établi, beaucoup d’études se sont focalisées sur l’oxygénothérapie en préhospitalier, puisque c’est dans cette phase précoce que son utilisation correcte est cruciale. En effet, sur une série rétrospective de 1000 patients hyperoxygénés, plus de 50% des patients hyperoxémiques (PaO2 > 13,3 kPa) présentaient une acidose respiratoire à l’arrivée à l’hôpital.41 Un autre constat est établi au moyen de gazométries artérielles, montrant que 72% des échantillons sanguins avec une saturation > 92% avaient une PaCO2 élevée.
La plus grande étude publiée sur les gaz du sang a trouvé une corrélation négative entre le pH et la PaO2 chez 972 patients après oxygénothérapie : 47% étaient hypercapniques, 20% en acidose respiratoire et 4,6% avaient un pH < 7,25.43 On observe toutefois une grande variabilité dans l’augmentation de la PaCO2 pour une augmentation donnée de la PaO2. De même, l’augmentation de la PaO2 en réponse à l’oxygénothérapie est variable et imprévisible.
Dans les années 1960, Moran Campbell est le premier à établir la pratique hospitalière de l’oxygénothérapie titrée en développant le masque Venturi, qui reste la méthode préférée pour l’administration d’oxygène de façon contrôlée.40 En effet, Campbell observe les changements de PaO2 produits par l’administration de concentrations d’O2 variables chez des patients souffrant d’insuffisance respiratoire hypercapnique. Il remarque que ces patients sont très sensibles à des petits changements, et que même une FiO2 de 25% permet de soulager considérablement l’hypoxémie. Ces résultats concordent avec la courbe de dissociation de l’hémoglobine, de petits changements de PaO2 entraînant des changements significatifs au niveau de la saturation.44
Le principe de l’oxygénothérapie titrée est de cibler une valeur de saturation pour le patient, plutôt qu’une FiO2 spécifique. Les patients BPCO sont capables de supporter des degrés sévères d’hypoxie chronique, et le maintien d’une PaO2 > 6,7 kPa est suffisant pour empêcher le décès immédiat. Toutefois, l’oxygénothérapie devrait viser un seuil supérieur afin de préserver les fonctions cognitives et prévenir les désaturations transitoires. Habituellement, la limite inférieure de PaO2 de 7,3 kPa est acceptée. En pratique, le monitoring continu de la PaO2 n’étant pas possible, c’est la SaO2 cible de 88 à 92% qui est employée pour les patients à risque d’hypercapnie.41
La première grande étude randomisée contrôlée, menée par Austin et coll. en 2010, a révélé qu’en préhospitalier, une saturation cible entre 88 et 92% réduisait le risque de mortalité de 78%, ainsi que le risque d’acidose respiratoire ou d’hypercapnie de façon significative.40 Par contre, l’administration brève d’une FiO2 élevée (PaO2 moyenne de 10,7 kPa durant 45 minutes) était associée à une évolution défavorable. D’après ces résultats, concordant avec les guidelines internationales,8,45 l’oxygénation titrée est recommandée pour les patients hypoxiques avec une anamnèse ou une clinique compatibles avec une BPCO. Le traitement initial devrait donc se faire à basse concentration d’oxygène, puis progressivement augmentée sur la base de la gazométrie, avec pour cible une PaO2 ≥ 8 kPa sans baisse du pH < 7,26 ni augmentation de la PaCO2 ≥ 1,33 kPa par rapport à sa valeur de base.46
Il faut cependant se rappeler que chez les patients sans insuffisance respiratoire hypercapnique, le risque d’hypercapnie est souvent surestimé, et ne pas traiter suffisamment une hypoxémie peut conduire au décès. Dans le doute, chez tous les patients avec une BPCO modérée à sévère, le risque de carbonarcose devrait être considéré et l’oxygène titré prudemment jusqu’à l’obtention d’une gazométrie. Si la PaCO2 s’avère normale, l’oxygénothérapie peut alors cibler une saturation entre 94 et 98%.41
En conclusion, l’oxygénothérapie n’est pas recommandée de routine (classe A) chez tous les patients à risque d’une insuffisance respiratoire hypercapnique (BPCO, asthme, mucoviscidose, bronchiectasies, maladie neuromusculaire, obésité morbide). Cependant, tous les patients doivent avoir une gazométrie artérielle dès le début de la prise en charge, et l’oxygène doit être administré de façon contrôlée pour atteindre une saturation cible entre 88 et 92% (classe A),47 ou 94 et 98% en l’absence de risque d’hypercapnie.
Selon les chiffres de l’année 2013 de l’AHA, le taux de survie après un ACR réanimé s’élève à 9,5%. Malheureusement, le taux de mortalité chez les patients réanimés reste extrêmement élevé en dépit de la mise en œuvre de tous les moyens médicaux existants. Il est attribué au syndrome post-arrêt cardiaque, comprenant les lésions globales d’ischémie-reperfusion, la sidération myocardique (myocardial stunning, ou dysfonction significative transitoire sans diminution du flux coronarien) et l’anoxie cérébrale.48 Ces dernières années, les besoins en oxygène durant la réanimation cardiopulmonaire (RCP), et lors d’un retour à une circulation spontanée (Return Of Spontaneous Circulation ou ROSC), ont été étudiés de façon extensive. Il en ressort que la quantité d’O2 délivrée au cerveau durant la phase de reperfusion post-ACR, ou ROSC, pourrait être un facteur susceptible d’améliorer l’état neurologique du patient.49
Le but fondamental de la RCP est d’abolir l’hypoxie tissulaire et de retrouver un métabolisme aérobie, et c’est dans ce but que l’apport en O2 (DO2) est maximisé. La réoxygénation des tissus se fait à l’aide du flux sanguin généré par les compressions thoraciques.50 Dans cette situation, il n’y a pas d’hyperoxie possible, car la circulation sanguine est nettement insuffisante pour couvrir les besoins métaboliques. Il a été démontré qu’une oxygénation élevée (PaO2 > 40 kPa) durant la réanimation augmente le taux de ROSC et améliore le pronostic neurologique.51
En 2010, l’AHA a changé son algorithme de réanimation BLS (Basic Life Support) : A (Airways) – B (Breathing) – C (Circulation) pour C-A-B.52 En effet, on observe que l’interruption fréquente des compressions pour les besoins de la ventilation a un impact négatif sur la survie et le pronostic neurologique des patients. D’autre part, l’hyperventilation peut être néfaste, augmentant la pression intrathoracique, et diminuant le retour veineux ainsi que les pressions de perfusion cérébrales et coronariennes.52
Un débat existe pour savoir si l’oxygène doit être délivrée par oxygénation passive (flux constant), par pression manuelle sur un ballon autoremplisseur connecté à un masque facial, par dispositif supraglottique (iGel ou masque laryngé) ou par tube endotrachéal ou nasotrachéal. En médecine préhospitalière, chez des patients en ACR d’origine non traumatique, une méta-analyse très récente a démontré un meilleur outcome lors d’intubation endotrachéale en comparaison avec des dispositifs supraglottiques, avec un plus haut taux de ROSC et de survie jusqu’à l’hôpital, ainsi qu’une diminution des séquelles neurologiques à la sortie de l’hôpital.53
La diffusion passive d’oxygène peut fournir l’oxygénation nécessaire durant la RCP et une ventilation persiste grâce aux compressions thoraciques. Elle a été décrite chez les humains par Brochard et coll., qui utilisaient des tubes endotrachéaux avec insertion de microcanules apportant un flux constant d’oxygène (tube Boussignac) chez les patients aux soins intensifs durant les phases de déconnection du ventilateur.54 Par la suite, l’oxygénation passive a été évaluée en préhospitalier dans une étude randomisée prospective, avec 48 personnes bénéficiant d’une oxygénation passive versus 47 patients ventilés avec une pression positive intermittente. Le résultat n’a pas montré de différence dans le pourcentage de ROSC jusqu’à l’arrivée à l’hôpital.52 Cependant, une analyse rétrospective de 1019 patients pris en charge durant la réanimation (FV/TV devant témoin), soit ventilés avec une pression positive, soit mis sous oxygénation passive au travers d’un dispositif oropharyngé, a retrouvé dans le groupe d’oxygénation passive un taux de survie sans atteinte neurologique plus élevé (38,2% vs 25,8%).55
Toutefois, l’oxygénation passive est probablement insuffisante pour assurer un échange gazeux durant la RCP, où la résistance thoracique est élevée et la compliance pulmonaire diminuée, et il n’y a donc pas de ventilation alvéolaire suffisante pour évacuer le CO2, ce qui conduit à une augmentation de la pression intracrânienne. Ainsi, l’ERC (European Research Council) et l’AHA ne recommandent pas l’utilisation de routine de l’oxygénation passive durant la RCP.52
Après le ROSC, l’hypoxémie est délétère tant pour le cerveau que pour le myocarde.52 Il s’agit d’éviter d’engendrer des lésions cérébrales secondaires et donc d’optimiser l’oxygénation. Certains patients présentent des saturations veineuses centrales élevées en dépit d’un apport d’O2 inadéquat aux tissus : il s’agit de l’hyperoxémie veineuse, qui peut être attribuée à une utilisation insuffisante de l’oxygène par les tissus en raison d’une insuffisance microcirculatoire ou mitochondriale. En effet, le rôle de l’oxygénothérapie, souvent administrée à haute concentration dans la phase de ROSC, est sujet à controverse, et il existe un paradoxe concernant l’administration d’oxygène : un apport insuffisant favorise l’hypoxémie cérébrale, alors qu’un excès augmente la production de radicaux libres.
Les mécanismes de la toxicité de l’oxygène lors du ROSC ne sont pas entièrement élucidés.56 L’hyperoxie génère une réponse inflammatoire systémique, et la vasoconstriction qui en résulte peut contribuer aux lésions cérébrales et à la dysfonction myocardique.51 Par ailleurs, le ROSC entraîne une augmentation de l’apport d’O2 aux tissus ischémiés, occasionnant des lésions générées par les radicaux libres. L’hyperoxie jouerait donc un rôle dans la pathogenèse en stimulant la production de radicaux libres et en entraînant un stress oxydatif excessif (figure 4).57
La première expérience animale évaluant l’effet de différents pourcentages en oxygène sur la fonction neurologique a été menée en 2006.52 Des fibrillations ventriculaires ont été induites chez dix-sept chiens, qui ont ensuite été réanimés, puis ont reçu soit 100% d’O2, soit une oxygénation contrôlée (FiO2 ajustée pour une SaO2 de 96%). Après 23 heures, les chiens hyperoxémiques avaient davantage de répercussions neurologiques, avec une destruction neuronale importante. Les expériences animales lors du ROSC suggèrent qu’une PaO2 élevée durant la première heure peut aggraver les lésions cérébrales postanoxiques (augmentation des dommages oxydatifs et de la mort neuronale, péjoration de la fonction neurologique, vasoconstriction cérébrale).57
Cependant, les données humaines lors du ROSC sont limitées. Une étude de cohorte de 2010 a mis en évidence une possible association entre hyperoxémie (PaO2 ≥ 40 kPa) dans les 24 heures suivant le ROSC et une mauvaise évolution neurologique, avec une augmentation de la mortalité.48 Toutefois, les résultats de plusieurs études observationnelles sont discordants.49,58 Bien que certaines d’entre elles suggèrent que l’hyperoxémie devrait être considérée comme un facteur de mauvais pronostic potentiellement modifiable, plusieurs facteurs confondants ont été identifiés et ébranlent ce concept.51 Par contre, en voulant limiter l’hyperoxie, le risque de précipiter des événements hypoxiques survient, dont les effets cérébraux néfastes sont bien établis.58 Tant qu’une oxymétrie continue est utilisée, le danger potentiel lié à l’hypoxémie est limité.
En 2011, une étude a suggéré une augmentation du risque de décès corrélée à l’élévation de la PaO2.49 Un seuil de toxicité de l’O2 n’a pas été identifié, bien qu’une PaO2 > 30 kPa semble associée à une faible probabilité de récupération neurologique. Limiter autant que possible l’hyperoxémie pourrait donc être bénéfique.
En conclusion, nous suivons les guidelines actuelles de l’AHA pour la réanimation cardiopulmonaire, qui recommandent que toutes les victimes d’ACR reçoivent 100% d’O2 au stade initial de la prise en charge (classe A). Après le ROSC, une évaluation formelle des besoins en O2 devrait être faite à l’aide d’une oxymétrie de pouls et d’une gazométrie. Le consensus de l’International Liaison Committee On Resuscitation (ILCOR) préconise une réoxygénation contrôlée en ciblant une saturation entre 94 et 98% (classe A).59 Pour être efficace, cette stratégie doit être initiée précocement après le ROSC, la première heure semblant être la plus importante.
Le choc hémorragique est un état d’hypoperfusion tissulaire résultant d’un déséquilibre entre l’apport d’O2 aux tissus (DO2 diminuée) et les besoins en O2 (MRO2 augmentée). La DO2 est dépendante du flux sanguin et du contenu artériel en O2.60 L’hypoperfusion systémique conduit à une hypoxie et à un déficit en nutriments qui entraîne la mort cellulaire ; en l’absence de correction, cela se traduit cliniquement par un syndrome inflammatoire systémique (Systemic Inflammatory Response Syndrome ou SIRS) et une défaillance d’organe.61
La consommation d’oxygène (VO2) est indépendante du débit cardiaque et de la DO2, car les tissus sont capables d’extraire l’oxygène au niveau de la microcirculation.61 Ainsi, en cas d’hémorragie, la DO2 diminue mais la VO2 change peu, car le flux sanguin est redistribué aux organes nobles et aux tissus avec le plus de besoins métaboliques. En condition d’hypoxie, l’utilisation efficace de l’O2 se reflète par son extraction augmentée. Cependant, si la DO2 diminue en dessous d’un seuil critique, l’extraction n’est plus adéquate et entraîne un déficit en O2, et la VO2 diminue proportionnellement. Les tissus hypoxiques modifient alors leur métabolisme pour la voie anaérobe, ce qui conduit à la production de lactate tissulaire, marqueur de l’hypoxie. La somme des déficits en oxygène accumulés dans le temps représente la dette en oxygène, qui est l’événement circulatoire le plus précoce en cas de défaillance multi-organique.61
Des études animales ont démontré que la DO2 critique est un paramètre remarquablement constant.62 En effet, en observant des chiens en situation normale et lors d’une hémorragie, on a pu établir une dette en O2 minimale en dessous de laquelle tous les animaux survivent et au-dessus de laquelle la mortalité augmente, jusqu’à atteindre un seuil universellement létal.63 Chez les êtres humains, la mortalité est directement liée à la dette en O2, estimée aux urgences à partir des marqueurs métaboliques que sont le déficit en base et le taux de lactate. Ils sont les meilleurs indices de l’étendue du choc (grade 1B), ainsi que de la résolution ou de la détérioration postlésionnelle.61 Par ailleurs, c’est la dette cumulée durant les deux premières heures de réanimation, plutôt que la restauration volémique totale en elle-même, qui a un impact majeur sur le risque d’atteinte d’organe.61,64,65
Dans le choc hémorragique, l’inhalation d’oxygène à haute concentration est habituellement utilisée en se basant sur l’hypothèse qu’elle augmente la PaO2 et la part d’O2 dissous, atténuant ainsi l’hypoxie cellulaire dans un système où la capacité de transport est diminuée par la perte d’Hb.66 L’hyperoxygénation entraîne effectivement une augmentation marquée de la PaO2. L’Hb est complètement saturée en oxygène, mais l’augmentation du contenu artériel en O2 (PaO2) est modeste car il y a un manque de transporteur, et la part d’O2 dissous reste négligeable.
Chez le rat souffrant d’une hémorragie sévère contrôlée, il a été démontré que l’état d’hyperoxémie provoquée induit une augmentation de la tension artérielle moyenne (TAM) et améliore la survie.66 Le mécanisme sous-jacent est possiblement l’augmentation du contenu artériel en O2. D’autre part, l’effet vasoconstricteur de l’O2 conduit à une hypertension artérielle, ainsi qu’à une redistribution du flux sanguin. Toutefois, ces modèles d’hémorragie contrôlée représentent seulement une petite proportion des cas de traumatismes humains.
Les études expérimentales employant des protocoles de saignements incontrôlés sont plus significatives. En 2001, une étude a été faite sur des rats pour évaluer les effets de l’inhalation de 100% d’O2 durant vingt minutes après un traumatisme, sur quatre modèles avec saignement incontrôlé.66 Les quatre protocoles ont mené à la perte de 15 à 30% du volume sanguin et à un taux de mortalité de 13 à 56% dans les quatre heures. L’hyperoxémie a entraîné initialement une augmentation de la TAM, suivie d’une majoration du saignement, une détérioration hémodynamique avec chute de la TAM, le développement d’une acidose lactique, ainsi qu’une mortalité précoce. Ce modèle a démasqué un effet potentiellement délétère de l’hyperoxémie lors d’une hémorragie : les gros vaisseaux lésés peuvent saigner lorsque la pression est restaurée. Chez les rats avec un saignement des artères de taille moyenne, la réponse hémodynamique précoce à l’oxygène a disparu après 40 minutes, mais aucun effet délétère n’a été démontré. Finalement, chez les deux modèles avec saignement des petits vaisseaux, un effet bénéfique soutenu de l’oxygène sur la pression artérielle a été observé. Les résultats mettent donc en évidence des effets différents de l’hyperoxémie : un effet bénéfique sur le saignement des petits vaisseaux du parenchyme, et un possible effet délétère sur le saignement des gros vaisseaux.
Le traitement du choc hémorragique doit être efficace, rapide et agressif, visant à restaurer une volémie et une oxygénation tissulaire adéquates.67 L’oxygénation normobare et la transfusion sanguine sont deux mesures essentielles pour atteindre ce but. Il est donc crucial de les considérer précocement dans la prise en charge.
Les recommandations concernant les transfusions issues des guidelines européennes proposent un taux d’Hb cible entre 70 et 90 g/l chez les patients n’étant pas à risque d’hypoxie tissulaire. Viser un taux d’Hb à 100 g/l est raisonnable pour les patients saignant activement, les personnes âgées ou les patients à risque de SCA. En effet, un rapport récent montre que l’augmentation de l’Hb de 87 à 102 g/l améliore l’oxygénation cérébrale locale chez 75% des patients (corrélation significative entre l’oxygénation et la concentration d’Hb).68
En conclusion, la prise en charge du choc hémorragique vise à restaurer une oxygénation tissulaire adéquate. Le contrôle de la source hémorragique et la correction volémique constituent les mesures majeures. La restauration du transport d’oxygène est recherchée par l’oxygénothérapie normobare, la transfusion sanguine et le support cardio-circulatoire vasoactif. Aucune donnée clinique ne permet actuellement de démontrer un effet bénéfique ou délétère de l’hyperoxygénation. En phase aiguë, l’administration d’oxygène à haute concentration reste inchangée, conformément aux recommandations de l’ACS/ATLS (American Cancer Society/Advanced Trauma Life Support). En milieu hospitalier et sous strict contrôle de la lactatémie, une diminution progressive peut être envisagée.
L’administration systématique d’oxygène lors de situations médicales ou traumatiques aiguës est remise en cause. Si la correction de l’hypoxie cellulaire reste un objectif central, il n’est pas démontré que l’hyperoxémie soit le meilleur moyen d’y parvenir. Les études cliniques et une meilleure compréhension des phénomènes microvasculaires locaux, en particulier de la vasoconstriction hyperoxémique et des lésions de reperfusion, conduisent à un changement de paradigme. S’il demeure que l’apport d’oxygène supplémentaire reste nécessaire en cas d’hypoxémie démontrée ou en cas d’incertitude dans des situations suraiguës telles que l’ACR ou le choc hémorragique, cette molécule devrait être considérée comme un médicament à part entière avec ses bénéfices et ses effets secondaires indésirables. L’objectif thérapeutique recherché devrait donc être ciblé et un monitoring serré devrait en être assuré en toutes circonstances.
> Donner de l’oxygène pour une SaO2 cible entre 94 et 98%, ou entre 88 et 92% s’il y a un risque d’insuffisance respiratoire hypercapnique (BPCO)
> Le choc hémorragique est la seule indication à donner de l’oxygène, peu importe la SaO2
> La dyspnée n’est pas une indication à donner de l’oxygène