La ventilation non invasive (VNI), qui comprend également la CPAP (Continuous Positive Airway Pressure) dans son acceptation large, apporte un support ventilatoire par l’intermédiaire d’une interface nasale, buccale ou faciale, sans recours à une intubation endotrachéale. Classiquement utilisée dans le traitement de l’insuffisance respiratoire chronique, la VNI a trouvé, depuis la fin des années 80, de nouvelles applications dans l’insuffisance respiratoire aiguë ou la décompensation aiguë d’insuffisance respiratoire chronique.
La VNI est utilisée dans certaines indications comme alternative à l’intubation, car elle est d’une efficacité équivalente en termes de diminution du travail respiratoire et qu’elle permet d’éviter les complications traumatiques et infectieuses de la ventilation mécanique. Ceci comprend les pneumonies associées au ventilateur chez les patients intubés mais également les complications liées aux infections nosocomiales lors des procédures invasives telles que les cathéters transurétraux ou les voies veineuses centrales qui sont moins fréquentes lors de VNI.
De plus, le confort du patient est sensiblement amélioré car il a la possibilité de s’alimenter, de se mobiliser et de communiquer. Cela permet de diminuer l’anxiété, le sentiment d’impuissance et d’isolement, réduisant ainsi la nécessité de sédation qui est connue, lors de la ventilation invasive, pour retarder le sevrage du ventilateur.
D’autre part, la VNI peut être utilisée à l’extérieur du cadre d’une unité de soins intensifs (pour autant que les équipes de soins soient entraînées à son utilisation), permettant ainsi une utilisation plus rationnelle des lits spécialisés.
La VNI doit être envisagée chez tout patient présentant une cause réversible d’insuffisance respiratoire aiguë et répondant aux critères suivants :
causes réversibles d’insuffisance respiratoire aiguë :
exacerbation aiguë ;
œdème pulmonaire aigu cardiogénique (OAP).
Signes et symptômes de détresse respiratoire aiguë :
dyspnée modérée à sévère, en aggravation par rapport à l’habitude ;
fréquence respiratoire > 24/min pour l’insuffisance respiratoire globale ;
fréquence respiratoire > 30/min dans l’insuffisance respiratoire hypoxémique ;
utilisation des muscles accessoires, respiration abdominale paradoxale.
Anomalies des échanges gazeux :
PaCO2 : > 45 mmHg (6 Kpa) ;
PaO2/FIO2 : < 200 ;
pH < 7,35.
D’autres situations recueillent une évidence variable dans la littérature (tableau 1).
Les situations contre-indiquant la mise en place de la VNI concernent les problèmes hémodynamiques, mécaniques et le manque de protection des voies aériennes (tableau 2).
Chez les patients sélectionnés de manière adéquate, la VNI est sûre et généralement bien tolérée. La plupart des effets indésirables sont liés à l’interface ou au ventilateur (tableau 3).
En urgence, la VNI échoue dans un quart à un tiers des cas, en fonction de plusieurs facteurs, incluant l’expertise de l’équipe, la sévérité de la pathologie aiguë et l’occurrence d’effets indésirables ou de complications.
La VNI peut être pratiquée en utilisant des ventilateurs à régulation de volume ou de pression.
Nous aborderons ici la CPAP et la BPAP (Bilevel Positive Airway Pressure), majoritairement utilisées lors de situations d’insuffisances respiratoires aiguës, les autres modes ventilatoires, plus rarement utilisés, sont repris dans le tableau 4.
La CPAP n’est pas véritablement une ventilation puisqu’elle ne fournit pas de pression d’insufflation, mais une pression expiratoire positive (PEP) continue. Le patient maîtrise à la fois la fréquence, la durée du temps inspiratoire et le volume courant.
La PEP permet d’augmenter la capacité résiduelle fonctionnelle par recrutement des alvéoles collabées ou inondées ; ceci optimise le rapport ventilation/perfusion et augmente la compliance pulmonaire. Ces effets améliorent l’oxygénation et diminuent le travail respiratoire.
Chez les patients dont le ventricule gauche est dilaté et hypokinétique, la CPAP, par augmentation de la pression intrathoracique, permet d’améliorer la fonction ventriculaire gauche grâce à un effet prédominant sur la réduction de la postcharge, relativement à la précharge.
La BPAP réduit le travail respiratoire en appliquant une pression positive aux voies aériennes pendant l’inspiration (IPAP ou inspiratory positive airway pressure), facilitant l’expansion des poumons, augmentant le volume courant et permettant une diminution de la dépense énergétique nécessaire à la ventilation. La ventilation alvéolaire est augmentée, induisant une diminution de la PaCO2 et donc une amélioration de l’acidose respiratoire. La pression expiratoire positive (EPAP (Expiratory Positive Airway Pressure) ou PEP), dans l’exacerbation aiguë de la BPCO, réduit le travail respiratoire en contrecarrant les effets de la PEEP intrinsèque due au trappage d’air et à l’hyperinflation dynamique. Pratiquement, l’effort inspiratoire du patient déclenche le ventilateur qui fournit une pression inspiratoire positive (IPAP) et maintient une pression positive pendant l’expiration (EPAP). L’aide inspiratoire représente l’IPAP moins l’EPAP. En mode S/T, le plus fréquemment utilisé, les cycles inspiratoires sont assistés et contrôlés : une fréquence de sécurité assure le maintien d’une ventilation minimale. Si la fréquence respiratoire du patient est supérieure à la fréquence de sécurité préréglée, le déclenchement (trigger) du cycle est assuré par le patient (cycle spontané), mais si la fréquence est inférieure, le trigger est assuré par la machine (cycle contrôlé). Les autres modes, plus rarement utilisés, sont repris dans le tableau 4.
Un défi majeur dans la mise en œuvre de la VNI est d’assurer une bonne efficacité de l’assistance ventilatoire tout en optimisant le confort du patient et en minimisant les fuites. Les interfaces jouent un rôle majeur dans la tolérance et l’efficacité de la VNI. Il est recommandé de disposer de plusieurs tailles et formes de masques pour pouvoir s’adapter aux différentes morphologies des patients.
Il s’agit d’une bonne indication à la VNI car le trouble est le plus souvent réversible en quelques jours. La BPAP est le mode ventilatoire de choix car elle permet d’améliorer l’oxygénation, d’augmenter la ventilation alvéolaire pour traiter l’hypercapnie et l’acidose respiratoire. Un exemple de réglage initial pour son instauration est décrit dans le tableau 5. La CPAP n’a pas d’indication dans ce cas.
Dans une méta-analyse, Quon et coll. ont mis en évidence une réduction de 65% du taux d’intubation, de 55% de la mortalité et de 1,9 jour de la durée d’hospitalisation chez les patients BPCO admis pour une exacerbation aiguë et traités par BPAP.1
Celle-ci tend à être plus efficace chez les patients présentant une exacerbation sévère que ceux avec une exacerbation légère à modérée. D’autre part, plus la BPAP est débutée précocement plus ses bénéfices sont évidents.
Cela étant, les patients présentant une décompensation sévère avec contre-indications à la BPAP, ou ne s’améliorant pas ou s’aggravant après un essai de VNI d’une heure, doivent être intubés sans délai.
Concernant la mise en place de la VNI dans le cadre des interventions SMUR, Il existe une évidence croissante que l’utilisation préhospitalière de la BPAP est faisable, améliore la symptomatologie, prévient l’intubation, diminue la durée de séjour hospitalier et qu’elle pourrait réduire la mortalité, comme l’a mis en évidence une étude parue en 2011.2
Ces quinze dernières années, de nombreuses études3,4 ont démontré que la CPAP était efficace dans le traitement de l’OAP cardiogénique, avec une amélioration de la tachypnée, de l’oxygénation et une diminution du taux d’intubation. Le réglage initial de la PEP est de 5 à 7 cmH2O, à augmenter selon la tolérance à 10 cmH2O.
Des méta-analyses récentes5,6 ont comparé l’efficacité de la CPAP et de la BPAP dans le traitement de l’OAP, ne trouvant pas de différences concernant l’intubation et/ou la mortalité entre les deux modalités. Le bénéfice de l’aide inspiratoire de la BPAP semble surtout profitable au sous-groupe des patients hypercapniques. La recommandation qui prévaut actuellement est de débuter par la CPAP et de considérer la BPAP en cas de non-réponses clinique et gazométrique (sous réserve d’un traitement médical par ailleurs optimal).
Plusieurs études7,8 ont démontré un bénéfice de l’application très précoce de la CPAP dans le cadre de l’OAP. Une diminution du taux d’intubation et de la mortalité chez les patients traités précocement (début sur site), par rapport aux patients traités plus tardivement (à l’arrivée aux urgences), a été démontrée.
Une analyse Cochrane9 récente a conclu que la VNI en préhospitalier apparaissait «sûre et faisable» et qu’elle pouvait diminuer le taux d’intubation en comparaison d’une instauration dans le service d’urgences ; toutefois, pour les auteurs, cette évidence est préliminaire et des études coût-efficacité doivent être effectuées.
L’évidence actuelle10 suggère que l’initiation de la VNI en cas de pneumonie est justifiable chez les patients connus pour une BPCO ; chez ces patients, une amélioration du status respiratoire et des échanges gazeux a été mise en évidence. Dans les autres cas, l’efficacité de la VNI n’a pu être démontrée.
En reprenant les interventions SMUR de l’Hôpital neuchâtelois (trois bases) et les admissions aux urgences (deux sites de soins aigus) pour une affection respiratoire au cours de l’année 2012, nous avons constaté qu’une mise en place précoce de la VNI aurait pu avoir lieu chez plusieurs patients.
Pendant l’année, 1082 patients ont consulté à l’Hôpital neuchâtelois avec un motif de «dyspnée» (tableau 6). La proportion d’ambulatoires était de 46% ; il s’agissait le plus souvent d’hyperventilation ou de cas de crise d’asthme qui, après traitement, ont rapidement évolué favorablement.
La proportion de cas hospitalisés aux soins intensifs était de 20%, dont la moitié ont bénéficié de VNI et douze ont dû être intubés. L’analyse plus fine a montré que 60 patients (22%) hospitalisés en division à Pourtalès ont bénéficié de VNI aux urgences.
L’analyse des cas de dyspnée médicalisés par le SMUR a mis en évidence que 52 des 130 patients auraient certainement pu bénéficier de VNI en préhospitalier puisque celle-ci a été mise en place dès leur arrivée aux urgences (tableau 7). En reprenant les dossiers des sept patients intubés du collectif, on estime que quatre d’entre eux auraient probablement pu bénéficier de VNI et, potentiellement, éviter une intubation endotrachéale.
Fort de ces constatations, une stratégie de déploiement de la VNI en préhospitalier et précocement à l’admission aux urgences a été décidée.
Nous prévoyons la formation progressive de tout le personnel des urgences, la création d’un piquet pour les physiothérapeutes et l’achat de nouveaux respirateurs.
La formation théorique est dispensée par le chef de Service de pneumologie de l’HNE alors que la formation pratique est donnée par petits groupes et de manière itérative par les physiothérapeutes.
A un an, il est prévu d’évaluer le bénéfice de cette mise en place sur la base du nombre d’intubations, de la durée de séjour aux soins intensifs, et du ressenti des équipes medico-soignantes des urgences (questionnaire).
> La ventilation non invasive (VNI) est d’une efficacité comparable à la ventilation mécanique concernant la réduction du travail respiratoire
> La VNI permet d’éviter les complications infectieuses et traumatiques de l’intubation endotrachéale et de la ventilation mécanique, tout en améliorant le confort du patient
> L’efficacité de la VNI en situation d’insuffisance respiratoire aiguë est d’autant plus importante que son instauration est précoce, d’où l’intérêt de son application en préhospitalier et aux urgences
> Les deux indications de choix dans le contexte aigu restent à l’heure actuelle l’œdème pulmonaire aigu et l’exacerbation aiguë de BPCO, mais d’autres indications sont à l’étude
> Il est important de rester attentif à ne pas retarder une intubation si elle s’avère nécessaire, en cas d’échec de la VNI après une heure, ou d’emblée en cas de contre-indications à la VNI