C’est une polémique médicamenteuse d’outre Manche : un appel pour une interdiction immédiate de la méfloquine (le célèbre Lariam de Roche) chez les soldats britanniques. Raison invoquée : les effets secondaires à type de dépression sévère et autres pathologies neuropsychiatriques. Relayé par la BBC, cet appel a été lancé par le député (conservateur) et ancien militaire Johnny Mercer. Il dit avoir reçu des dizaines de lettres de militaires (et de civils) s’estimant victimes. Pour sa part, le ministère britannique de la Défense a déclaré que l’utilisation de la méfloquine était fondée sur des avis d’experts et que la spécialité pharmaceutique a été (et demeure) largement consommée à travers le monde, tant chez les militaires que par des civils.
… la curiosité est plus forte que la conscience du risque …
Johnny Mercer est un ancien combattant en Afghanistan. Il entend obtenir que le gouvernement cesse d’imposer cette prescription jusqu’à ce que d’autres recherches permettent d’y voir plus clair quant à l’usage prophylactique systématique. Des documents internes à l’armée britannique commencent à être évoqués pendant que des témoignages militaires (anonymes) commencent à être diffusés. La méfloquine induirait une privation de sommeil, de repos et affecterait durablement les capacités de raisonnement… puis un état dépressif s’installerait, parfois une anxiété pathologique, une exacerbation paranoïaque… psychoses…
Pour sa part, la BBC rappelle qu’en 2013 la Food and Drug Administration américaine avait lancé des avertissements quant aux possibles effets neuropsychiatriques de la méfloquine. Une controverse n’avait alors guère tardé tandis que la multinationale Roche assurait que les bénéfices l’emportaient largement sur les risques. La méfloquine a été interdite chez les forces spéciales américaines en 2013 ; alors qu’au Royaume-Uni il reste le médicament de choix pour le personnel militaire dans des zones impaludées. Pourquoi ? L’affaire vient de faire l’objet d’échanges démocratiques au Parlement britannique. Et c’est non : le ministère de la Défense n’envisage pas, pour l’heure de modifier ses pratiques.
En France, le Lariam est commercialisé depuis près de trente ans (aujourd’hui 32.20 € la plaquette de huit comprimés). Effets neuropsychiatriques ? L’Agence nationale française de sécurité du médicament a pris l’affaire au sérieux dès juillet 2013. Elle demandait à Roche d’écrire aux prescripteurs. Extraits :
«Concernant les troubles neuropsychiatriques, nous vous rappelons que l’utilisation de la méfloquine en traitement prophylactique du paludisme est contre-indiquée chez des patients présentant ou ayant présenté un trouble neuropsychiatrique ou un antécédent de convulsions. De plus, les patients traités en prophylaxie doivent être informés qu’en cas de survenue de tout trouble neuropsychiatrique, ils doivent immédiatement arrêter le traitement et consulter d’urgence un médecin afin de remplacer la méfloquine par un traitement prophylactique alternatif du paludisme. (…) Ces effets peuvent survenir et persister jusqu’à plusieurs mois après l’arrêt du traitement (en raison de la longue demi-vie de la méfloquine) comme cela a été par exemple rapporté chez des patients présentant une amnésie pouvant parfois durer plus de trois mois. (…)».
Qu’en est-il, deux ans plus tard, chez les militaires français ? Nous avons demandé au Service de santé des armées (SSA). «Pour tous militaires français partant en opération, le SSA prescrit la doxycycline, nous a-t-on répondu. Et ce depuis une quinzaine d’années. Pour autant le Lariam n’a pas été abandonné : il peut toujours être utilisé – en deuxième recours, en cas d’intolérance à la doxycycline.» Cette spécialité est fabriquée à Orléans par la pharmacie centrale des armées françaises.
En France, le Pr Mickaël Nassila n’est guère connu du grand public. Il est à la tête du Grap (Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances – Inserm – Université Jules Verne de Picardie). Il travaille aussi au sein du projet européen AlcoBinge (mieux comprendre le phénomène du binge drinking afin de pouvoir lutter efficacement). Il y a quelques jours, ce spécialiste faisait le point dans Le Journal du Dimanche sur ses travaux de recherche. Il évoquait les dégâts des ivresses-réflexes massives sur les cerveaux adolescents (ceux des rats ou des humains) et une récente publication scientifique sur ce thème dans International Journal of Neuropsychopharmacology.1 Et puis, il délivre un message politique :
«Arrêtons de penser qu’il faut que jeunesse se passe et que les cuites sont sans conséquences. Le binge drinking est un enjeu majeur de santé publique. Il est temps de créer une journée nationale sans alcool en France. Voire, une semaine autour de l’alcool, pour expliquer tous les méfaits associés à la consommation excessive et faire le point sur sa consommation».
Et en écho, le Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions : «Une journée nationale annuelle sans alcool serait bien. Une semaine ce serait encore mieux, car le problème, nous le savons, est de plus en plus l’excès hebdomadaire que l’usage quotidien. Par ailleurs, imaginons un instant que nous ayons (pour les dommages dus aux addictions) les mêmes évaluations mensuelles médiatisées que celles de l’(in)sécurité routière… Nous aurions alors à subir des mauvaises nouvelles à trois ou quatre chiffres, et ce chaque mois… Cela aiderait-il à la prise de conscience, à la “responsabilité” de tous, pour parler comme le fait désormais Bernard Cazeneuve, ministre français de l’Intérieur… ?».
Journée nationale ? On regarde sur la Toile. Et on découvre que la Suisse organise sa prochaine «Journée nationale sur les problèmes liés à l’alcool» en mai 2016. Objectif : sensibiliser la population, les médias et les décideurs aux souffrances endurées par les personnes concernées par les problèmes d’alcool et leurs proches. Pourquoi ne pas lancer une semaine franco-suisse «sans alcool» ?
En France, la politique de sécurité routière a permis de réduire massivement le nombre de morts sur la route : de 18 000 morts au début des années 70 à 3268 morts en 2013. Malheureusement, ce bilan repart à la hausse. Le gouvernement est inquiet, l’affaire polémique et un rapport qui dormait dans un tiroir de plomb du ministère de l’Intérieur vient d’être rendu public.2 C’est un document passionnant à bien des égards qui évoque l’émergence de la «génération SMS».
«L’addiction au téléphone et au SMS est un facteur de risque croissant, peut-on lire dans ce document. L’ensemble des sondages disponibles mettent en évidence que bien que la plupart des conducteurs perçoivent le danger du téléphone au volant et a fortiori celui du SMS ou d’internet au volant, de plus en plus de personnes le pratiquent. Ce risque progresse de façon importante : si en 1999, 81% des personnes s’interdisaient de téléphoner au volant, elles ne sont plus que 77% en 2004 et 42% en 2011». Dans le même temps, la conscience du risque diminue.
Ce risque est notablement accru avec l’arrivée de la «génération SMS» qui pianote d’une seule main – et ce alors que le risque lié au détournement du regard de la route est encore supérieur à celui d’une conversation téléphonique. Le téléphone est le «point noir» des comportements au volant. Avec ses nouvelles fonctionnalités, il est toujours plus envahissant dans la conduite. Et la conscience des dangers liés à son usage s’effrite avec une fréquence d’utilisation qui a presque été multipliée par deux en dix ans : 34% reconnaissent qu’il leur arrive de téléphoner au volant, contre 18% en 2004.
Pire : un automobiliste sur cinq s’autorise même la consultation ou l’envoi de SMS au volant. 31% des conducteurs, possesseurs du permis de conduire et d’un téléphone portable déclarent lire leurs SMS, des mails, des notifications ou des alertes en conduisant. Ils sont 13% à déclarer écrire des SMS, des mails, «liker» ou twitter en conduisant. C’est une «réelle emprise du besoin de communiquer en permanence sur les conducteurs» ; «la curiosité est plus forte que la conscience du risque» ; «les conducteurs ont conscience que l’utilisation du téléphone portable affecte leurs réflexes de conduite» ; «ils essayent de se fixer des règles du jeu (souvent transgressées) pour en éviter l’usage». C’est une assez bonne définition de l’addiction.