La maladie rénale diabétique (MRD) comprend la néphropathie diabétique (ND) typique et d’autres formes d’atteintes rénales (tableau 1). La ND est un syndrome clinique, affectant 25 à 40% des patients diabétiques, caractérisé par une albuminurie, détectée à la bandelette urinaire, de plus de 300 mg/jour (macroalbuminurie ou A3), confirmée au moins à deux occasions à plus de trois mois d’écart, associée à une diminution du débit de la filtration glomérulaire (DFG) et, souvent, à une hypertension artérielle. La protéinurie a été reconnue dans le diabète sucré déjà à la fin du XVIIIe siècle. Kimmelstiel et Wilson ont décrit les lésions classiques de glomérulosclérose nodulaire chez des patients diabétiques hypertendus avec protéinurie dans les années 1930. La microalbuminurie, ou albuminurie de faible importance, appelée maintenant albuminurie A2 (<300 mg/24 h), traduit généralement un stade précoce du développement de la ND dans le diabète de type 1, mais aussi un risque d’autres complications de microangiopathie et de macroangiopathie, particulièrement dans le diabète de type 2.
Chez le patient diabétique, ce type d’atteinte rénale, lié à une lésion primitive du glomérule, n’est cependant pas le seul. En effet, nombreux sont les patients diabétiques qui présentent une baisse du DFG sans albuminurie et sans rétinopathie, surtout, mais pas exclusivement, dans le cadre du diabète de type 2. Quoi qu’il en soit, l’atteinte rénale (caractérisée par une albuminurie et/ou une baisse du DGF) est source importante de progression vers l’insuffisance rénale terminale nécessitant une prise en charge en dialyse. C’est la cause la plus fréquente de démarrage d’un traitement de suppléance de la fonction rénale dans les pays industrialisés (plus de 20% des patients dialysés sont diabétiques en Europe, plus de 30% aux Etats-Unis et plus de 40% en Asie). Cependant, la ND est aussi fréquemment associée à des complications cardiovasculaires, d’autant plus fréquentes que la fonction rénale est altérée. Ces constatations renforcent l’intérêt de prévenir l’atteinte des reins chez le sujet diabétique. D’emblée, insistons sur la nécessité, chez le patient diabétique suspect d’être affecté d’une MRD, de suivre à la fois l’albuminurie et le DFG.
Cet article tente de faire le point sur ce qu’est la MRD, notamment la ND, en insistant, en particulier, sur les mécanismes généralement connus de son développement. Il ambitionne également de dégager les aspects pratiques de la prise en charge actuelle et les possibilités d’améliorer celle-ci, dans un avenir plus ou moins proche, grâce à des approches pharmacologiques innovantes. Il s’est inspiré, notamment, de quatre publications récentes et fort intéressantes dans le domaine.1–4
Les facteurs de risque de la ND sont peu spécifiques.5 A côté de l’hyperglycémie indispensable, on retrouve les autres facteurs de risque vasculaire (tabac, hypertension, dyslipidémie). Il faut ajouter une histoire familiale de diabète avec néphropathie et des facteurs moins recherchés tels que des marqueurs d’inflammation, de stress oxydant, de produits avancés de glycosylation, l’hyperuricémie, des anomalies cardiovasculaires, des marqueurs tubulaires urinaires.
La MRD est liée à des facteurs d’initiation et d’accélération de développement (tableau 2). La ND se développe donc sur un terrain génétiquement prédisposé, plus souvent chez les sujets de race noire, ou hispaniques ou encore asiatiques, après au moins dix ans d’évolution d’un diabète mal équilibré. L’hypertension artérielle apparaît souvent quand la ND est déjà présente dans le diabète de type 1, avant ou au plus tard en même temps en cas de diabète de type 2. Dans les deux situations, elle va jouer un rôle à la fois d’initiateur et de promoteur de la MRD.
La figure 1 reprend les grandes étapes du développement de la ND. Les aspects métaboliques et les facteurs hémodynamiques jouent un rôle important. Parmi les anomalies métaboliques, citons l’hyperglycémie, la glycation non enzymatique des protéines avec génération de produits avancés de cette glycation (AGE), l’activation de la protéine kinase C, la production de facteurs de croissance, l’activation du stress oxydant avec production de radicaux libres oxygénés. Les facteurs hémodynamiques sont ceux qui génèrent une hypertension glomérulaire, avec vasodilatation artérielle afférente et vasoconstriction artérielle efférente du glomérule, où interviennent l’activation du système rénine-angiotensine et le rétrocontrôle tubulo-glomérulaire. La dysfonction endothéliale participe à cette composante hémodynamique avec production exagérée de diméthylarginine asymétrique (ADMA) au détriment de celle de l’oxyde nitrique (NO). S’ensuit une inflammation, avec une accumulation de macrophages, la production de cytokines profibrotiques, une prolifération mésangiale glomérulaire, le dépôt d’une matrice extracellulaire en excès et l’apparition d’une albuminurie et/ou d’une baisse du DFG.
L’histoire typique de la ND est celle rencontrée chez les patients diabétiques de type 1. Généralement, après une phase d’hyperfiltration glomérulaire, apparaît une albuminurie A2 puis A3, détectée aisément à la bandelette urinaire et, enfin, survient une diminution progressive du DFG. Cependant, ce tableau est loin d’être toujours rencontré. On peut, en effet, retrouver des patients qui voient leur DFG descendre à <60 ml/min/1,73 m2 alors qu’ils sont toujours normo-albuminuriques, dans le diabète de type 1 (environ un quart des patients de l’étude DCCT-EDIC (Diabetes Control and Complications Trial – Epidemiology of Diabetes Interventions and Complications))6,7 et davantage encore dans le diabète de type 2 (environ 60% dans l’étude United Kingdom Prospective Diabetes Study (UKPDS)).8 Pour expliquer ce tableau différent du paradigme habituellement accepté, il faut certainement faire appel à la présence de facteurs de risque d’athérosclérose, une inflammation systémique, une hyperuricémie, voire à des épisodes répétés d’insuffisance rénale aiguë. Une perte du rythme nycthéméral de la pression artérielle est souvent observée alors. L’absence d’albuminurie dans le cadre du diabète de type 2 avec insuffisance rénale prédit cependant généralement une pente de décroissance de fonction rénale moins forte.
La ND classique survient généralement après un minimum de dix ans d’évolution du diabète. Une atteinte rénale plus précoce dans l’évolution du patient diabétique doit faire suspecter une autre cause (vasculaire, tubulo-interstitielle, glomérulaire non diabétique). Au stade de l’albuminurie A3, presque un patient sur deux va évoluer vers l’insuffisance rénale terminale après quatre à cinq ans, même en appliquant les mesures thérapeutiques les plus adaptées.
La prise en charge doit être multifactorielle, comme bien démontré dans l’étude STENO. Après un recul de treize ans, cette étude a démontré l’intérêt d’une approche combinée sur le contrôle glycémique, tensionnel et lipidique, avec des conséquences favorables sur le plan cardiovasculaire mais aussi sur le plan de la micro-angiopathie dont font partie les complications rénales.9 Dans l’étude STENO, Gaede et collaborateurs avaient noté, chez des patients diabétiques de type 2 soumis à un traitement intensif multifactoriel, une très faible progression de l’albuminurie A2 présente au départ vers le stade A3.10 Ceux manifestant même un retour de l’albuminurie A2 vers des valeurs normales avaient leur fonction rénale protégée contre une dégradation ultérieure. Les cibles pour les paramètres glycémiques, tensionnels et lipidiques chez les sujets diabétiques sont rappelées dans les recommandations internationales qui insistent sur l’approche individuelle de la prise en charge. Les études qui ont servi de base à ces recommandations avaient des objectifs variables, comme rappelé par Rutter et collaborateurs en 2011.11 La prise en charge du diabète par l’American Diabetes Association s’en est inspirée, mais a intégré aussi les nouvelles données, pour proposer des objectifs simplifiés : HbA1c <7%, cible de pression artérielle <140/80 mmHg et de LDL cholestérol <100 mg/dl (<2,6 mmol/l) ou même <70 mg/dl (<1,8 mmol/l) (avec recours aux statines) chez les patients avec une histoire d’infarctus du myocarde ou un âge >40 ans et plusieurs facteurs de risque (dont fait partie un DFG <45 ml/min/ 1,73 m2).1
Le suivi du patient nécessite un dosage annuel de l’albuminurie, normalisé par gramme de créatinine urinaire (pour éliminer les biais liés à des phénomènes de dilution ou concentration des urines), après cinq ans d’évolution du diabète de type 1 et dès le diagnostic dans le diabète de type 2. De plus, un dosage systématique au moins annuel de la créatinine sérique est indiqué, permettant d’approcher le DFG (formule MDRD ou CKD-EPI), et l’intervalle est ramené à tous les trois mois si le DFG est <45 ml/min/1,73 m2. En cas d’albuminurie, il est intéressant de rapprocher les dosages successifs vu la variabilité des taux urinaires.
En cas de diabète de type 1, l’étude DCCT-EDIC a bien montré l’intérêt d’un bon contrôle glycémique à la fois dans la phase de traitement intensif mais aussi au cours de l’étude observationnelle qui a suivi, l’ensemble de la période d’observation ayant duré 19 ans. Il existe, en effet, une différence nettement significative en faveur du contrôle intensif (HbA1c durant l’étude atteignant 7,3%) par rapport à une approche moins stricte (HbA1c moyenne de 9,1%) pour ce qui est des complications liées au diabète.12 Il y a eu, entre autres, une diminution significative du nombre de patients ayant progressé vers une insuffisance rénale, caractérisée par un DFG <45 ml/min/1,73 m2, dans le groupe interventionnel intensif qui a continué ensuite un suivi observationnel.
Dans le diabète de type 2, plusieurs études ont montré l’intérêt d’un contrôle glycémique performant.13 Dans ce contexte, la protection néphrologique était particulièrement obtenue lorsque le contrôle glycémique était le plus strict, mais parfois au prix d’une augmentation de risque cardiovasculaire, notamment chez les patients ayant un passé d’événements cardiovasculaires déjà constitués. L’étude UKPDS publiée en 199814 a objectivé une protection rénale chez les patients du groupe intensif atteignant un taux d’HbA1c proche de 7% comparativement au groupe conventionnel avec un taux moyen d’HbA1c de 7,9%. Ces résultats ont été confortés dix années après la fin de l’étude, malgré un contrôle glycémique devenu fort proche entre les deux groupes, supportant le concept de la mémoire glycémique.15 Nous avons bénéficié, plus récemment, des résultats positifs de l’étude ADVANCE16 et de son suivi, l’étude ADVANCE ON.17 Ces études ont, respectivement, suivi pendant 5 ans et 5,4 ans les patients diabétiques de type 2 avec un très bon contrôle glycémique par comparaison à un moins bon contrôle glycémique (HbA1c de 6,5% versus 7,3% dans ADVANCE et de 7,2 versus 7,5% dans ADVANCE ON). Ces études ont montré une réduction significative des événements rénaux, avec une diminution de l’apparition ou de l’aggravation d’une albuminurie dans ADVANCE et une moindre progression vers l’insuffisance rénale dans ADVANCE ON. Le nombre de patients normo-albuminuriques à traiter pendant cinq ans pour prévenir une insuffisance rénale terminale était élevé, estimé à 410. Cependant, ce nombre se réduisait d’un facteur 10, soit 41 seulement, si les patients présentaient déjà une albuminurie A2.18 Il faut noter que, dans ADVANCE et ADVANCE ON, il n’y a pas eu de réduction significative de la mortalité cardiovasculaire dans le groupe intensif, mais aucune augmentation n’a été rapportée, contrairement à une autre étude, l’essai ACCORD.
En 2008, est publiée l’étude ACCORD,19 interrompue prématurément après 3,4 ans de suivi de patients diabétiques de type 2 à haut risque et polymédiqués, en particulier dans le bras intensif. Les niveaux atteints d’HbA1c étaient de 6,3% pour le bras intensif et 7,3% pour le bras non intensif. On n’a pas vu réellement de bénéfice tant sur le plan cardiovasculaire, avec même une augmentation de la mortalité, ce qui a motivé l’arrêt prématuré de l’essai (alors que l’incidence des infarctus du myocarde non mortels était réduite). Il n’y a pas eu d’effet positif, non plus, en ce qui concerne la prévention de l’insuffisance rénale terminale. Ce sont principalement les patients avec insuffisance rénale au départ qui ont payé le plus fort tribut cardiovasculaire.
Le consensus est donc une cible d’HbA1c de ± 7% qui est un compromis entre la protection microvasculaire et macrovasculaire. On tente d’éviter les hypoglycémies qui peuvent être délétères chez les patients, notamment chez ceux avec des antécédents personnels cardiovasculaires ou atteints par les complications microvasculaires avancées ou encore fort âgés, pour lesquels la cible en HbA1c devrait plutôt se situer aux alentours de 8%.1,4 Avec l’objectif d’améliorer le contrôle glycémique sans induire d’hypoglycémie, les médicaments à effet incrétine (inhibiteurs de la dipeptidyl peptidase-4 ou gliptines et agonistes des récepteurs du glucagon-like peptide-1)20 ainsi que les inhibiteurs des cotransporteurs rénaux sodium-glucose de type 2 (SGLT2)21 offrent de nouvelles opportunités. Par ailleurs, ces médicaments ne font pas prendre du poids, mais, au contraire, favorisent un certain amaigrissement. Leurs effets respectifs sur la fonction rénale restent à démontrer, même si des données préliminaires paraissent intéressantes et prometteuses.22–24
La perte de poids est capitale dans le contrôle des facteurs de risque, notamment le diabète de type 2. La chirurgie bariatrique, forme de traitement interventionnel dans les obésités morbides, fait souvent disparaître le diabète chez le patient présentant un amaigrissement très rapide et impressionnant, avec une amélioration du pronostic cardiovasculaire.25 Une analyse récente des résultats de la grande étude prospective «Swedish Obese Subjects» (SOS) a montré une réduction de plus de 60% du risque relatif de développer une albuminurie chez les sujets obèses opérés par comparaison avec ceux traités médicalement, lors d’un suivi médian de dix ans ; le nombre de sujets à opérer pour éviter la survenue d’une albuminurie a été de 9 seulement.26 Une normalisation de la glycémie de façon prolongée après greffe de pancréas peut aussi améliorer les lésions histologiques de la ND.27
Les recommandations européennes de la Société d’hypertension et de cardiologie en 2013 insistent sur une prise en charge tensionnelle des patients diabétiques visant à atteindre la cible de 140/85 mmHg.28 Chez le patient avec protéinurie, une cible systolique en dessous de 130 mmHg est tout à fait défendable. Cette cible, moins stricte qu’auparavant, repose notamment sur les résultats de l’étude ACCORD-hypertension où deux cibles de pression systolique avaient été testées : 120 ou 140 mmHg.29 S’il y a un avantage rénal pour les pressions plus basses, notamment en termes de réduction d’albuminurie, il n’y a pas eu d’impact sur le DFG et le risque cardiovasculaire a même augmenté dans le bras avec la cible de pression artérielle plus basse.30 L’American Diabetes Association, en 2014, propose 140/80 mmHg avec adaptation de cette cible à des valeurs plus basses chez certains patients sans comorbidité.1
L’usage des enregistrements ambulatoires de la pression artérielle sur 24 heures devrait être plus généralisé chez le patient diabétique pour confirmer l’hypertension, étudier le profil tensionnel jour-nuit qui peut avoir un impact sur la progression de la maladie rénale et valider le bon contrôle sur l’entièreté du nycthémère.31,32
De nombreuses études dans le diabète ont montré l’intérêt des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC) ou des antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine (sartan) pour réduire le développement de l’albuminurie.33 Ce bénéfice sera amplifié par une réduction de l’apport sodé.34 Dans la mesure où le patient tolère le traitement, on doit tenter d’augmenter les posologies du bloqueur du système rénine-angiotensine tant que l’albuminurie reste pathologique et ce, jusqu’à la posologie maximale utilisée dans l’hypertension.1
L’hyperfiltration glomérulaire peut avoir un impact délétère sur la progression de l’atteinte rénale. L’usage d’un inhibiteur du système rénine-angiotensine, en réduisant la pression glomérulaire, serait bénéfique dans ce contexte.35
La mode du recours à un double blocage du système rénine-angiotensine, qui a vu le jour dans les années 2000, n’a pas fait ses preuves, voire s’est avérée délétère sur le plan rénal et du risque d’hyperkaliémie. Cette stratégie est maintenant fortement déconseillée, comme nous l’avions déjà discuté dans cette revue,36 à la lumière des résultats d’études combinant deux molécules bloquant le système rénine-angiotensine comme un inhibiteur de rénine, un IEC ou un sartan. Dans l’étude ALTITUDE, la combinaison testée associait l’aliskirène et le valsartan, sans bénéfice avéré et avec un risque accru de manifestations indésirables, y compris rénales.37 Depuis est venue s’ajouter l’étude VA-NEPHRON-D associant, chez le patient diabétique avec atteinte rénale, un IEC et un sartan, avec des résultats globalement défavorables également.38
On sait que dans le diabète, les fractions lipidiques peuvent être altérées avec augmentation des triglycérides, des molécules de cholestérol LDL petites et denses et/ou de LDL oxydés et abaissement du HDL cholestérol. L’utilisation de statines est recommandée chez les patients diabétiques avec une maladie rénale chronique (avec un DFG <45 ml/min) pour protéger surtout le système cardiovasculaire. Ceci est bien démontré.39 Par contre, en ce qui concerne la protection de la dégradation fonctionnelle rénale par l’utilisation de statines, ce point est beaucoup plus controversé.
La cible du cholestérol LDL est <100 mg/dl (<2,6 mmol/l) sauf si le patient a déjà eu un accident cardiovasculaire ou présente plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire (comme l’insuffisance rénale). Dans ce cas, la cible doit atteindre, comme chez tout patient à très haut risque cardiovasculaire, des valeurs de cholestérol LDL <70 mg/dl (<1,8 mmol/l).
Il paraît évident que nous sommes incapables, avec les traitements classiques décrits ci-dessus, de stopper la progression d’une atteinte fonctionnelle rénale, à partir d’un certain niveau de détérioration (baisse de DFG <45 ml/min et/ou albuminurie >1 g/g de créatinine urinaire sous dose maximale d’inhibiteur du système rénine-angiotensine et restriction sodée à <5 g de NaCl et amélioration du contrôle glycémique).
D’autres traitements doivent donc être testés. Ceux-ci font l’objet actuellement d’une recherche intensive partant des mécanismes physiopathologiques de la ND précédemment résumés. Toutes les étapes identifiées comme responsables de la progression de la maladie rénale ont été testées ou le sont encore actuellement, avec des résultats pour l’instant relativement prometteurs pour quelques-uns, mais négatifs pour beaucoup d’autres malgré des résultats préliminaires, chez l’animal ou même chez l’homme, encourageants. L’impact potentiel de ces nouveaux traitements sur les étapes de physiopathologie de la ND est rappelé dans la figure 2.
Commençons par l’essai avec le méthyle de bardoxolone, un inhibiteur du facteur de transcription Nrf2 et du facteur nucléaire NF-KB. Cette substance avait suscité de grands espoirs à partir d’une étude pilote chez des patients diabétiques de type 2 avec insuffisance rénale de stade 4, motivant une étude de plus grande envergure. Celle-ci a dû être stoppée pour des raisons de sécurité cardiovasculaire (plus de décompensation cardiaque, d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral dans le bras bardoxolone) en dépit d’une amélioration du DFG.40
D’autres essais négatifs l’ont été avec une forme active de vitamine D, le paricalcitol qui exerce chez l’animal des effets anti-inflammatoires, qui inhibe le système rénine-angiotensine et améliore la dysfonction endothéliale. Hélas, cette molécule n’a pas donné les résultats escomptés chez les patients diabétiques de type 2 aux stades 2 à 4 de la maladie rénale chronique (DFG entre 15 et 90 ml/min), voire même s’est révélée dangereuse sur le plan de la fonction rénale et de la mortalité, alors qu’il avait été observé que la forme native de vitamine D diminuait l’albuminurie des patients diabétiques de type 2.41
Le sulodexide, un dérivé polysaccharidique des glycosaminoglycanes, n’a pas eu non plus d’effet chez l’homme alors que chez l’animal, il réduisait l’accumulation de matrice extracellulaire.
La pyridoxamine, forme naturelle de la vitamine B6 qui s’attaquait à la formation des AGE, n’a pas réussi à empêcher le turnover du collagène.
Contre la fibrose rénale, on a eu recours à la pirfénidone, bloqueur du connective tissue growth factor. La substance n’a pas eu d’effet sur l’albuminurie, mais a réduit la pente de décroissance de la filtration glomérulaire, au prix d’effets secondaires digestifs qui en limitera l’utilisation.
Enfin, la ruboxistaurine, inhibiteur de la protéine kinase C bêta, allonge l’intervalle QT électrocardiographique des patients testés, sans bénéfice sur les paramètres rénaux.
Parmi les antioxydants, si la N-acétylcystéine n’a pas eu d’effet protecteur, la silymarine, substance végétale naturelle, a donné des premiers résultats encourageants. Cette molécule a été testée pendant trois mois contre placebo chez 60 patients diabétiques de type 2 avec albuminurie A3 en dépit de l’utilisation de doses maximales d’inhibiteurs du système rénine-angiotensine et avec un DFG >30 ml/min/ 1,73 m2. La diminution de l’albuminurie a été notée dans les deux groupes mais significativement plus dans le groupe silymarine, avec en parallèle une réduction de l’excrétion urinaire de TNF alpha et de malondialdéhyde, un marqueur de stress oxydant. Cette étude positive mérite d’être réalisée à nouveau sur un plus grand échantillon de patients et sur une plus longue période.42
Du côté du blocage de l’endothéline, plusieurs molécules ont été testées. L’avosentan, inhibiteur surtout des récepteurs A de l’endothéline, a provoqué plus de décompensations cardiaques par rétention hydrosodée et de décès chez les patients diabétiques testés. Un autre inhibiteur, encore plus spécifique des récepteurs A de l’endothéline, l’atrasentan, a été testé chez 211 patients diabétiques de type 2 avec une albuminurie > 300 mg/g de créatinine urinaire et un DFG entre 30 et 75 ml/min/1,73 m2 et en ajout à des doses maximales d’inhibiteur du système rénine-angiotensine. Par rapport à un placebo, cette substance réduit l’albuminurie de 35% à la dose de 0,75 mg/jour et de 38% à la posologie de 1,25 mg/jour, sans effet sur le DFG ni sur la pression artérielle de consultation. La pression mesurée sur 24 heures diminue cependant, avec amélioration du profil lipidique mais au prix d’une augmentation significative du poids, sans réels œdèmes. L’arrêt du traitement après douze semaines a fait retourner les paramètres d’albuminurie aux valeurs de départ.43 Cet essai avait pu voir le jour après avoir exclu les patients avec antécédents de décompensation cardiaque, vu les phénomènes de rétention hydrosodée induits par la substance testée à fortes doses.
Une autre substance, qui a des actions anti-inflammatoires et antifibrose par inhibition de la phosphodiestérase, a fait l’objet d’une méta-analyse plutôt favorable, même si les études pouvaient être critiquées.44 Il s’agit de la pentoxifylline, un ancien médicament jadis proposé comme traitement chez les patients avec artériopathie. Cette molécule a été testée dans l’étude PREDIAN,45 au cours de laquelle elle a été administrée par voie orale à raison de 1200 mg/jour chez 82 (sur un total de 169) patients de race caucasienne aux stades 3 et 4 de la ND, et ce pendant deux ans. Cette substance a permis de réduire la vitesse de décroissance du DFG (valeur de départ = 37 ml/min/1,73 m2) et l’albuminurie par rapport à une population contrôle. Quelques effets secondaires gastro-intestinaux ont été constatés, deux fois plus fréquemment que dans le groupe contrôle, mais ils étaient d’intensité mineure. Après une année, on a pu voir une différence entre les deux groupes de 4,3 ml de DFG en faveur de la pentoxifylline et une réduction de 20% de l’albuminurie après deux ans. Il faudra valider cette observation sur de plus grandes séries de patients, en double aveugle contre placebo, tous traités par bloqueurs du système rénine-angiotensine et en testant, non pas seulement des sujets de race blanche mais aussi d’autres sujets à plus haut risque ethnique de ND (patients de race noire, asiatiques, ou encore hispaniques).
L’utilisation de médicaments anti-aldostérone constitue une piste intéressante chez le patient diabétique avec néphropathie. Dans ce cadre, l’étude PRIORITY teste un inhibiteur des récepteurs aux minéralocorticoïdes (bloquant l’aldostérone, hormone aux propriétés pro-inflammatoires et fibrotiques, avec stimulation de la réabsorption de sodium au niveau rénal), chez des patients diabétiques sélectionnés par l’approche protéomique pour être des candidats à une progression nette de la MRD. L’étude ne s’intéresse qu’aux formes précoces de MRD, vu le risque d’hyperkaliémie aux stades plus avancés.
L’étude FEATHER est aussi en cours et s’intéresse aux inhibiteurs de la xanthine oxydase et donc à l’acide urique. Cette substance semble jouer un rôle important dans la progression de la MRD. Cette étude devrait apporter une confirmation quant à cette hypothèse pathogénique. Dans ce domaine, Liu et collaborateurs, dans un essai contrôlé versus placebo portant sur 176 individus, ont déjà montré l’intérêt de traiter, pendant trois ans, avec de l’allopurinol des patients diabétiques de type 2 avec hyperuricémie asymptomatique pour prévenir l’albuminurie et la décroissance du DFG.46
Des inhibiteurs des métalloprotéases matricielles sont également à l’essai. Si la doxycycline, antibiotique bien connu, exerce un effet à ce niveau, son utilisation n’a pas été couronnée de succès. Par contre, une autre substance, le XL784 a montré une stabilité du DFG sous traitement alors que ce DFG s’abaissait pendant la même période sous placebo.
Le CCX140, un inhibiteur CCR2, est doté d’une action anti-inflammatoire, en réduisant la production rénale de chémokines stimulant l’arrivée de leucocytes dans le rein. Il vient de terminer, avec succès, sa phase 2 de tolérance et d’efficacité chez 332 patients diabétiques de type 2, dont le DFG était >25 ml/min/1,73 m2. Les résultats ont été présentés lors du dernier congrès de la Société européenne de néphrologie tenue à Londres, fin mai 2015. Cette substance administrée par voie orale, à 5 voire 10 mg par jour, comparée à un placebo, a réduit l’albuminurie de 16% et stabilisé la pente de décroissance du DFG. Elle va être testée maintenant à plus grande échelle.
Toutes ces études, et d’autres encore en cours, montrent le dynamisme dans le domaine. L’enjeu est de taille puisqu’il est important de pouvoir freiner cette augmentation sans cesse croissante d’insuffisance rénale terminale chez des patients de plus en plus nombreux, vu l’épidémie de diabète et le vieillissement de la population.
La MRD constitue encore actuellement la cause principale de prise en charge en dialyse, sans compter les problèmes de complications cardiovasculaires favorisés par la maladie rénale. La prise en charge classique repose sur un bon équilibre glycémique en visant des cibles évitant si possible les hypoglycémies, mais les plus strictes possibles en tenant compte des comorbidités des patients. Un bon contrôle de la pression artérielle est également primordial, en utilisant aussi les inhibiteurs du système rénine-angiotensine à dose maximale tolérée, mais en évitant leur association. Il est également important de contrôler les autres facteurs de risque d’athérosclérose, promoteurs de la dégradation fonctionnelle rénale. Il faut reconnaître que, malgré cette prise en charge, on ne parvient pas à empêcher la progression de la maladie rénale lorsque celle-ci est déjà bien installée. Il existe des substances à l’essai contre la fibrose ou dotées d’une action anti-inflammatoire qui semblent intéressantes au vu des résultats préliminaires disponibles.
Le défi reste important, mais la compréhension des maladies rénales dans le contexte du diabète s’améliore. Dès lors, on peut espérer des progrès dans un avenir rapproché pour réduire ce fléau qui grève la qualité de vie du patient, menace son intégrité vitale et pèse lourd dans le coût des soins de santé.
> La maladie rénale diabétique (MRD) est la source la plus importante de progression vers l’insuffisance rénale terminale dans les pays socio-économiquement forts
> Les facteurs de risque de MRD sont l’hyperglycémie chronique mal contrôlée, la durée du diabète, mais aussi les facteurs classiques de l’athérosclérose, dont l’hypertension artérielle
> Près de 25% des patients diabétiques de type 1 et 60% des patients du type 2 vont voir leur débit de filtration glomérulaire (DFG) s’abaisser sous la barre des 60 ml/min/1,73 m2 alors qu’ils sont normo-albuminuriques
> La prise en charge doit être multifactorielle et individuelle pour la glycémie et la pression artérielle, avec des cibles à atteindre d’autant plus basses que l’on se trouve en prévention primaire
> Les traitements classiques (avec bloqueur du système rénine-angiotensine) ne peuvent plus stopper l’évolution vers l’insuffisance rénale terminale si l’albuminurie est >1 g/g de créatinine urinaire et/ou le DFG est <45 ml/min/1,73 m2
> De nouveaux médicaments sont à l’essai portant sur les voies considérées comme responsables de la progression de l’atteinte rénale, avec des espoirs sérieux mais à mieux valider