La double mastectomie prophylactique (DMP) est une procédure chirurgicale qui vise à prévenir l’apparition du cancer du sein. Elle est proposée aux patientes porteuses d’une mutation de gènes tels que BRCA1/2, anomalie qui augmente le risque de développer un cancer du sein et des ovaires. En effet, cette intervention diminue à hauteur de 90% l’incidence du cancer du sein.1 L’alternative à la DMP est le suivi biannuel par IRM et mammographie ;2 on connaît cependant mal les raisons qui sous-tendent le choix des patientes pour l’une de ces deux options.
Pour éclairer ce sujet, une enquête a été effectuée auprès d’un échantillon opportuniste de 100 femmes dans les rues de Lausanne, en juin 2014. Afin d’aborder ce thème délicat, il leur était proposé de se mettre à la place de l’actrice Angelina Jolie,3 elle-même porteuse de la mutation BRCA1 et ayant opté pour la DMP. Il leur était demandé quel aurait été leur choix face à l’annonce de ce diagnostic et surtout, quels étaient les arguments qui fondaient cette décision. Le questionnaire standardisé proposait plusieurs réponses, ainsi qu’une proposition libre afin que les personnes puissent s’exprimer. Une courte explication de la problématique ainsi qu’un rappel des ressources de prévention disponibles complétaient l’entretien.
La majorité des 100 femmes ayant répondu (56%) auraient choisi la surveillance (figure 1) si elles étaient porteuses de la mutation génétique, la plupart car elles font confiance au dépistage (29/56), justifiant leur décision par le fait qu’«être porteuse de la mutation n’équivaut pas un risque de 100% de développer la maladie». La crainte de l’atteinte à la féminité (29/56) ainsi que le désir d’allaiter au sein est également avancé (21/56) : «si j’avais déjà eu des enfants, j’aurais opté pour (la mastectomie prophylactique)». Quant à la peur de l’opération et des risques encourus (19/56), une femme a qualifié la DMP de «trop invasive pour un traitement préventif». Enfin, il existe une certaine peur des répercussions sur les relations intimes avec un(e) partenaire (7/56).
Parmi les femmes qui opteraient pour la DMP (35%), la crainte de développer le cancer du sein (25/35) est la raison principale de ce choix, puis l’intérêt de la famille (13/35) et le fait que la personne interrogée ait été témoin d’un proche ayant eu un cancer (13/35) ou ayant elle-même eu des antécédents de cancer (5/35). Une passante déclara : «je choisirais la mastectomie pour éviter les effets psychologiques de la radiothérapie et de la chimiothérapie».
Pour la majorité des femmes interrogées, les probabilités statistiques ne suffisent pas à fonder leur décision. Ces résultats nous ont étonnés et interrogés. Effectivement, bien que les risques cancéreux liés aux mutations soient élevés et que la double mastectomie prophylactique soit la stratégie la plus efficace pour diminuer les risques d’incidence du cancer du sein,1 c’est sur leur expérience en tant que femmes, que les passantes se sont principalement appuyées. Le choix de procéder à une DMP est donc résolument multifactoriel et hautement émotionnel.
La médecine basée sur les preuves ne suffit pas à justifier une DMP, c’est la patiente et son vécu qui doivent être placés au centre de la décision et respectés. Considérant la charge émotionnelle 3 du choix et de ses répercussions sur la qualité de vie,4 il est particulièrement nécessaire d’accompagner une patiente qui opte pour la DMP, tant en pré qu’en postopératoire.
Bien que des filières pour la prise en charge des cancers génétiques existent au Centre du sein au CHUV par exemple, les résultats de l’enquête nous amènent à suggérer qu’un suivi psychologique post-DMP ainsi que l’existence d’une association de femmes porteuses de mutations prédisposantes, telle que BRCA seraient également grandement bénéfiques afin d’aider à la prise de décision et d’améliorer le vécu des patientes.
En particulier aux passantes qui ont aimablement répondu à nos questions, aux spécialistes interrogés ainsi qu’à notre tutrice, le Dr Marie-Claude Hofner.