Les arthroplasties prothétiques de la hanche et du genou sont en augmentation constante à travers le monde, répondant au vieillissement d’une population toujours plus active. Ces interventions sont associées à un taux d’infections compris entre 1 et 2%. Toutefois, en dépit d’un risque relativement faible, cette complication est redoutable tant la morbidité induite est grande pour le patient. Le diagnostic ainsi que la prise en charge d’une infection associée à une arthroplastie prothétique sont soumis aux nouvelles découvertes microbiologiques ainsi qu’à divers consensus. Dans cet article, nous développerons la prise en charge d’une infection sur implant, du diagnostic au traitement en passant par les points encore débattus de nos jours.
Les arthroplasties prothétiques de la hanche (PTH) et du genou (PTG) permettent d’améliorer de manière significative la qualité de vie des patients, en diminuant les douleurs et en majorant les aptitudes locomotrices.1–4 Néanmoins, en dépit des progrès réalisés en matière de prévention, ces interventions sont associées à un risque infectieux de 0,5-1,5% pour la hanche et 1-2% pour le genou. Ces valeurs concordent avec celles du registre des arthroplasties du Service d’orthopédie des Hôpitaux universitaires de Genève qui rapporte un risque d’infection de 1% après PTH primaire et de 1,2% après PTG primaire. Enfin, après une chirurgie de révision, les risques infectieux sont nettement plus importants et avoisinent les 10%.5,6
Outre une morbidité importante pour les patients en raison d’un nombre élevé de reprises chirurgicales, la survenue d’une infection augmente considérablement les coûts de la santé, puisqu’elle triple le coût d’une arthroplastie primaire. Cette tendance ne va certainement pas s’inverser dans le futur, car on estime qu’en 2030, aux Etats-Unis, les demandes de PTH et de PTG augmenteront de 174 et 674%, respectivement.5
Il existe trois voies de contaminations : une inoculation directe, une contamination hématogène et enfin, une contamination de contiguïté. L’inoculation directe a lieu le plus souvent au bloc opératoire, mais peut se produire également par la suite en présence d’une déhiscence de cicatrice. Une fois au contact de l’implant, les bactéries quittent leur forme planctonique pour produire du biofilm, structure composée à 30% de bactéries et à 70% de matrice adhésive et protectrice.7 L’une des caractéristiques essentielles des bactéries sous forme de biofilm est qu’elles sont 1000 à 10 000 fois plus résistantes aux antibiotiques. Les causes d’une augmentation de résistance aux antibiotiques sont une mauvaise pénétration des antibiotiques dans les couches profondes du biofilm et un ralentissement du métabolisme de la bactérie.
D’un point de vue clinique, la conséquence de la formation de biofilm est que la guérison de l’infection va nécessiter l’ablation mécanique du biofilm impliquant la plupart du temps une ablation de l’implant. Cette dernière sera d’autant plus nécessaire que la souche bactérienne va produire un phénotype particulier appelé small colony variant.
En résumé, devant toute suspicion d’infection, il est capital d’arriver au diagnostic le plus rapidement possible, afin d’éviter au maximum la formation de biofilm si on veut envisager de préserver la prothèse chez le patient.
Le diagnostic d’une infection associé à une prothèse peut se révéler difficile. La dernière conférence de consensus de la Société d’infection musculosquelettique aux Etats-Unis rapporte que le diagnostic d’infection sur prothèse nécessite la présence d’un des deux critères majeurs ou l’association de trois des cinq critères mineurs (tableau 1).8
D’un point de vue microbiologique, les germes les plus fréquemment en cause sont le staphylocoque doré, les staphylocoques coagulase-negatifs et les streptocoques (tableau 2). Il ne faut toutefois pas oublier le Propionibacterium acnes dans les infections associées aux prothèses d’épaule.9
Il existe essentiellement deux tableaux cliniques d’infection de prothèse : celui d’une infection aiguë et celui d’une infection oligosymptomatique. L’infection aiguë est caractérisée par des frissons (bactériémie), des douleurs, une rougeur, une chaleur locale, un épanchement sur le site de la prothèse ou un écoulement. Lorsque l’origine de l’infection est hématogène, le tableau clinique peut être dominé initialement par des symptômes et des signes systémiques associés à des symptômes de l’infection princeps, par exemple une endocardite, une pneumonie ou un urosepsis. L’infection oligosymptomatique quant à elle est parfois difficile à différencier d’un descellement aseptique. Le patient présente des douleurs chroniques à bas bruit, un état subfébrile, un épanchement ou un descellement radiologique.
La recherche de facteurs de risque permet d’apporter des éléments supplémentaires au diagnostic. Certains sont liés au patient, comme par exemple un diabète, une obésité, une polyarthrite rhumatoïde ou une immunosuppression. Il existe également des facteurs de risque liés à la chirurgie : durée opératoire prolongée, intervention complexe, chirurgie de révision, absence de prophylaxie antibiotique. Enfin, la période postopératoire peut également exposer le patient à un risque infectieux plus important, notamment s’il y a des antécédents de problème de cicatrisation, la présence d’un hématome ou s’il y a eu une bactériémie.10,11
Des valeurs de VS (vitesse de sédimentation) ≥ 30 et une CRP (protéine C-réactive) ≥ 10 permettent de diagnostiquer une infection aiguë avec une sensibilité de 91-97%, une spécificité de 70-80% et une valeur prédictive négative de 96%. Dans les infections chroniques, l’utilité de ces examens est moindre.8
La probabilité d’une infection devient élevée lorsqu’une ponction de la hanche retrouve un taux de leucocytes supérieurs à 4200/ml, ou > 80% de granulocytes polynucléaires. En ce qui concerne le genou, ces valeurs sont plus faibles, à savoir des leucocytes > 1700/ml ou > 65% de granulocytes polynucléaires. Toutefois, ces chiffres ne s’appliquent qu’à des infections diagnostiquées au-delà des premiers un à deux mois postopératoires, faute de quoi il faut considérer des valeurs diagnostiques supérieures d’environ 25 000 leucocytes par ml.12
La sensibilité diagnostique de la culture du liquide synovial est comprise entre 45 et 95%, et celle du tissu périprothétique entre 65 et 95%. Cette dernière représente le gold standard du diagnostic d’infection d’une prothèse. Afin de garantir une sensibilité élevée, il est crucial d’interrompre toute antibiothérapie deux semaines avant les prélèvements. Il est également recommandé de prélever au minimum trois échantillons qui seront partagés entre les analyses bactériologiques et histologiques.13 L’examen de Gram du liquide synovial ou du tissu périprothétique a une sensibilité de 25% et une spécificité de 95%. La culture de plaie ou des fistules est à éviter car il existe un taux important de faux positifs.8
Il existe une grande variabilité quant aux critères diagnostiques d’une infection. Néanmoins, il y a un consensus à des valeurs de polynucléaires neutrophiles ≥ 5 par champs aux 400 x, sur cinq champs différents.13
Les radiographies (RX) standards ont l’avantage de comporter un minimum d’artéfacts, au détriment d’une sensibilité et d’une spécificité faibles. Les RX peuvent révéler une ostéolyse, des signes de descellement, voire de migration de l’implant ou, à l’inverse, un épaississement cortical sous-périosté (figure 1). Le scanner avec injection de produit de contraste permet d’affiner le bilan du stock osseux du patient. L’inconvénient majeur est qu’il est fréquemment parasité par des artéfacts métalliques. Enfin, la scintigraphie est un examen sensible, mais peu spécifique puisque la région opérée peut montrer une captation persistant au minimum durant une année postopératoire. La spécificité est meilleure avec une scintigraphie aux anticorps antigranulocytes (spécificité 80%).
Une fois le diagnostic posé, il existe sept stratégies thérapeutiques : le débridement avec préservation de la prothèse, le changement en un temps, le changement en deux temps, une ablation de la prothèse, une arthrodèse, une antibiothérapie suppressive et enfin, l’amputation.
Le débridement avec maintien de l’implant peut être envisagé en présence d’une infection aiguë. La préservation de l’implant est possible en l’absence de descellement, de fistule ou d’abcès et à condition que le germe en cause soit sensible aux antibiotiques. En effet, la présence de staphylocoques dorés est associée à un taux de guérison plus faible que lors d’une infection à streptocoques.14,15 Par ailleurs, il est recommandé de changer les composants modulaires car cela améliore les chances de succès qui sont globalement de 70 à 80%. L’avantage de cette option est qu’il s’agit d’une chirurgie peu invasive permettant une mobilisation précoce. Néanmoins, en cas d’échec, le taux de réussite d’un changement de la prothèse sera plus faible.
Cette option est indiquée lorsque les symptômes durent plus de trois semaines, en présence de tissus mous en bon état sans abcès ni fistule et lorsque l’infection est provoquée par des germes sensibles aux antibiotiques. Une chirurgie en un temps comporte l’avantage d’une meilleure récupération fonctionnelle. Le risque d’échec et la difficulté opératoire incitent cependant la plupart des chirurgiens à choisir le changement en deux temps.
Cette stratégie est le traitement de choix de l’infection associée à une arthroplastie. Le changement en deux temps est indiqué a) lorsque les symptômes durent > 3 semaines ; b) en présence de germes résistants ou c) lorsque le patient présente des tissus mous en mauvais état, avec une fistule ou un abcès. Le premier temps consiste en un débridement et dépose de l’implant, suivi d’un intervalle pouvant être de courte (deux à quatre semaines) ou longue durée (six semaines).16
Lorsque l’intervalle est court, la prothèse est réimplantée d’emblée à la fin de ce laps de temps et aucune fenêtre antibiotique ou prélèvement ne sont réalisés. En revanche, lors d’un intervalle long, on procède, à l’issue des six semaines, à une fenêtre antibiotique de deux semaines puis à de nouveaux prélèvements lors de la réimplantation. Le deuxième temps comporte la réimplantation prothétique, associée à un traitement antibiotique a) de six semaines lors d’un intervalle court ou b) de durée variable lors d’un intervalle long (adaptée selon les résultats de la culture).
Chez certains patients fragiles ou lors de situations de récidives itératives, voire de douleurs chroniques résiduelles, l’arthrodèse peut être envisagée tout comme l’amputation du membre lorsque le stock osseux est altéré.17
L’infection d’une arthroplastie prothétique est une complication majeure, source de morbidité pour le patient et augmentant significativement le coût de la prothèse primaire. A l’heure actuelle, le gold standard diagnostique est l’analyse microbiologique des biopsies tissulaires et, le traitement de choix reste le changement de la prothèse en deux temps. Un diagnostic rapide et précoce est le pilier de la prise en charge qui nécessite une collaboration multidisciplinaire entre chirurgiens et infectiologues, permettant de définir la stratégie la plus adaptée au patient. La synthèse et l’analyse décisionnelle sont résumées dans la figure 2.
Les auteurs souhaitent remercier le Pr P. Hoffmeyer, chef du Service d’orthopédie et traumatologie de l’appareil moteur des HUG, pour son aide et ses conseils lors de la rédaction de ce manuscrit.
Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation avec cet article.
> Le gold standard de la prise en charge des infections chroniques sur prothèses est le changement en deux temps
> Si les symptômes durent l 3 semaines, la prothèse peut être gardée, sous réserve du germe, après débridement et changement des composants mobiles
> Pas de traitement antibiotique seul en l’absence de chirurgie et inversement
> Le pilier de la prise en charge est le diagnostic précoce
> Prélèvements bactériologiques : pas de frottis mais des biopsies tissulaires
The total number of total knee and hip joint arthroplasties is constinuously rising, due to an increasing population of physically active elderly patients. For primary elective arthroplasties, the infection risk ranges between 1 and 2%, but equals to a high morbidity, costs and complications for the individual infected patient. Diagnosis and management of prosthetic joint infections are improving. We review the latest consensus on the diagnosis and management of these infections and reveal some insight in still debated issues.