L’ingestion d’un corps étranger (CE) est un motif fréquent de consultation spécialisée au service des urgences. 80% de ces ingestions sont accidentelles et surviennent au sein de la population pédiatrique. De nombreux cas intentionnels et répétitifs sont cependant également décrits, notamment au sein de la population carcérale ainsi que chez des patients présentant des pathologies psychiatriques. La majorité des corps étrangers passent spontanément le long du tractus digestif sans complication ni intervention médico-chirurgicale. Dans 10 à 20% des cas, une intervention endoscopique est nécessaire. Une intervention chirurgicale ne sera nécessaire que dans environ 1% des cas. La prise en charge devrait être multidisciplinaire, intégrer les comorbidités psychiatriques et diffère en fonction de la localisation du CE le long du tractus gastro-intestinal.
L’ingestion volontaire de corps étranger (CE) est en constante augmentation parmi la population carcérale. Elle représente la grande majorité des cas de CE chez l’adulte et s’associe à des coûts non négligeables. Aux Etats Unis, les coûts cumulés annuels excéderaient les 6 milliards de dollars.1 La prise en charge de ces patients repose alors sur une discussion multidisciplinaire entre urgentistes, gastroentérologues, chirurgiens et psychiatres. Le caractère répétitif et intentionnel devra notamment être considéré dans la décision thérapeutique. Parallèlement, les cas accidentels ainsi que pédiatriques relèvent d’une approche basée sur la localisation ainsi que le caractère menaçant de l’objet (par exemple, taille, aspect tranchant).2–4
L’œsophage est un site fréquent d’impaction des CE (figure 1). La muqueuse œsophagienne ne tolère pas longtemps la rétention d’un CE. Elle aura tendance à rapidement s’œdématier et se nécroser, résultant alors parfois en des complications majeures telles que perforation, médiastinite et/ou abcès.
On observe classiquement trois aires de rétrécissement physiologiques de la lumière œsophagienne : le sphincter œsophagien supérieur (SOS), la zone de contact de la crosse aortique (vis-à-vis de la quatrième vertèbre thoracique) et le sphincter œsophagien inférieur (SOI). Chez l’adulte, le SOI constitue le point de passage le plus étroit du tractus digestif ainsi que le site le plus fréquent d’impaction des CE.5 L’ingestion de CE peut être involontaire et accidentelle (par exemple, en cas de troubles cognitifs ou d’intoxication alcoolique) mais également intentionnelle et répétitive. En outre, les patients atteints de troubles psychiatriques ainsi que la population carcérale sont sujets à des gestes volontaires.6
Les CE les plus fréquents consistent en cuillères, brosses à dents, épingles à nourrice ou encore lames de rasoir.5
L’impaction alimentaire relève d’autres circonstances. Elle est, le plus souvent, le résultat de pathologies œsophagiennes motrices ou encore d’anomalies anatomiques sous-jacentes (par exemple, sténose peptique, sténose maligne, œsophagite à éosinophiles ou achalasie).3,4,7
Le patient se présente généralement peu de temps après l’ingestion, qu’elle soit accidentelle ou volontaire. En cas d’impaction au tiers supérieur de l’œsophage, il parvient généralement à localiser le CE. La symptomatologie est beaucoup plus vague en cas d’impaction plus distale. Une incapacité à déglutir sa salive est en règle générale le reflet d’une obstruction complète de la lumière œsophagienne.8 L’examen clinique est le plus souvent normal. Un emphysème sous-cutané, de même qu’un abcès ou une adénopathie de la région cervicale évoquent une perforation œsophagienne. Le status ORL révèle alors parfois une lésion amygdalienne.
Des radiographies standards, dans les deux plans, constituent la première étape diagnostique. Bien entendu, seuls les CE radio-opaques sont ainsi localisés (métal et verre). Par conséquent, certains CE œsophagiens peuvent être manqués (par exemple, cure-dents, arête de poisson). Le CT-scan est alors l’examen de choix au vu de son excellente sensibilité. Il présente également l’avantage non négligeable de fournir d’importantes informations quant à la présence de possibles complications associées et le rapport entre le CE et les structures avoisinantes (crosse aortique, trachée…).9–11 Tout transit baryté ou autre examen radiologique avec ingestion de produit de contraste est, en principe, proscrit car il présente un risque non négligeable de compromettre un éventuel examen endoscopique. Par ailleurs, en cas de perforation digestive, il existe un risque de médiastinite chimique induite par le produit de contraste baryté.4
La prise en charge des CE œsophagiens sera dictée par l’âge et l’état général du patient, mais surtout la nature, la localisation et la durée de l’impaction de l’objet. Le délai avant un éventuel geste endoscopique dépend des risques estimés de perforation et/ou d’aspiration. Au vu du risque d’aspiration durant le geste endoscopique, une intubation orotrachéale est nécessaire sous anesthésie générale. En aucun cas, un CE ou encore un bolus alimentaire ne doit rester plus de 24 heures dans la lumière œsophagienne en raison des risques élevés de lésion œsophagienne et de perforation.
Les directives de prise en charge des CE œsophagiens sont résumées dans le tableau 1.
De manière générale, une endoscopie en urgence est préconisée face à toute compromission des voies aériennes (stridor, toux, wheezing), face à l’évidence d’une obstruction complète de la lumière œsophagienne, en présence d’un CE tranchant ou encore pour tout objet impacté depuis 24 heures ou plus.
L’œsophagoscopie souple constitue l’examen de choix pour le retrait des CE œsophagiens. Elle est effectuée sous sédation ou anesthésie générale en fonction de l’âge du patient, de sa capacité à collaborer et, finalement, du type et du nombre de CE. Elle offre la possibilité d’un examen approfondi de l’œsophage mais également de la portion gastroduodénale du tube digestif et permet également d’évaluer la présence de lésions secondaires. L’œsophagoscopie rigide est toujours effectuée sous anesthésie générale et constitue un examen de second choix.1 Le taux de succès d’extraction des CE avoisine les 100%.12 Par ailleurs, le gastroentérologue aura souvent recours à l’utilisation d’un overtube qui offre l’avantage d’une protection des voies aériennes supérieures, facilite les passages multiples de l’endoscope et protège la muqueuse œsophagienne de la survenue de lacérations au retrait de CE tranchants.
Les CE associés à des complications majeures telles qu’une perforation œsophagienne seront retirés par abord chirurgical afin de permettre une correction de la lésion induite.
Finalement, l’ingestion de batteries (population pédiatrique principalement) mérite une attention toute particulière. En raison d’un courant électrique survenant à proximité du pôle négatif de la batterie et atteignant les tissus avoisinants, une atteinte corrosive de la paroi œsophagienne survient rapidement et s’associe, alors, à un risque de perforation et de formation de fistules œsotrachéales ou encore œso-aortiques. Leur extraction est sujette à un taux d’échecs plus élevé que d’autres CE.13 Dans ce cas, la pile sera simplement poussée distalement au niveau gastrique. L’extraction sera alors plus aisée, par exemple au moyen d’un filet. On objective alors également un excellent taux de progression le long du tractus gastro-intestinal sans risque de complication dans les segments parcourus.
La grande majorité des CE parvenant à l’estomac présentent une progression aisée le long du tractus gastro-intestinal. Les taux de perforation digestive observés sont minimes (environ 1%).14 Néanmoins, les objets mesurant plus de 5 cm de long présentent une progression souvent difficile au-delà du duodénum (angle de Treitz) et les objets mesurant plus de 2 cm de large ne passent que très difficilement le pylore ou encore la valve iléo-cæcale.
En présence d’un CE gastroduodénal, la plupart des patients sont asymptomatiques. La prise en charge dépend toujours du type de CE ainsi que de la condition clinique du patient (symptomatologie, status abdominal, antécédents).
Le caractère parfois répétitif et intentionnel de l’ingestion doit également être considéré. En outre, la population carcérale, ou encore psychiatrique, se présente fréquemment après des ingestions répétées et volontaires (par exemple, lames de rasoir). Celles-ci permettent d’obtenir une sortie hors milieu carcéral et donnent accès à certaines substances utilisées pour la sédation ou l’anesthésie générale (par exemple, midazolam, disoprivan). De nombreuses questions sont alors soulevées pour la prise en charge de ces patients.15 Les endoscopies répétées sont le plus souvent refusées sur la base d’une capacité de discernement préservée impliquant la responsabilité du patient. Par ailleurs, le devoir d’assurer une distribution équitable des ressources médicales doit également être mis en avant. Finalement, afin de faciliter cette décision de non-intervention, des protocoles clairs et accessibles sont mis en place conjointement entre les équipes médicale des urgences, chirurgicale, médicale carcérale et la gastroentérologie.
En conclusion, face à tout CE non obstructif et non tranchant, un suivi radiologique est préconisé (radiographie standard 1 x/semaine) pour s’assurer de la bonne progression du CE. Les CE de plus de 5 x 2 cm font l’objet d’une œso-gastroduodénoscopie (OGD) élective.12
Finalement, les batteries localisées au niveau gastrique font l’objet d’un suivi radiologique quotidien. Un retrait endoscopique est préconisé face à toute non-progression de plus de 48 heures ou encore en cas de survenue de symptômes.
La prise en charge des CE gastroduodénaux est résumée dans le tableau 1.
Au-delà du duodénum, les CE ne sont plus facilement accessibles par abord endoscopique. La valve iléo-cæcale constitue le site d’impaction grêle le plus fréquent. La prise en charge est alors chirurgicale. Au niveau colique, un retrait endoscopique peut parfois être envisagé.
Les CE rectaux sont le résultat d’une insertion délibérée transanale par le patient ou encore un partenaire sexuel.8 Des manœuvres d’insertions répétées résultent en une laxité augmentée du rectum permettant ainsi l’introduction d’objets de tailles croissantes.
Le clinicien est, dans la plupart des cas, confronté à cette situation en raison d’un échec de retrait du CE par le patient. Un délai de consultation est donc souvent présent. Ce délai favorise, en outre, la survenue de complications telles qu’une perforation.
Les objets situés dans l’ampoule rectale peuvent souvent être extraits manuellement. Les objets ayant migré proximalement à la jonction recto-sigmoïdienne font l’objet d’une recto-sigmoïdoscopie, le plus souvent sous anesthésie générale. En présence de signes cliniques de perforation, toute procédure manuelle ou encore endoscopique est contre-indiquée et la situation est alors remise au chirurgien.
Le Body-packing fait référence à l’ingestion d’emballages artisanaux (préservatifs, plastiques, autres…) contenant des drogues telles que la cocaïne ou l’héroïne. Cette ingestion a généralement lieu dans le but d’échapper aux contrôles douaniers ou encore policiers. Le diagnostic est confirmé par radiographie standard ou CT-scan. Toute effraction de ces emballages peut être fatale. Ainsi, toute procédure endoscopique, visant au retrait de ces CE, est proscrite. Une surveillance radiologique quotidienne est préconisée. La chirurgie est envisagée face à toute suspicion de perforation ou non-progression des sachets dans l’intestin.
Plus de 75% des cas d’ingestions de CE surviennent chez l’enfant âgé de moins de 5 ans. 98% de celles-ci sont accidentelles et concernent des objets communs retrouvés dans l’environnement de l’enfant (pièces de monnaie, jouets, aimants ou encore piles).16
Une symptomatologie bruyante (stridor, douleurs abdominales ou thoraciques, hypersialorrhée, fièvre ou refus alimentaire) peut alors être au premier plan. Néanmoins, un enfant peut également rester parfaitement asymptomatique et alors être amené par un adulte témoin de l’ingestion.
La prise en charge des CE chez l’enfant est résumée dans un rapport récent de la Société nord-américaine de gastroentérologie, hépatologie et nutrition pédiatrique17 (NASPGHAN). Néanmoins, un groupe de travail de la Société européenne d’endoscopie digestive pédiatrique (ESGE) ainsi que de la Société européenne de gastroentérologie, d’hépatologie et nutrition pédiatrique (ESPGHAN) devrait prochainement publier des directives révisées, basées sur les directives précitées de la NASPGHAN. Une description détaillée de ces algorithmes décisionnels va ici au-delà du propos de notre article, considérant surtout que de nouvelles recommandations sont en cours de développement.
Les CE digestifs sont un motif fréquent de consultation aux urgences tant adultes que pédiatriques. Leur prise en charge relève d’une approche multidisciplinaire. Le choix d’une approche endoscopique est dicté par plusieurs éléments telles la taille, les caractéristiques ainsi que la localisation du CE. L’indication à l’endoscopie peut être remise en question face aux épisodes répétitifs et volontaires.
> L’ingestion accidentelle d’un corps étranger (CE) constitue un motif fréquent de consultation en urgence
> Seuls 10 à 20% de ces CE nécessiteront une intervention endoscopique
> Tout CE obstructif et/ou tranchant justifie une œso-gastroduodénoscopie en urgence
> Les piles, souvent ingérées par la population pédiatrique, présentent un risque majeur de complications sévères au niveau œsophagien et doivent être retirées sans attendre
> Face au caractère parfois répétitif et volontaire de l’ingestion, notamment dans la population carcérale, une observation radiologique seule pourra être décidée
Foreign body (FB) ingestion is a frequent reason for gastroenterology consulting. Eighty percent of these ingestions are accidental and observed among paediatric subjects. However, intentional repetitive ingestions are also observed, especially amongst prisoners or psychiatric patients.Most FBs pass throughout the digestive tract without any complication and without any need for surgical or endoscopic intervention. Nevertheless, around 10-20% of cases require an endoscopy examination and 1% will lead to a surgical intervention. Management approaches should favor inter-disciplinarity, balance benefits and risks of FB removal based on its location, and integrate psychiatric comorbidities into the decision process.